Section 5. La différenciation des produits

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Cours: Microéconomie 2
Livre: Section 5. La différenciation des produits
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Date: jeudi 2 mai 2024, 17:44

1. Définition et origines de la différenciation

Vidéo - la concurrence monopolistique


Définition: La différenciation des produits désigne une situation où les consommateurs considèrent le produit offert par chaque producteur comme spécifique à cette entreprise et donc différent, sous certains aspects, des produits offerts par ses concurrents sur le marché.

L’existence d’une forme de différenciation des produits implique par conséquent le non-respect de la condition d’homogénéité sur un marché.


La différenciation des produits est une caractéristique aujourd’hui très répandue, induite à la fois par les conditions de la demande et  par les stratégies des producteurs sur les marchés.

♦ Du côté de la demande, la clef de la différenciation des produits réside dans l’existence d’une forte préférence pour la diversité chez les consommateurs, qui combine une demande de spécificité des produits et de variété de l’offre.

L’évolution des modes de consommation montre d’abord une demande croissante de spécificité des produits. Suivant la nouvelle théorie du consommateur de Kelvin Lancaster, diffusée à partir des années 60, un produit peut en effet être conceptualisé comme un « vecteur de caractéristiques », c’est-à-dire un ensemble d’attributs (couleur, design, fonctionnalités, taille…) dont les consommateurs tirent leur satisfaction.  Ce n'est pas le smartphone lui-même qui fournit une satisfaction à son possesseur, mais les services rendus par tel modèle sous forme d’ergonomie, d’OS, de réactivité, d’autonomie...autant d’attributs appréciés subjectivement par les consommateurs en fonction de leurs besoins. Sur de tels marchés, les consommateurs ne demandent pas directement « un produit » mais plutôt un ensemble spécifique d’attributs.

En plus de cette demande de spécificité, les consommateurs peuvent manifester une demande de variété. Même pour un produit ne possédant qu’un seul attribut différenciant (par exemple la couleur), une certaine variété est souvent demandée par les consommateurs afin de réduire la probabilité d’acquérir un bien strictement identique aux autres.

Du côté de l’offre, les stratégies de différenciation du produit sont mises en œuvre par les entreprises pour  réduire la pression concurrentielle pesant sur elles et s’assurer ainsi un pouvoir de marché. Une stratégie de différenciation réussie permet en effet à une entreprise d’échapper à la concurrence pure en prix : à la différence de la concurrence pure et parfaite, la fixation  de son prix de vente au-dessus de celui de ses concurrents n’entrainera pas une annulation de la demande, mais seulement une réduction de celle-ci.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une partie des consommateurs exprime une préférence  pour la variété produite par l’entreprise plutôt que pour les substituts proposés par la concurrence. Ces consommateurs en quelque sorte « captifs » ont une disposition à payer un prix plus élevé pour obtenir cette variété plutôt qu’une autre. L’entreprise possède donc vis-à-vis de ces consommateurs un pouvoir de monopole « local », c’est-à-dire limité à cette variété du produit sur le marché.

En cas de différenciation réussie, une entreprise fait donc face, du fait de son pouvoir de marché,  à une courbe de demande à l’entreprise de pente négative. Sa fonction de recette marginale se situe donc toujours en dessous de sa fonction de demande, comme en monopole.


Les entreprises mettent en œuvre deux types de stratégie de différenciation : 

La  différenciation horizontale renvoie à des différences subjectives de perception du produit ou à des différences de localisation. La différenciation subjective s’appuie sur l’utilisation de la publicité et de « l’image de marque » pour fidéliser une partie des consommateurs, sans que le produit ne présente de différences de qualité objective (c’est-à-dire reconnue de la même manière par tous les consommateurs) avec les variétés concurrentes. Les firmes proposent dans ce cas des biens de qualité identique mais aux caractéristiques différentes.

L’une des formes les plus courantes de la différenciation horizontale est induite par la localisation des points de vente. L’exemple célèbre de Hotelling (1929) considère deux  vendeurs de glace (identiques) sur une plage. La proximité des plagistes au vendeur le plus proche procure à ce dernier un « monopole local » lui permettant de vendre ses glaces à un prix plus élevé que son concurrent plus éloigné, en raison du coût de déplacement.

♦  La différenciation verticale renvoie à des différences objectives dans les attributs de qualité et/ou de fonctionnalité d’un produit. Dans ce cas tous les consommateurs partagent une même hiérarchisation des différences observables dans les attributs d’un bien sur le marché. Cette forme de différenciation se traduit par l’offre de différentes « gammes » de produits sur le marché.


2. Une situation basée sur la différenciation : la concurrence monopolistique

La différenciation des produits est couramment utilisée aussi bien sur les marchés concurrentiels que dans les configurations d’oligopoles. Pour bien évaluer l’impact de la différenciation sur le fonctionnement d’un marché, nous allons considérer une situation théorisée par Edward Chamberlin en 1933 (« The theory of monopolistic competition ») sous le nom de concurrence monopolistique. Cet oxymore désigne une situation où seule la condition d’homogénéité du produit n’est pas respectée, toutes les autres hypothèses, notamment l’atomicité et la fluidité, demeurant vérifiées. Il s’agit donc d’une combinaison originale entre pression concurrentielle et pouvoir de monopole.

Définition: La concurrence monopolistique désigne une situation où un grand nombre d’entreprises concurrentes parviennent à acquérir un certain pouvoir de monopole sur leur produit, grâce à la différenciation.


A court terme, la différenciation permet à chaque firme de faire face à une demande de pente négative (RM(q)), traduction de son pouvoir de marché. Cette situation est représentée sur la figure 5a:  comme en monopole, chaque firme maximise son profit en égalisant sa recette marginale à son coût marginal.

La quantité de cout terme qui maximise le profit qCT est telle que :

Cet équilibre est atteint au point EC, et la firme remonte sur sa courbe de demande pour imposer aux consommateurs le prix PCT. Ce prix étant supérieur au coût moyen de production, chaque firme dégage donc à court terme  des surprofits.

Le pouvoir de marché dont dispose chaque firme lui permet de fixer un prix de court terme supérieur au coût marginal de production, exactement comme en monopole.

Le pouvoir de monopole « local » de la firme en concurrence monopolistique dépend toutefois de l’élasticité de la demande qui lui est adressée, elle-même dépendante du degré de différenciation. L’indice de Lerner de chaque firme (cf chapitre 3) est en effet, comme en monopole, inversement proportionnel à l’élasticité  de la demande : 

 

Toutefois cette élasticité traduit, en concurrence monopolistique, le degré de différenciation du produit vis-à-vis des substituts sur le marché.  Elle a donc toutes les chances d’être beaucoup plus forte que celle à laquelle fait face un monopole. Les consommateurs peuvent en effet, en concurrence monopolistique, trouver facilement  sur le marché des substituts auprès des concurrents (il existe de nombreuses entreprises), ce qui n’est évidemment pas le cas en monopole. La demande adressée à la firme en concurrence monopolistique reste donc relativement élastique du fait de l’abondance de substituts proches, ce qui limite le pouvoir de marché de chaque firme.

La figure 5 montre que l’écart entre prix et coût marginal dépend directement de l’élasticité-prix de la demande adressée  à la firme. Dans le cas d’une forte différenciation (figure 5-b), le pouvoir de marché est plus important.

 

Figure 5. L’équilibre en concurrence monopolistique en courte période


En longue période,  en revanche, la situation de concurrence monopolistique diffère plus radicalement d’un monopole. En l’absence de barrières à  l’entrée, les surprofits de court terme vont attirer, comme en régime concurrentiel, de nouveaux entrants, qui vont capter une partie de la clientèle des firmes installées. Sur la figure 6b, la demande adressée à chaque firme se déplacera, sous l’effet de ces vagues d’entrées, vers la gauche, jusqu’au point E’L , où la recette moyenne est tangente au coût moyen. Le prix de long terme PL est alors égal au coût moyen, induisant une annulation des surprofits, comme en régime concurrentiel.

L’équilibre d’un marché de concurrence monopolistique en longue période présente toutefois deux différences importantes par rapport au régime concurrentiel :

le point E’L se situe sur la partie décroissante du coût moyen : il n’existe donc pas d’incitation pour les firmes à exploiter pleinement les économies d’échelle pour minimiser le coût moyen (au point ECPP) ;

-  le prix à l’équilibre de longue période reste supérieur au coût marginal de production : l’équilibre de longue période ne maximise donc pas le surplus social.

Même en longue période et en dépit de la libre entrée sur le marché, la différenciation induit donc l’existence de surcapacités de production des producteurs, sources d’inefficacité productive. La production d’une offre différenciée s‘effectue à un coût unitaire de production plus élevé que la production d’un bien homogène, et conduit à des prix plus élevés qu’en concurrence.

Cet excès de coût unitaire et de prix est la contrepartie, pour les consommateurs et la société, de l’accès à une offre différenciée.


Figure 6. L’équilibre en concurrence monopolistique : situations de courte et longue période