À vos stylos !

L'exercice qui précède vous a permis de découvrir plusieurs dispositifs pour faire entendre sans dire ce que l'on a à dire.

Pour bien vous approprier ces différents ressorts de l'implicite, essayez de répondre aux questions suivantes, portant sur les énoncés dont il a été question dans le corrigé de l'exercice précédent.

Lisez les questions,

prenez un stylo, ou simplement réfléchissez un moment,

regardez éventuellement les indices,

puis, une fois que vous avez une idée de la réponse, lisez le corrigé et comparez.

Si vous peinez à trouver, relisez le corrigé de l'exercice qui précède : tout y est ; il faut juste que vous repreniez ce qui a été expliqué.

Et ne vous inquiétez pas, tout sera repris de façon synthétique dans la fiche mémo qui suit. Il s'agit seulement ici de vous aider à vous approprier progressivement ces notions.

Question

Comment faire entendre le plus en disant le moins ?

Indice

Pensez à « Il n'a pas tort ». Cela peut avoir deux interprétations, en fait, selon le contexte, et ... selon ce que l'on veut faire entendre.

Indice

Est-ce qu'on aurait la même chose avec « Elle ne vient pas » ? Pourquoi ?

Indice

Et qu'en est-il de « J'ai un peu d'argent » ? ou de « Il a un léger problème » ?

Solution

On peut faire entendre plus que ce qu'on ne dit à condition d'abord de parler de propriétés qui s'inscrivent dans une échelle de degrés : ce n'est pas le cas du fait de venir. En revanche on peut avoir plus ou moins tort, plus ou moins d'argent et les problèmes peuvent être plus ou moins graves.

L'art de la litote consiste alors à se situer explicitement en bas de l'échelle : « tort », « un peu », « léger ». Les quantificateurs faibles peuvent suffire à induire une litote dans la mesure où ils sont néanmoins positifs. Sinon, c'est l'une des propriétés des formes négatives de volontiers suffire à induire ce mouvement vers le haut degré.

Ne pas oublier cependant que l'effet litote n'est jamais systématique. C'est une utilisation possible de l'énoncé, qui peut aussi être utilisé pour affirmer un degré faible.

Question

On en vient aux actes indirects. Comment peut-on demander l'heure à quelqu'un tout en marquant qu'on ne considère pas que la personne concernée est vouée à s'exécuter ?

Indice

« Merci de me donner l'heure »  vous paraît convenir ?

Indice

« Donnez-moi l'heure » serait un peu mieux ?

Indice

Il s'agit de formuler sa demande de manière indirecte.

Indice

On peut lui demander au moins s'il est dans ses possibilités de nous donner l'heure. À charge pour elle d'en déduire que vous aimeriez qu'elle le fasse, et à charge pour elle d'obtempérer si elle le souhaite.

Indice

Que faut-il pour qu'elle soit en capacité de nous donner l'heure ? On peut se contenter de lui demander cela.

Indice

On peut se contenter de l'informer du fait qu'on aimerait bien avoir l'heure. À charge pour elle de décider ou non de faire ce qu'il faut pour satisfaire notre souhait.

Indice

Que veut dire la formule « s'il te plaît » prise au sens littéral ?

Indice

Il faut que ce que l'on demande "te plaise".

Solution

Pour demander l'heure à quelqu'un, il ne faut surtout pas le remercier par avance : cela reviendrait à ne pas lui laisser la possibilité de décider de ne pas obtempérer.

Lui demander à l'aide d'un impératif (« Donne-moi l'heure ») revient aussi à le traiter comme s'il devait obéir, alors que la politesse impose de laisser à autrui la possibilité de choisir d'obtempérer ou pas. Ajouter « s'il te plaît » est une première façon d'atténuer le coup de force, en marquant explicitement que la réalisation dépend du bon vouloir de la personne à qui on s'adresse.

Cependant, pour bien marquer que l'on laisse à l'autre son libre arbitre, on peut utiliser des moyens indirects :

- se contenter de lui indiquer que l'on souhaite l'heure : « Je voudrais bien avoir l'heure, s'il te plaît ».

- se contenter de lui demander s'il accepterait de donner l'heure : « Est-ce que tu pourrais me donner l'heure s'il te plaît ? »

- se contenter de lui demander s'il a la possibilité de donner l'heure, et donc s'il l'a : « Est-ce que tu as l'heure ? » ; « Est-ce que tu aurais l'heure ? »

Dans les trois cas, il s'agit simplement de vérifier si les conditions sont réunies pour qu'autrui puisse obtempérer s'il le juge opportun : on formule alors la demande de manière implicite.

A noter que dans les trois cas, l'usage du conditionnel est bienvenu pour laisser à l'interlocuteur encore plus de marge de manœuvre.

Question

Étant donné une proposition, le ou les implicites qui lui sont attachés peuvent-il varier ?

Indice

Pensez à « Est-ce que vous avez l'heure ? » justement. Est-ce que cela doit toujours s'interpréter comme une demande ?

Indice

Et si la personne qui vous le demande a l'heure ? Et si vous risquez effectivement d'avoir besoin d'avoir l'heure ?

Indice

Dans le contexte d'un examen par exemple ? Si l'enseignant qui va surveiller l'examen vous demande cela ? Est-ce qu'il vous demande l'heure ?

Indice

Et si vous arrivez en retard au cours ? Si l'enseignante vous pose cette question d'un air rogue ? Est-ce le moment de lui répondre en lui donnant l'heure ?

Solution

De la même façon qu'il est important de connaître la phrase qui précède pour comprendre les implicites associés à une phrase quelconque, il est important de connaître la situation dans laquelle une telle phrase quelconque est utilisée.

De manière générale, le contexte d'une phrase est important à prendre en compte pour déterminer les implicites.

« Est-ce que vous avez l'heure ? » servira selon les cas et les contextes soit à demander l'heure, soit à interroger effectivement, soit à signaler de manière rogue que la personne est en retard.

Question

Et que marque le conditionnel quand il est attaché à une question ou à un verbe comme pouvoir, vouloir ou aimer par exemple ?

Indice

Pensez à la différence entre « Est-ce que vous avez l'heure ? » et « Est-ce que vous auriez l'heure ? »

Indice

S'il s'agit d'une demande, qu'est-ce qu'ajoute le conditionnel ?

Indice

Pourra-t-on dire Est-ce que vous auriez l'heure ? à quelqu'un qui arrive en retard ? Est-ce que l'on peut dire « Est-ce que vous auriez l'heure ? » à quelqu'un qui n'est pas en retard ?

Indice

Ce « Est-ce que vous auriez l'heure ? » adressé à quelqu'un qui n'est pas en retard est pour le moins ironique. Que marque le conditionnel ici ?

Indice

Et en dehors des questions, quelle différence entre « Je veux l'heure » et « Je voudrais l'heure » ? Que marque le conditionnel dans « Je voudrais l'heure » ou aussi dans « J'aimerais avoir l'heure » ?

Solution

Lorsqu'il s'agit d'une demande, le conditionnel associé à une question permet de faire entendre qu'il serait tout à fait possible que l'autre n'ait pas l'heure, qu'il n'est en rien nécessaire qu'il l'ait. C'est la raison pour laquelle la demande indirecte « Est-ce que vous auriez l'heure ? » est plus polie encore que « Est-ce que vous avez l'heure ? » Elle peut même dans certains cas paraître trop polie.

Lorsqu'il ne s'agit pas de demande, « Est-ce que vous auriez l'heure ? » est une façon de marquer que le comportement de la personne à qui on s'adresse est inhabituel ou au moins inattendu : il faut qu'habituellement elle n'ait pas l'heure. On dira par exemple cela dans un contexte où elle est de manière inattendue ponctuelle. On fait alors entendre à la fois que sa ponctualité est inattendue, que la ponctualité suppose généralement qu'on ait l'heure, et que le fait qu'elle ait l'heure est inhabituel.

Associé à un verbe modal comme vouloir, pouvoir ou aimer, le conditionnel marque que la réalisation envisagée ne dépend pas de mon bon vouloir et est donc suspendue au bon vouloir d'autrui.

De manière générale, comme on l'a vu, le conditionnel associé à une question ou aux verbes modaux marque que la réalisation envisagée dépend de conditions extérieures à la personne qui parle et est donc soit non nécessaire soit difficile à croire.

Question

Restent les questions rhétoriques. Qu'est-ce qu'elles expriment ? Et comment ?

Indice

Pensez à « N'est-il pas allé trop loin ? » Comment faut-il interpréter cette question ?

Indice

Est-ce qu'il s'agit de dire qu'il n'est pas pas allé trop loin ?

Indice

Comment le destinataire doit-il être convaincu du bien-fondé de la position de la personne qui pose cette question ?

Indice

Et qu'en est-il  de « Pourquoi serait-il allé trop loin ? », « Comment ne pas l'abandonner ? », « Comment l'abandonner ? » ou « voulez-vous qu'il aille ? »

Indice

Et « Il habiterait Strasbourg ? » ou « Vous trouvez ça normal ? »

Indice

Est-ce que toutes ces questions sont toujours des questions rhétoriques ?

Solution

« N'est-il pas allé trop loin ? » est généralement une fausse question. Il s'agit pour la personne qui la formule de faire entendre qu'"il" est allé trop loin. Pour ce faire, elle invite son interlocuteur à faire le constat que de fait on ne peut pas soutenir qu'il n'est pas allé trop loin. Double inversion qui permet de marquer la position soutenue comme étant aussi incontestable qu'il est possible.

De manière générale, les questions rhétoriques permettent d'exprimer de manière implicite à la fois le rejet de la position envisagée et l'impossibilité d'y adhérer, impossibilité dont le destinataire est invité à faire le constat.

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Pour cela, elles utilisent souvent des marques de négation, volontiers le conditionnel, notamment quand elles sont introduites par un mot interrogatif ; elles peuvent parfois être alors à l'infinitif (« Comment ne pas l'abandonner ? ») ou utiliser le verbe vouloir, comme dans « voulez-vous qu'il aille ? »

Elles peuvent enfin reprendre une position présentée par autrui comme acquise et qu'il s'agit de contester, soit directement avec un conditionnel comme dans « Il habiterait Strasbourg ? », soit en interrogeant l'autre sur ce qu'il fait ou pense de cet apparent acquis : « Vous trouvez ça normal ? »

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Dans tous ces cas cependant, il est possible que la question rhétorique s'interprète comme une vraie question : « N'est-il pas allé trop loin ? je croyais » ; « Vous trouvez ça normal ? dites-le moi » ; « Où voulez-vous qu'il aille ? choisissez. »

Voilà, on a revu tous les points qui sont à retenir concernant les quelques grands dispositifs qui sont susceptibles d'induire de l'implicite dans le discours, et concernant les différents moyens que ces dispositifs utilisent.

Dans la fiche mémo qui suit, tout cela est récapitulé.