1.3 : Quelles sont les méthodes de la macroéconomie ?

1. La modélisation

Maintenant que les objets de la macroéconomie ont été abordés, comment s’organise le travail d’un macroéconomiste ? A quoi ressemble concrètement la macroéconomie ?

La macroéconomie est souvent considérée comme une discipline « théorique » : les économistes vont mettre au point des théories qui permettent de comprendre et d’étudier les phénomènes qui les intéressent, par exemple ceux développés plus haut : la croissance sur le très long terme ou au contraire, la manière dont est déterminée le « PIB » à court terme. Par ailleurs, s’il n’existe pas de consensus sur la manière dont sont créées les théories économiques, la modélisation et en particulier la modélisation « mathématique » semble aujourd’hui être la voie privilégiée.

Qu’est-ce qu’un modèle ? Là encore, il n’existe pas de consensus parmi les économistes. Toutefois, sans rentrer dans un débat technique, on pourrait dire qu’un modèle est une représentation abstraite, simplifiée mais néanmoins (sur certains aspects) crédible du monde réel. [1] Aussi en étudiant le fonctionnement du modèle, peut-on apprendre des choses sur le monde réel et les mécanismes qui y sont à l’œuvre.

Dans un modèle les (macro)économistes vont représenter les acteurs (ou groupe d'acteurs) qu’ils considèrent comme les plus importants dans une économie (l’Etat, les entreprises, les individus, etc.) et pour chacun de ces acteurs, ils vont définir leurs actions et la manière dont celles-ci peuvent dépendre de variables exogènes. Ces dernières sont des variables dont la valeur ne va pas être déterminée dans le modèle mais en dehors de celui-ci. Par exemple, un individu va probablement « consommer » et « travailler », une entreprise « produire », « investir » ou « embaucher », etc. Des variables exogènes pouvant influencer ces actions pourraient être le taux d’intérêt d’une économie, le niveau de progrès technologique, etc. Précisons immédiatement que ces variables exogènes dépendent du modèle étudié et peuvent différer d'un modèle (ou d'une théorie) à l'autre. Par exemple, le progrès technique est exogène dans le modèle de croissance de Solow, mais ne l'est plus dans les modèles de croissance de Lucas et de Romer.

Une fois les actions des acteurs définies, les économistes vont réfléchir aux situations où les actions des différents acteurs sont compatibles entre-elles. Cela est généralement analysé avec la notion « d’équilibre du marché » (cette notion est complexe et il existe une multiplicité de concepts d'équilibre en économie - pour l'heure on peut simplement retenir qu'un équilibre représente une situation où les actions des agents économiques sont compatibles entre elles).

Pour rendre les choses plus concrètes, imaginons une économie extrêmement simplifiée où il n’existe que deux types d’acteurs : les entreprises et les consommateurs. Les entreprises produisent des biens et les consommateurs les consomment. Aussi, pour le moment, on néglige complètement des institutions normalement extrêmement importantes comme les marchés financiers, le marché du travail, etc. Par ailleurs, pour nous simplifier la vie, nous faisons les hypothèses que :

  • La demande globale – c’est-à-dire la demande de l’ensemble des biens consommés dans l’économie – peut-être représentée par une droite d’équation : \( Q^D = D(p) = 40 - p \)\(p \) est un indice des prix dans notre économie. L'équation précédente indique alors que la quantité demandée (\( Q^D\)) est une fonction affine du prix (\( D(p) = 40 - p \)).

  • L’offre globale – c’est-à-dire l’offre de l’ensemble des biens dans l’économie – peut-être représentée par une droite d’équation : \( Q^O = O(p) = p \)\(p \) est toujours un indice des prix dans notre économie. L'équation précédente indique alors que la quantité offerte par les entreprises (\( Q^O\)) est une fonction affine du prix (\( O(p) = p \)).

Cette représentation simpliste de l’économie rejoint donc celle d’un marché prit en isolation. On peut alors définir « l’équilibre du marché » entre demande et offre globales comme le niveau de prix \(p^* \) et la quantité \(q^* \) (à la fois produite et consommée) telle que l’offre et la demande sont identiques. [Remarque: dans ce cas, les actions des acteurs sont effectivement compatibles dans le sens où la quantité que les consommateurs souhaitent consommer est justement celle produite par les producteurs.] Dans l’exemple ci-dessus, on peut très facilement retrouver l’équilibre en remarquant que la quantité demandée et la quantité offerte (i.e. produite à l’équilibre) doivent être égales. Cette égalité permet de trouver le prix d'équilibre. On obtient alors :

\( Q^D = Q^O \Leftrightarrow 40 - p = p \Leftrightarrow 40 = 2p \Leftrightarrow p = 20 \)

En utilisant ce prix d'équilibre et en "l'injectant" dans la demande ou dans l'offre, on peut alors retrouver la quantité d'équilibre. On en déduit alors : \( Q^D = 40 - 20 = 20 \) et on peut vérifier : \( Q^O = 20 \).
L’équilibre global est donc un niveau des prix égal à 20 et une quantité échangée égale aussi à 20.

L’intérêt pour les économistes de construire des modèles est qu’il devient possible d’étudier finement l’effet d’un choc. Dans notre exemple, imaginons qu’un choc extérieur à l’économie – comme l’émergence d’une pandémie mondiale – affecte le revenu des individus et donc, leur capacité à consommer. Dans notre exemple, imaginons que la demande globale devienne : \( Q^D = 30- p \).

En procédant comme avant, on peut vérifier que le nouvel équilibre sera : un niveau des prix égal à 15 et une quantité échangée égale à 15. En d’autres termes, notre modèle simpliste (et peu satisfaisant pour de multiples raisons) nous permet de réfléchir aux conséquences économiques d’une pandémie (dont le seul effet serait d'amoindrir la richesse des consommateurs). Il prévoit une contraction de l’activité économique (la quantité produite/consommée à « l’équilibre » diminue) et une tension déflationniste (le niveau des prix diminue). Le graphique 1 présente une illustration graphique de ce petit modèle.

Graphique 1 : Un exemple de graphique en macroéconomie

Encore une fois, ce premier modèle est simpliste ; toutefois, il s’agit bien d’un modèle. En effet, nous avons imaginé des acteurs et représenté (certains de) leurs comportements de façon abstraite : des entreprises, résumées par une fonction d’offre et des consommateurs résumés par une fonction de demande. Nous avons également utilisé un concept, la notion « d’équilibre de marché » afin de penser les situations où les actions des acteurs sont compatibles entre elles. Cette petite représentation de l’économie nous permet déjà de réfléchir à des problèmes concrets (une pandémie, affectant le niveau de consommation) et éventuellement de penser à des politiques publiques : ici, si l’Etat pouvait « booster » la demande, l’activité augmenterait tout comme le niveau des prix.

La modélisation "mathématique" employée en économie peut-être critiquée sous de nombreux aspects : elle simplifie les comportements à l’extrême; elle ignore (souvent) les dynamiques historiques ou les cadres institutionnels des économies, etc. Toutefois, comme le remarque Paul Krugman [2], cette simplification du réel permet deux choses intéressantes qui expliquent en partie son succès : (a) elle permet de poser des questions de la forme « et si ? » Par exemple, le modèle précédent permet de commencer à réfléchir à « et si une pandémie mondiale affectait le pouvoir d’achat des consommateurs, comment serait affectée l’économie ? » (b) Elle permet de réfléchir aux instruments politiques pour éventuellement, corriger les problèmes économiques.



[1] David Romer (2006) dans son livre « Advanced Macroeconomics » met l’accent sur l’idée d’une représentation simplifiée du monde réel. Robert Sugden, dans un article devenu célèbre : « Credible worlds: the status of theoretical models in economics » (Journal of Economic Methodology, 2000, volume 7, pp.1-31.) a développé l’idée que les modèles sont des constructions abstraites mais qui doivent néanmoins être crédibles afin que l’on puisse en apprendre quelque chose (par inférence) sur le monde réel. Comme le modèle est plus simple que le monde réel, on peut mieux l'étudier et comprendre les mécanismes en jeu. Comme il s'agit d'une représentation crédible, ce qui se passe dans le modèle reste utile pour comprendre le monde réel.

[2] Ce paragraphe s’inspire de l’article de Paul Krugman, « THE NEW ECONOMIC GEOGRAPHY, NOW MIDDLE-AGED », présenté en avril 2010 devant l’association des géographes américains.