Exercice : Comprendre
Dans chaque question, on vous propose à nouveau une phrase que l'on a choisie aussi brève que possible. Pour chacune d'entre elles, il vous est demandé de choisir ce qu'elle pourrait vouloir exprimer en plus de ce qu'elle exprime de manière explicite.
ATTENTION : comme précédemment, il peut y avoir plusieurs contenus implicites à cocher.
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Le premier exercice est une reprise : c'est le cas de la litote que vous avez déjà vu au début quand nous voulions vous sensibiliser aux effets un peu spectaculaires qui peuvent être ceux des implicites. On le reprend pour mieux l'étudier.
Les deux autres sont nouveaux et là encore les questions posées sont brèves mais les explications que nous allons devoir vous fournir sont longues. Ne vous inquiétez pas, tout est toujours récapitulé de manière synthétique à la fin.
LÀ ENCORE, IL EST TRÈS IMPORTANT QUE VOUS LISIEZ ATTENTIVEMENT LE CORRIGÉ DE CET EXERCICE : C'EST DANS LE CORRIGÉ QUE VA VOUS ÊTRE EXPLIQUÉ TOUT CE QU'IL FAUT SAVOIR POUR ARRIVER À IDENTIFIER LES IMPLICITES QUI SE NICHENT DANS LES FORMES ET DANS LES TYPES DE PHRASES QU'ELLES PERMETTENT DE CONSTRUIRE. POUR TROUVER LE CORRIGÉ, CLIQUEZ SUR |
Il n'est pas sot.
Qu'est-ce que cet énoncé peut suffire à faire entendre avec sa forme négative ?
Votre choixChoix attenduRéponse
Vous avez déjà vu ce cas. Comme annoncé, nous n'avons fait que reprendre le premier exercice.
Ainsi a-t-on déjà vu que nier qu'une personne soit sotte peut être une façon atténuée de dire son intelligence, et même de laisser entendre que cette personne est plutôt très intelligente. On a vu aussi que parler par litote peut permettre de ne pas avoir à assumer frontalement le jugement porté, ou de marquer au moins qu'on prend en compte les éventuelles réserves que d'aucuns pourraient avoir sur ce que l'on affirme.
On a vu aussi que ces effets de litote supposent que la propriété mobilisée s'inscrive dans une échelle de degrés d'intensité, allant du moins vers le plus.
À partir de là, il y a plusieurs façons de procéder pour construire la litote : on peut utiliser la négation comme dans notre exemple, mais on peut aussi utiliser des quantificateurs marquant une faible intensité comme un peu ou des adjectifs comme petit ou léger par exemple :
« J'ai un peu d'argent »
qui dans certains cas peut être une façon d'avouer sa richesse.« C'est un petit problème »
qui dans certains cas peut être une façon de dire que le problème est grave.
À chaque fois, il s'agit d'atténuer ostensiblement ce qui est dit en se plaçant en bas de l'échelle dans laquelle on s'inscrit, tout en laissant entendre que l'on est en fait bien plus haut dans l'échelle.
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Si on récapitule :
LITOTE : Dès lors qu'on a affaire à une propriété qui est prise dans une échelle de degrés d'intensité allant du moins vers le plus, on peut exprimer implicitement le plus en ne disant que le moins. On obtient ce résultat avec un énoncé négatif, un quantificateur faible comme un peu ou des adjectifs marquant une faible intensité comme petit, léger, etc.
Est-ce que vous auriez l'heure ?
Maintenant un peu de savoir-vivre : on a ici apparemment une simple question, mais comment faut-il l'interpréter ?
Votre choixChoix attenduRéponse
Le fait est que cette question est très généralement une façon polie de demander l'heure à la personne à qui l'on s'adresse. De fait, si celle-ci répond simplement par l'affirmative (« Oui j'ai l'heure »
), elle n'aura pas satisfait aux règles minimales organisant la bonne entente entre individus. Il est attendu d'elle qu'elle réponde ... en donnant l'heure. Par conséquent, ce qui se présente comme une question n'est pas une question mais une demande : « Donnez-moi l'heure s'il vous plaît »
. En l'occurrence, le conditionnel (« est-ce que vous auriez l'heure ? »
) sert ici à renforcer le degré de politesse de cette demande.
À noter qu'il est fréquent que l'on exprime ses demandes de manière indirecte comme ici : c'est l'une des stratégies habituelles mobilisées pour ménager des relations de politesse avec autrui. On se contente de vérifier que les conditions sont réunies pour que la personne à qui on s'adresse puisse satisfaire à nos demandes si elle le veut bien.
Cela ne passera pas toujours par des questions, souvent par des affirmations avec un verbe comme vouloir ou aimer au conditionnel : « Je voudrais un kilo de tomates »
pour « Donnez-moi un kilo de tomate »
, « J'aimerais que vous répondiez »
pour « Répondez »
. On peut aussi avoir des questions avec un verbe comme pouvoir ou accepter toujours au conditionnel : « Est-ce que vous pourriez me donner un peu de fromage ? »
pour « Donnez-moi un peu de fromage »
. Les détours empruntés par la politesse sont nombreux. De manière générale, le principe qui ordonne les formes pouvant être mobilisées est de ne pas laisser entendre avec un ordre ce qui serait une forme de supériorité par rapport à l'autre, et de laisser aussi à cet autre la possibilité de ne pas obtempérer.
Le conditionnel est un bon moyen de faire entendre que l'autre n'est pas obligé d'obtempérer, dans la mesure où ce mode permet de marquer que la réalisation de ce qui est envisagé n'est pas acquise, et dépend soit d'autrui, soit de conditions non nécessairement réunies. C'est le cas notamment lorsqu'il est associé à des questions ou à des verbes comme aimer, vouloir, pouvoir, etc. : « j'aimerais »
fait entendre que cela ne dépend pas de moi ; « vous pourriez »
fait entendre que cela dépend de votre bon vouloir ("si vous le voulez").
Au demeurant, il est une formulation qui serait encore plus impolie qu'un ordre : c'est celle qui consiste à prendre pour admis que l'autre a déjà obtempéré, par exemple en lui adressant un remerciement anticipé, comme dans « Merci de me donner l'heure »
. Paradoxalement, bien que merci soit la formule de politesse par excellence, elle frise la désinvolture quand elle anticipe sur l'accord du destinataire, prenant pour acquis son acceptation.
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La question « Est-ce que vous avez l'heure ? »
pourrait être une vraie question, même si elle tend elle aussi à être associée de manière presque conventionnelle à l'expression d'une demande. Cela dépend du contexte. Dans un contexte où "vous" pourrait avoir besoin d'avoir l'heure, par exemple dans un contexte d'examen, on aurait cette interprétation directe où la question est bien une question. Le conditionnel de auriez freine cependant cette possibilité, sauf à rajouter « si vous en aviez besoin »
. Pour autant, il n'est pas possible que la question suffise à laisser entendre que vous pourriez effectivement en avoir besoin : il faut que l'éventualité de ce besoin soit explicitement formulée.
En revanche, il est possible d'utiliser la question avec son conditionnel pour faire entendre de manière ironique que la personne a pu réaliser quelque chose qui demande d'avoir l'heure : par exemple ne pas arriver en retard.
On mobilise là un premier implicite lié au conditionnel qui est que le fait qu'on puisse avoir l'heure se rattache à un point de vue qui n'est pas a priori celui de la personne qui parle : elle n'est pas certaine de pouvoir se rallier à l'idée que vous ayez l'heure. On mobilise ensuite un second implicite rattachant le fait d'avoir l'heure et le fait de ne pas être en retard tel qu'avéré dans le contexte : c'est à nouveau une affaire de chaînon manquant, entre la question et le contexte cette fois ; s'en infère une loi générale selon laquelle "quand on a l'heure, on est à l'heure". S'en déduit le troisième implicite, qui est la conséquence de cette loi appliquée au premier implicite, conséquence selon laquelle la personne qui parle est tout aussi incrédule concernant cette ponctualité pourtant constatée.
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Si on récapitule, on a vu ici plusieurs phénomènes importants concernant les implicites :
DEMANDES INDIRECTES : Certaines questions peuvent être une façon indirecte de demander quelque chose : on vérifie simplement que les conditions sont réunies pour que la personne à qui l'on s'adresse puisse réaliser ce que l'on demande.
POLITESSE : La politesse consiste souvent à laisser à autrui la possibilité de conserver son libre arbitre et de ne pas obtempérer, ce qui s'obtient en ajoutant des formules de politesse mais aussi en remplaçant des ordres par des questions ou en ajoutant des conditionnels et en utilisant des verbes comme vouloir ou aimer dans des phrases assertives, pouvoir ou accepter dans des phrases interrogatives.
→ ATTENTION : Ne pas faire précéder une demande de la formule Merci tant que la demande n'a pas été réalisée. Cela reviendrait à prendre pour acquis que l'autre va effectivement réaliser ce qui est demandé, et donc cela reviendrait à ne pas lui laisser la possibilité de conserver son libre arbitre pour décider ou non d'obtempérer.
CONTEXTE : Pour interpréter une phrase, qu'il s'agisse d'une assertion, d'une question ou d'un impératif, il faut prendre en compte le contexte dans lequel cette phrase est formulée, et voir comment elle enchaîne sur le contexte précédent. De la même façon que des sous-entendus se nichent dans les chaînons manquants d'un enchaînement, ils peuvent se nicher dans les chaînons manquants entre une phrase et le contexte précédent.
N'est-il pas allé trop loin ?
Dernier grand cas : un autre type de question, très efficace aussi. Que dit celle-là de manière implicite ?
Votre choixChoix attenduRéponse
Il s'agit généralement de ce que l'on appelle une question rhétorique. La question n'attend pas véritablement de réponse, éventuellement une marque d'accord (« Je suis bien d'accord »
) : c'est plutôt une invitation adressée au destinataire pour qu'il envisage les positions alternatives et en vienne à constater par lui-même que seule la position de l'auteur peut être retenue.
Pour la personne qui formule cette question, il ne s'agit pas par conséquent d'une question à proprement parler : il s'agit de faire entendre sa position, tout en mobilisant le destinataire pour qu'il convienne que cette position s'impose.
En l'occurrence la position défendue est qu'il est allé trop loin. De manière générale, les questions rhétoriques convoquent les positions adverses pour mieux les disqualifier.
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Il peut se faire cependant que la question soit une vraie question posée à l'interlocuteur, pour lui demander non pas un simple assentiment (« n'est-ce pas ? »
) mais bel et bien son avis (« oui ou non, qu'en penses-tu ? »
).
De manière générale, les questions rhétoriques peuvent toujours s'interpréter aussi comme de véritables questions posées à l'interlocuteur.
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Il y a plusieurs techniques pour construire des questions rhétoriques :
première technique comme ici, poser une question à la forme interro-négative : on combine une inversion et une négation.
deuxième grande technique, on pose une question avec mot interrogatif (pourquoi, comment, qui, que, où, quand, etc.), ce qui permet de parcourir toutes les alternatives, et on marque son rejet :
- soit avec un conditionnel :
« Pourquoi serait-il allé trop loin ? »
- soit avec un infinitif (plutôt à la forme négative) :
« Comment ne pas l'abandonner ? »
(=> c'est inévitable)« Comment l'abandonner ? »
(=> ce serait impossible)
- soit avec le verbe vouloir :
« Où voulez-vous qu'il aille ? »
troisième technique, on reprend ce qui a pu être affirmé par autrui, ou ce qui se donne comme un constat, et on demande si l'autre confirme, adhère ou prend toute la mesure de ce que cela signifierait :
« Peut-on vraiment parler de génocide ? »
La partie constatée ou reprise peut être au conditionnel :
I
« l habiterait Strasbourg ? »
(=> cela paraît difficilement imaginable)
ou peut être reprise sous la forme d'une proposition donnée comme évidente et introduite par si, quand ou alors que :
« Comment comptes-tu valider ton semestre si/quand/alors que tu ne te mets pas au travail ? »
ou peut même être désignée par le pronom ça
« Et vous trouvez ça normal ? »
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Si on récapitule :
QUESTIONS RHÉTORIQUES : Une question rhétorique est une question qui exprime de manière implicite à la fois le rejet de la position envisagée et l'impossibilité d'y adhérer, impossibilité dont le destinataire est invité à faire le constat.
Les questions rhétoriques utilisent différents moyens pour exprimer ce rejet : marques de négation, conditionnel, infinitif, verbe vouloir, reprises des positions contestées.
>> ATTENTION : Elles peuvent toujours s'interpréter comme de véritables questions. Tout dépend du contexte dans lequel on les formule : s'il s'agit pour le locuteur d'obtenir effectivement une réponse de l'interlocuteur, la question redevient une question véritable.
Voilà, ce long corrigé est terminé, avec à nouveau beaucoup de points à retenir sur les différents dispositifs qui peuvent être utilisés pour produire de l'implicite. ∞∞∞∞∞∞ Refaites peut-être une fois l'exercice pour vérifier que vous retrouvez à peu près les bons sous-entendus. Relisez surtout les explications pour vous remettre en tête ce qui a été vu sur les effets de litote et leurs principales modalités, sur les détours que peuvent prendre les demandes que l'on formule, sur ces étranges questions que sont les questions rhétoriques. Passez alors à la suite : dans l'exercice suivant, vous allez pouvoir vérifier que vous avez bien compris tout ce qui a été expliqué. |