2. Une situation basée sur la différenciation : la concurrence monopolistique

La différenciation des produits est couramment utilisée aussi bien sur les marchés concurrentiels que dans les configurations d’oligopoles. Pour bien évaluer l’impact de la différenciation sur le fonctionnement d’un marché, nous allons considérer une situation théorisée par Edward Chamberlin en 1933 (« The theory of monopolistic competition ») sous le nom de concurrence monopolistique. Cet oxymore désigne une situation où seule la condition d’homogénéité du produit n’est pas respectée, toutes les autres hypothèses, notamment l’atomicité et la fluidité, demeurant vérifiées. Il s’agit donc d’une combinaison originale entre pression concurrentielle et pouvoir de monopole.

Définition: La concurrence monopolistique désigne une situation où un grand nombre d’entreprises concurrentes parviennent à acquérir un certain pouvoir de monopole sur leur produit, grâce à la différenciation.


A court terme, la différenciation permet à chaque firme de faire face à une demande de pente négative (RM(q)), traduction de son pouvoir de marché. Cette situation est représentée sur la figure 5a:  comme en monopole, chaque firme maximise son profit en égalisant sa recette marginale à son coût marginal.

La quantité de cout terme qui maximise le profit qCT est telle que :

Cet équilibre est atteint au point EC, et la firme remonte sur sa courbe de demande pour imposer aux consommateurs le prix PCT. Ce prix étant supérieur au coût moyen de production, chaque firme dégage donc à court terme  des surprofits.

Le pouvoir de marché dont dispose chaque firme lui permet de fixer un prix de court terme supérieur au coût marginal de production, exactement comme en monopole.

Le pouvoir de monopole « local » de la firme en concurrence monopolistique dépend toutefois de l’élasticité de la demande qui lui est adressée, elle-même dépendante du degré de différenciation. L’indice de Lerner de chaque firme (cf chapitre 3) est en effet, comme en monopole, inversement proportionnel à l’élasticité  de la demande : 

 

Toutefois cette élasticité traduit, en concurrence monopolistique, le degré de différenciation du produit vis-à-vis des substituts sur le marché.  Elle a donc toutes les chances d’être beaucoup plus forte que celle à laquelle fait face un monopole. Les consommateurs peuvent en effet, en concurrence monopolistique, trouver facilement  sur le marché des substituts auprès des concurrents (il existe de nombreuses entreprises), ce qui n’est évidemment pas le cas en monopole. La demande adressée à la firme en concurrence monopolistique reste donc relativement élastique du fait de l’abondance de substituts proches, ce qui limite le pouvoir de marché de chaque firme.

La figure 5 montre que l’écart entre prix et coût marginal dépend directement de l’élasticité-prix de la demande adressée  à la firme. Dans le cas d’une forte différenciation (figure 5-b), le pouvoir de marché est plus important.

 

Figure 5. L’équilibre en concurrence monopolistique en courte période


En longue période,  en revanche, la situation de concurrence monopolistique diffère plus radicalement d’un monopole. En l’absence de barrières à  l’entrée, les surprofits de court terme vont attirer, comme en régime concurrentiel, de nouveaux entrants, qui vont capter une partie de la clientèle des firmes installées. Sur la figure 6b, la demande adressée à chaque firme se déplacera, sous l’effet de ces vagues d’entrées, vers la gauche, jusqu’au point E’L , où la recette moyenne est tangente au coût moyen. Le prix de long terme PL est alors égal au coût moyen, induisant une annulation des surprofits, comme en régime concurrentiel.

L’équilibre d’un marché de concurrence monopolistique en longue période présente toutefois deux différences importantes par rapport au régime concurrentiel :

le point E’L se situe sur la partie décroissante du coût moyen : il n’existe donc pas d’incitation pour les firmes à exploiter pleinement les économies d’échelle pour minimiser le coût moyen (au point ECPP) ;

-  le prix à l’équilibre de longue période reste supérieur au coût marginal de production : l’équilibre de longue période ne maximise donc pas le surplus social.

Même en longue période et en dépit de la libre entrée sur le marché, la différenciation induit donc l’existence de surcapacités de production des producteurs, sources d’inefficacité productive. La production d’une offre différenciée s‘effectue à un coût unitaire de production plus élevé que la production d’un bien homogène, et conduit à des prix plus élevés qu’en concurrence.

Cet excès de coût unitaire et de prix est la contrepartie, pour les consommateurs et la société, de l’accès à une offre différenciée.


Figure 6. L’équilibre en concurrence monopolistique : situations de courte et longue période