Le cadre juridique international : droit d’auteur, copyright et licences ouvertes
Annexe
HISTORIQUE DU COPYRIGHT ET HISTORIQUE DU DROIT D'AUTEUR
ORIGINES DU COPYRIGHT
Partir en guerre pour le droit de copier un livre
C’est en Irlande, au VIe siècle, que s’est tenu le premier procès connu sur le droit de copie. Un moine irlandais du nom de Colomba recopia sans autorisation le psautier de saint Jérôme, un recueil appartenant à Finnian, abbé dans un autre monastère. Ce dernier lui demanda de lui rendre la copie de son livre, considérant qu’il s’agissait d’un bien qui lui avait été volé. Face au refus de Colomba, Finnian en appela au roi Diarmaid d’Irlande, qui se prononça en sa faveur, en vertu du principe de « à chaque vache son veau ». Offusqué de ce jugement, Colomba affronta les hommes du roi lors de la bataille de Cuildremne, en 561. Il remporta la victoire, qui coûta néanmoins la vie à plus de 3 000 hommes, et le roi Diarmaid dû partir en exil [3]. Plus tard, Colomba dut lui aussi s’exiler pour l’Écosse [4]. On peut conclure de cet épisode que bien qu’il ait perdu le procès, Colomba avait néanmoins fini par l’emporter par la force. La bataille de Cuildremne régla la question du droit de copie en faveur du libre accès pour plus d’un millénaire.
Beaucoup d’auteurs, mais seulement quelques presses : le monopole de distribution des débuts de l’imprimerie et la lettre patente de 1557
La presse à imprimer, qui a rendu possible la production de copies en série, fut introduite en Europe au XVe siècle. Comme les presses étaient rares et les auteurs nombreux, les imprimeurs prirent le contrôle des livres qu’ils reproduisaient, se contentant généralement de verser à leurs auteurs une simple rétribution forfaitaire. Les monarques, estimant qu’il était plus simple de taxer et de contrôler ces quelques imprimeurs plutôt que les nombreux auteurs, leur accordèrent le monopole de la distribution, en échange du versement de taxes et du respect de la censure. En Angleterre, la Stationers Company, composée de membres appartenant à une guilde d’imprimeurs londoniens, se vit accorder en 1557 par lettre patente un monopole d’impression dans le but d’éviter la diffusion des idées protestantes dans le pays [6]. Sous Cromwell, les monopoles d’impression furent renforcés, mais la censure était cette fois dirigée contre les opposants au protestantisme.
C’est au cours de cette période que le fait de copier un ouvrage sans mentionner son auteur est devenu inacceptable aux yeux de la société. Ben Johnson fut l’un des premiers auteurs anglais à utiliser le terme de « plagiaire » (plagiary) tel qu’il est défini aujourd’hui. L’Oxford English Dictionary cite une occurrence antérieure du mot chez Montagu en 1621, qui utilisa le terme de « plagiat » (plagiarisme) pour décrire le fait de dérober l’œuvre de quelqu’un
La loi de la reine Anne ou « loi pour l’encouragement de l’apprentissage », édictée en 1709
La conception moderne du copyright dans les pays de common law est issue de la loi de la reine Anne de 1710, également appelée « loi pour l’encouragement de l’apprentissage », qui fut votée pour encourager la lecture et plus particulièrement les « hommes instruits à composer et écrire des livres utiles [10] ». Jusqu’alors, les imprimeurs pouvaient transmettre indéfiniment à leurs héritiers le droit de reproduire des œuvres, accordé par le monarque. Cette loi est une conséquence des Actes d’Union de 1707 qui unirent l’Angleterre et l’Écosse au sein d’un Royaume-Uni de Grande-Bretagne. En effet, les libraires écossais n’acceptaient pas le monopole d’impression accordé aux Anglais de la Stationer’s Company. La première loi sur le copyright visait donc à mettre fin au monopole de la Stationer’s Company et n’était en rien un mécanisme de protection des titulaires du droit d’auteur Plusieurs éléments de cette loi servaient l’intérêt général, tels que :
- la limitation de la durée des droits des titulaires (auparavant illimitée), garantissant ainsi l’entrée des ouvrages dans le domaine public ;
- l’obligation de déposer des exemplaires des ouvrages dans les bibliothèques des universités pour garantir au public l’accès à des livres protégés par le droit d’auteur.
La législation britannique sur le copyright a donc été introduite pour limiter les droits de ceux qui détenaient auparavant le monopole du contrôle des publications.
La loi de la reine Anne a retiré le copyright aux imprimeurs pour le transférer aux auteurs. Ce droit était accordé pour une durée de 28 ans maximum, au terme de laquelle les ouvrages entraient dans le domaine public. La loi de la reine Anne est ainsi à l’origine du domaine public – le patrimoine intellectuel commun – et c’est là son aspect le plus notable en matière d’accès au public et d’éducation. La loi de la reine Anne a donné naissance à un ensemble d’ouvrages pouvant être copiés, modifiés, adaptés ou affinés par tout un chacun, à des fins ludiques, commerciales ou didactiques. En outre, son article IX accordait aux universités une exemption spéciale garantissant qu’aucun de leurs droits coutumiers de reproduction ne seraient menacés. Cette exemption ne fut pas décidée par hasard. Des intellectuels, parmi lesquels John Locke, avaient en effet mené une campagne active en faveur de l’abrogation des monopoles d’impression et de distribution des livres et condamnaient fermement l’entrave au progrès de la science que représentait le monopole de la Stationer’s Company
Le copyright n’a pas été conçu, à l’origine, pour protéger les droits des titulaires mais bien pour supprimer un monopole de copie, en le restituant pour une durée limitée à ses auteurs.
Dans la plupart des anciennes colonies britanniques, qui ont ensuite formé les États-Unis, la législation était fondée sur la loi de la reine Anne. Il n’est donc pas étonnant que la Constitution américaine reprenne cette intention. La section 8 de l’article Ier fait en particulier référence au pouvoir du Congrès :
« de promouvoir le progrès de la science et des arts utiles en assurant pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs, un droit exclusif sur leurs écrits et découvertes respectifs. » |
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Loi fédérale américaine sur le copyright (Copyright Act) de 1790
Peu après, le Copyright Act de 1790 : loi pour l’encouragement de l’apprentissage fut promulguée aux États-Unis par George Washington. À l’instar de la loi de la Reine Anne, cette loi avait été édictée (comme son titre le suggère) pour encourager l’apprentissage et ne visait à protéger les titulaires du copyright que dans la mesure où cela servait cet objectif premier. Thomas Jefferson était opposé à l’établissement d’un lien entre le droit de copie et le droit de propriété. Il écrivit ainsi en 1813 que « les inventions ne peuvent pas, par nature, être sujettes à la propriété [17] ». De même, le Président Madison déclara quant à lui que c’est « l’incitation, qui est un droit naturel, et non la propriété, qui est la justification première du copyright américain [18] ».
Les origines du copyright suggèrent ainsi que la tradition Common Law n’est a priori pas favorable à la propriété intellectuelle, car il s’agit pour elle d’un monopole qui est accordé à son titulaire, et non d’un droit.
Paradoxalement, ce sont aujourd’hui les détenteurs du copyright dans ce pays de « Common Law », et notamment de grandes entreprises du secteur de la création artistique, qui adoptent maintenant une approche qui reprend des éléments de la tradition civiliste, tels que la notion de « propriété intellectuelle » pour mieux défendre leurs intérêts par l’extension de la durée de la protection du … copyright.
ORIGINES DU DROIT D'AUTEUR
En France, c’est aussi au XVIème siècle que sont apparues les premières règles pour encadrer l’exploitation d’une œuvre de l’esprit. C’est, comme au Royaume-Uni, par des lettres patentes, chartes ou ordonnances que le Roi accorde à ses sujets le privilège exclusif d’imprimer et de vendre des œuvres.
1554 Ronsard et le privilège royal sur ses œuvres
En 1554, Ronsard obtient ainsi un privilège royal, valable pour toutes ses œuvres, déjà publiées ou à venir pour en contrôler la diffusion. https://www.persee.fr/doc/xvi_1774-4466_2014_num_10_1_1092 qui présente l’originalité de ne pas être destiné, pratique pourtant habituelle de l’époque, à un libraire.
Plus tard, les Lettres Patentes du roi Henry IV du 20 février 1595 confirment les privilèges des libraires, imprimeurs & relieurs.
La loi des 13 et 17 janvier 1791
Avec la Révolution française, l’ensemble des privilèges sont abolis et Beaumarchais obtient la reconnaissance légale du droit d’auteur avec l’adoption par l’Assemblée Constituante de la loi du 13 janvier 1791. C’est la première loi qui protège explicitement les auteurs et leurs droits. Le député Le Chapelier proclame alors que « la plus sacrée, la plus personnelle, la plus inattaquable de toutes les propriétés est l’ouvrage, fruit de la pensée de l’écrivain ».
C’est l’aboutissement d’une démarche engagée avant la Révolution, après le succès du Barbier de Séville à la Comédie Française. Beaumarchais est frustré par le paiement unique de la Comédie Française et estime devoir recevoir des revenus pour chaque représentation et il crée, pour cela, avec une vingtaine d’autres auteurs, le Bureau de Législation Dramatique, devenue depuis la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques.
L’évolution internationale de la propriété intellectuelle
Une fois acquise la reconnaissance des droits, particulièrement d’exploitation, au niveau national, les siècles suivants vont être marqués par une harmonisation progressive au niveau international et l’affirmation du droit moral, la vision selon laquelle l’œuvre de l’esprit est inséparable de la personnalité de son auteur dans la Convention de Berne et notamment son article 6bis. C’est notamment en cela que le droit d’auteur se distingue du copyright britannique et américain, et qu’il trouve son incarnation moderne dans la loi de 1957 sur la Propriété Intellectuelle et Artistique, puis dans le Code de la Propriété Intellectuelle de 1992, qui rassemble dans un même ensemble les deux branches que sont la Propriété Littéraire et Artistique, d’une part, et la Propriété Industrielle, d’autre part.