Les neurosciences cognitives aujourd'hui

Nous arrivons à la conclusion de ce chapitre. Cette dernière page a donc pour objectif de vous présenter de nouvelles pistes de réflexion et de vous montrer à quel point nos connaissances sur le fonctionnement du cerveau ne sont aujourd'hui que partielles.

Pour commencer, et bien que des travaux (e.g. Broca, Wernicke, Brodmann, Penfield) soient en faveur d'un fonctionnement localisationniste du cerveau, on sait aujourd'hui que la réalité du fonctionnement cérébral est plus complexe qu'un simple fonctionnement par parties. Au delà de l'exemple très précis de l'incapacité à produire du langage lorsque l'aire de Broca est lésée, ou bien de la réalisation involontaire de mouvements lorsque des zones du cortex moteur sont stimulées artificiellement par le biais d'une électrode, il n'existe aucun cas de comportement ou de fonction cognitive qui serait le résultat de l'activité d'un circuit neurobiologique très simple et facilement identifiable.

La perception de notre environnement, les apprentissages et la mémoire, nos émotions, les interactions sociales, la motricité fine... tous ces mécanismes sont le résultat du fonctionnement de circuits neurobiologiques extrêmement complexes dans la mesure où ils impliquent un très grand nombre de régions cérébrales à la fois.

Exemple

L'exemple du langage pour illustrer ce premier point est très intéressant. Nous avons vu avec Broca que la lésion d'une zone précise pouvait conduire à l'incapacité de produire du langage. Certes la région de Broca est cruciale dans la production du langage. Mais est-elle pour autant seule à être impliquée dans le langage au sens large ? Lorsque nous produisons du langage c'est généralement en situation d'interaction sociale. Notre langage traduit un contenu, mais au regard de ce contexte d'interaction sociale et de l'analyse des échanges que nous avons avec des partenaires sociaux. De plus, notre langage peut véhiculer de l'humour ou de l'ironie, il est en général associé à certains gestes ou bien à certaines postures ou expressions faciales émotionnelles. Produire du langage ne se résume donc pas à l'activation ou non de la zone de Broca. C'est tout un vaste réseau cérébral qui fonctionne comme le montre les résultats d'une méta-analyse qui ne prenait pourtant en compte que l'hémisphère gauche du cerveau.

Dans un second temps, il est important aujourd'hui de considérer les mécanismes de la plasticité cérébrale afin d'aller vers une démarche systémique et ne pas rester sur une approche par partie. Comme l'ont indiqué Head et Von Monakov il y a un peu plus d'un siècle : « Un cerveau lésé est un nouveau système, pas le système initial moins un élément » (1918). Il est donc primordial de raisonner en terme de circuits complexes dans lesquels des régions cérébrales peuvent disparaître sans que cela ne porte forcément préjudice à l'ensemble du circuit.

Exemple

Le cas rapporté dans la brève ci-dessous est un bon exemple de plasticité cérébrale et illustre bien pourquoi le localisationnisme au sens stricte n'est pas pertinent. Il décrit l'examen IRM anatomique du cerveau d'un patient qui était venu consulter pour une douleur à la jambe mais qui se plaignait également de fréquents maux de tête. L'IRM de ce patient révèle une hydrocéphalie majeure. Ses ventricules sont beaucoup plus grand que la normale et de grosse partie de son cerveau sont manquantes ou bien atrophiées. Pour autant, son examen neuropsychologique se révèle quasiment dans la norme. Il n'a pas de troubles moteurs ni sensoriels, son QI est de 75, il a un travail et une vie familiale normales. Ce cas, ainsi que d'autres cas similaires (quoi que moins massifs), montre bien les capacités d'adaptation et de compensation du cerveau.

Pour conclure le débat entre fonctionnement par parties et fonctionnement holistique, considérons cette citation de Kosslyn et Andersen (cités Gazzaniga et al., Neurosciences Cognitives, ) :

L'erreur des premiers localisationnistes fut de chercher à faire correspondre comportements et perceptions à des emplacements uniques du cortex. Les comportements et les perceptions sont tous produits par de multiples aires situées dans différentes parties du cerveau. Aussi, la façon de mettre fin à cette controverse consiste-t-elle à réaliser que les fonctions complexes telles que la perception, la mémoire, le raisonnement et le mouvement sont le résultat d'une multitude de processus sous-jacents qui s'effectuent chacun dans une seule région cérébrale. Effectivement, les habiletés elles-mêmes peuvent typiquement s'exprimer de très nombreuses façons, mettant en jeu différentes combinaison de processus. ... Toute habileté complexe n'est donc pas le produit d'une seule partie du cerveau. En ce sens les globalistes avaient raison. Les fonctions du genre que postulaient les phrénologistes ne sont pas localisées dans une seule et unique région cérébrale. Toutefois les processus élémentaires auxquels il est fait appel pour exprimer ces habiletés ont une localisation précise. Et en ce sens les localisationnistes avaient raison. (... )

Comme vous pouvez le constater, les deux approches sont correctes. Tout dépend du niveau auquel on situe la question. On a aujourd'hui une bonne idée des spécialisations cérébrales pour certaines fonctions (cf. la figure ci-dessous) ; toutefois on sait également que c'est l'ensemble de notre cerveau qui est impliqué dans nos comportements les plus complexes.