5.2 : La mesure des inégalités

2. Une première mesure

Une fois cette clarification apportée, qu'en est-il du niveau d’égalité ou d’inégalité de nos sociétés ?

On peut facilement se rendre compte qu’il existe des inégalités de revenus. Par exemple, en 2018, la rémunération moyenne des patrons du CAC40 atteignait 5,77 millions d’euros soit environ 277 fois le salaire minimum en France (et 152 fois le salaire moyen) [1]. De même, on peut facilement constater des écarts de richesse. Ainsi, en 2016 l’ONG Oxfam estimait que les 62 personnes les plus riches au monde détenaient autant que les 50% les plus pauvres et par ailleurs, que les 1% les plus riches sur la planète possédaient plus que les 99% restant de la population mondiale.[2] Ces chiffres sont parlants et mobilisateurs – ils sont d’ailleurs à l’origine du slogan « nous sommes les 99% » lors de mouvements sociaux comme le mouvement Occupy (Wall Street, puis d'autres lieux) - mais peuvent-ils constituer une mesure des inégalités dans une société ? Fournissent-ils une statistique suffisante afin de comparer deux sociétés ou d’étudier l’évolution des inégalités dans une société ? Du moins, comment les comprendre ?

Une manifestation avec des gens brandissant des pancartes.

Pour mesurer les inégalités au sein d’une société, on peut utiliser la part de la richesse (ou du revenu) possédée par les individus les plus fortunés (souvent les 1% ou les 10%). Ces variables sont généralement sensibles aux politiques publiques affectant les inégalités de revenu et de richesse et peuvent donc nous donner une information si celles-ci augmentent ou au contraire diminuent. Par ailleurs, lorsque l’on souhaite mesurer les évolutions sur le long terme, on est parfois contraint d’utiliser cette mesure. En effet, les sources historiques sur les individus les plus fortunés sont souvent largement plus nombreuses et plus faciles d’accès que sur le restant de la population: en occident, les plus riches (rois, grands nobles, ecclésiastiques, etc.) avaient souvent des biographes et des archives, facilitant ainsi la mesure de leurs patrimoines et de leurs revenus. On peut parfois également obtenir des estimations du revenu ou de la richesse totale au sein d'une économie. On peut ainsi estimer "la part des plus aisés" quand d'autres indicateurs sont plus difficiles à obtenir.

Remarque : Thomas Piketty (économiste, né en 1971) dans ses nombreux ouvrages consacrés aux inégalités ou aux hauts patrimoines utilise régulièrement les revenus ou salaire des 1% ou 10% les plus fortunés. Le lien suivant conduit vers un des graphiques de son ouvrage Le Capital au 21ème siècle (2013) où il montre les évolutions de la part du décile supérieur dans le revenu national (la part des 10% des individus ayant les revenus les plus élevés) : http://piketty.pse.ens.fr/files/capital21c/pdf/G8.1.pdf

  •  Une première mesure des inégalités de revenus est donc la part des 1% des revenus les plus élevés dans l’ensemble des revenus générés par une société.
    \( I_{rev} = \frac{Revenus des 1\% avec les plus hauts revenus}{Revenus totaux} \)
    On peut procéder de même avec les 10% plus hauts revenus plutôt que les 1%.

  •  Une première mesure des inégalités de richesse est donc la part des 1% des plus hautes fortunes dans l’ensemble de la richesse d’un pays.
    \( I_{richesse} = \frac{Richesse des 1\% les plus fortunés}{Richesse totale} \)
    On peut procéder de même avec les 10% les plus riches plutôt que les 1%.

 

Toutefois, il ne faut pas oublier les limites de cette méthode. Se focaliser sur les 1% les plus riches (ou les 10% les plus riches) oublie justement de mesurer les évolutions des inégalités dans les 99% (ou 90%) restants. Il peut pourtant y avoir de grande disparité au sein de cette partie de la population et ces disparités peuvent largement changer dans le temps. C’est pourquoi les économistes ne se contentent pas de cette mesure des inégalités et multiplient les méthodes afin de mesurer et comparer le niveau d’inégalités dans une société.



[1] En général, lorsque l'on parle de revenu et de richesse on préfèrera utiliser la "médiane" plutôt que la moyenne. Cette dernière est en effet sensible à la présence de valeur extrême (des individus très riches). Toutefois, selon les sources, les valeurs médianes ne sont pas toujours disponibles.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/11/07/les-pdg-du-cac-40-ont-gagne-en-moyenne-277-fois-le-smic-en-2018_6018344_3234.html

[2] Il faut parfois faire attention au mode de calcul derrière ces chiffres. La personne la plus « pauvre » au monde pourrait être une personne vivant tout à fait convenablement mais ayant emprunté de l’argent, la conduisant à avoir une richesse négative (des dettes). Ces éléments "techniques" dans les calculs ne doivent toutefois pas faire oublier les écarts de richesses manifestes soulignés par ces indicateurs.
Autrement, le chiffre peut être retrouvé dans cet article de presse :
Inégalités : les 1 % les plus riches du monde possèdent plus que le reste de la planète, Les Echos, 18 janvier 2016.
https://www.lesechos.fr/2016/01/inegalites-les-1-les-plus-riches-du-monde-possedent-plus-que-le-reste-de-la-planete-194738