1.3 : Quelles sont les méthodes de la macroéconomie ?

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Cours: Macroéconomie 1 : La production et la répartition des richesses dans une économie
Livre: 1.3 : Quelles sont les méthodes de la macroéconomie ?
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Date: vendredi 27 décembre 2024, 01:52

1. La modélisation

Maintenant que les objets de la macroéconomie ont été abordés, comment s’organise le travail d’un macroéconomiste ? A quoi ressemble concrètement la macroéconomie ?

La macroéconomie est souvent considérée comme une discipline « théorique » : les économistes vont mettre au point des théories qui permettent de comprendre et d’étudier les phénomènes qui les intéressent, par exemple ceux développés plus haut : la croissance sur le très long terme ou au contraire, la manière dont est déterminée le « PIB » à court terme. Par ailleurs, s’il n’existe pas de consensus sur la manière dont sont créées les théories économiques, la modélisation et en particulier la modélisation « mathématique » semble aujourd’hui être la voie privilégiée.

Qu’est-ce qu’un modèle ? Là encore, il n’existe pas de consensus parmi les économistes. Toutefois, sans rentrer dans un débat technique, on pourrait dire qu’un modèle est une représentation abstraite, simplifiée mais néanmoins (sur certains aspects) crédible du monde réel. [1] Aussi en étudiant le fonctionnement du modèle, peut-on apprendre des choses sur le monde réel et les mécanismes qui y sont à l’œuvre.

Dans un modèle les (macro)économistes vont représenter les acteurs (ou groupe d'acteurs) qu’ils considèrent comme les plus importants dans une économie (l’Etat, les entreprises, les individus, etc.) et pour chacun de ces acteurs, ils vont définir leurs actions et la manière dont celles-ci peuvent dépendre de variables exogènes. Ces dernières sont des variables dont la valeur ne va pas être déterminée dans le modèle mais en dehors de celui-ci. Par exemple, un individu va probablement « consommer » et « travailler », une entreprise « produire », « investir » ou « embaucher », etc. Des variables exogènes pouvant influencer ces actions pourraient être le taux d’intérêt d’une économie, le niveau de progrès technologique, etc. Précisons immédiatement que ces variables exogènes dépendent du modèle étudié et peuvent différer d'un modèle (ou d'une théorie) à l'autre. Par exemple, le progrès technique est exogène dans le modèle de croissance de Solow, mais ne l'est plus dans les modèles de croissance de Lucas et de Romer.

Une fois les actions des acteurs définies, les économistes vont réfléchir aux situations où les actions des différents acteurs sont compatibles entre-elles. Cela est généralement analysé avec la notion « d’équilibre du marché » (cette notion est complexe et il existe une multiplicité de concepts d'équilibre en économie - pour l'heure on peut simplement retenir qu'un équilibre représente une situation où les actions des agents économiques sont compatibles entre elles).

Pour rendre les choses plus concrètes, imaginons une économie extrêmement simplifiée où il n’existe que deux types d’acteurs : les entreprises et les consommateurs. Les entreprises produisent des biens et les consommateurs les consomment. Aussi, pour le moment, on néglige complètement des institutions normalement extrêmement importantes comme les marchés financiers, le marché du travail, etc. Par ailleurs, pour nous simplifier la vie, nous faisons les hypothèses que :

  • La demande globale – c’est-à-dire la demande de l’ensemble des biens consommés dans l’économie – peut-être représentée par une droite d’équation : \( Q^D = D(p) = 40 - p \)\(p \) est un indice des prix dans notre économie. L'équation précédente indique alors que la quantité demandée (\( Q^D\)) est une fonction affine du prix (\( D(p) = 40 - p \)).

  • L’offre globale – c’est-à-dire l’offre de l’ensemble des biens dans l’économie – peut-être représentée par une droite d’équation : \( Q^O = O(p) = p \)\(p \) est toujours un indice des prix dans notre économie. L'équation précédente indique alors que la quantité offerte par les entreprises (\( Q^O\)) est une fonction affine du prix (\( O(p) = p \)).

Cette représentation simpliste de l’économie rejoint donc celle d’un marché prit en isolation. On peut alors définir « l’équilibre du marché » entre demande et offre globales comme le niveau de prix \(p^* \) et la quantité \(q^* \) (à la fois produite et consommée) telle que l’offre et la demande sont identiques. [Remarque: dans ce cas, les actions des acteurs sont effectivement compatibles dans le sens où la quantité que les consommateurs souhaitent consommer est justement celle produite par les producteurs.] Dans l’exemple ci-dessus, on peut très facilement retrouver l’équilibre en remarquant que la quantité demandée et la quantité offerte (i.e. produite à l’équilibre) doivent être égales. Cette égalité permet de trouver le prix d'équilibre. On obtient alors :

\( Q^D = Q^O \Leftrightarrow 40 - p = p \Leftrightarrow 40 = 2p \Leftrightarrow p = 20 \)

En utilisant ce prix d'équilibre et en "l'injectant" dans la demande ou dans l'offre, on peut alors retrouver la quantité d'équilibre. On en déduit alors : \( Q^D = 40 - 20 = 20 \) et on peut vérifier : \( Q^O = 20 \).
L’équilibre global est donc un niveau des prix égal à 20 et une quantité échangée égale aussi à 20.

L’intérêt pour les économistes de construire des modèles est qu’il devient possible d’étudier finement l’effet d’un choc. Dans notre exemple, imaginons qu’un choc extérieur à l’économie – comme l’émergence d’une pandémie mondiale – affecte le revenu des individus et donc, leur capacité à consommer. Dans notre exemple, imaginons que la demande globale devienne : \( Q^D = 30- p \).

En procédant comme avant, on peut vérifier que le nouvel équilibre sera : un niveau des prix égal à 15 et une quantité échangée égale à 15. En d’autres termes, notre modèle simpliste (et peu satisfaisant pour de multiples raisons) nous permet de réfléchir aux conséquences économiques d’une pandémie (dont le seul effet serait d'amoindrir la richesse des consommateurs). Il prévoit une contraction de l’activité économique (la quantité produite/consommée à « l’équilibre » diminue) et une tension déflationniste (le niveau des prix diminue). Le graphique 1 présente une illustration graphique de ce petit modèle.

Graphique 1 : Un exemple de graphique en macroéconomie

Encore une fois, ce premier modèle est simpliste ; toutefois, il s’agit bien d’un modèle. En effet, nous avons imaginé des acteurs et représenté (certains de) leurs comportements de façon abstraite : des entreprises, résumées par une fonction d’offre et des consommateurs résumés par une fonction de demande. Nous avons également utilisé un concept, la notion « d’équilibre de marché » afin de penser les situations où les actions des acteurs sont compatibles entre elles. Cette petite représentation de l’économie nous permet déjà de réfléchir à des problèmes concrets (une pandémie, affectant le niveau de consommation) et éventuellement de penser à des politiques publiques : ici, si l’Etat pouvait « booster » la demande, l’activité augmenterait tout comme le niveau des prix.

La modélisation "mathématique" employée en économie peut-être critiquée sous de nombreux aspects : elle simplifie les comportements à l’extrême; elle ignore (souvent) les dynamiques historiques ou les cadres institutionnels des économies, etc. Toutefois, comme le remarque Paul Krugman [2], cette simplification du réel permet deux choses intéressantes qui expliquent en partie son succès : (a) elle permet de poser des questions de la forme « et si ? » Par exemple, le modèle précédent permet de commencer à réfléchir à « et si une pandémie mondiale affectait le pouvoir d’achat des consommateurs, comment serait affectée l’économie ? » (b) Elle permet de réfléchir aux instruments politiques pour éventuellement, corriger les problèmes économiques.



[1] David Romer (2006) dans son livre « Advanced Macroeconomics » met l’accent sur l’idée d’une représentation simplifiée du monde réel. Robert Sugden, dans un article devenu célèbre : « Credible worlds: the status of theoretical models in economics » (Journal of Economic Methodology, 2000, volume 7, pp.1-31.) a développé l’idée que les modèles sont des constructions abstraites mais qui doivent néanmoins être crédibles afin que l’on puisse en apprendre quelque chose (par inférence) sur le monde réel. Comme le modèle est plus simple que le monde réel, on peut mieux l'étudier et comprendre les mécanismes en jeu. Comme il s'agit d'une représentation crédible, ce qui se passe dans le modèle reste utile pour comprendre le monde réel.

[2] Ce paragraphe s’inspire de l’article de Paul Krugman, « THE NEW ECONOMIC GEOGRAPHY, NOW MIDDLE-AGED », présenté en avril 2010 devant l’association des géographes américains.


2. Remarque - Le marché des biens et des services

En économie, on s’intéresse souvent à des échanges sur des marchés. Un marché est défini comme un lieu réel ou (le plus souvent) fictif sur lequel se rencontrent l’offre et la demande d’un produit. Un économiste pourrait par exemple s’intéresser au marché des smartphones avec d’un côté, les producteurs de smartphones (l’offre) et de l’autre, les acheteurs de smartphones (la demande).

En pratique, les contours d’un marché sont flous. Si l’on considère le cas des smartphones, il faudrait pouvoir opérer une distinction claire entre un smartphone et un téléphone normal. Il faudrait se demander si un tel marché existe véritablement ou s’il faut plutôt considérer un marché plus vaste : celui des téléphones portables ou des « moyens de communications ». En général, ce sont les économistes qui en fonction du problème qui se posent à eux, vont définir les contours d’un marché et cela peut donner lieu à des controverses : par exemple la question du contour d’un marché joue un grand rôle dans les litiges liés au droit de la concurrence.

En macroéconomie on étudie des économies dans leur ensemble. Celles-ci se composent d’une infinité de marchés. Il est souvent impossible de réfléchir à cette infinité de marchés simultanément, aussi les (macro)économistes vont souvent les regrouper en grandes catégories. On va par exemple trouver le « marché du travail », le « marché financier » qui sont des constructions intellectuelles. Imaginer qu'il existe un marché du travail permet de penser l’offre et la demande de travail ainsi que leur rencontre en « oubliant » qu’il existe en fait une multitude de types de travail (le travail non qualifié, le travail qualifié dans le domaine de l’ingénierie, le travail qualifié dans le domaine de la comptabilité, etc.) et donc une multitude de marchés du travail. De la même façon, sur les marchés financiers, on va souvent négliger la multitude de produits financiers et simplement modéliser le fait que des offreurs de capitaux peuvent rencontrer des personnes ou des entreprises ayant besoin de ces capitaux. On va également négliger le fait qu’il existe un marché pour chaque bien ou service et résumer l’ensemble de ces marchés via un marché fictif – le marché des biens et services.

Cette opération peut sembler "fausse" ou "incorrecte", mais elle joue finalement sur le fait que les frontières entre marchés sont souvent floues. Par ailleurs, simplifier un problème (par exemple réduire le nombre de marchés à étudier) peut être une première façon de l'approcher, avant d'introduire ensuite davantage de complexité.

Pour finir, on représente souvent les marchés avec deux courbes – une pour l’offre et une pour la demande – dans un graphique dont les axes sont les prix (en ordonnées - l'axe vertical) et les quantités (en abscisses - l'axe horizontal).

Le marché des biens et services peut se représenter de la même façon, il faut simplement interpréter un peu plus largement les axes du graphique : les quantités représentent maintenant l’ensemble de ce qui est produit dans l’économie ; les prix représentent plus généralement un « niveau des prix ». Ce niveau n’a pas d’interprétation directe (on ne peut pas dire que tel produit coute 10€ par exemple), mais on peut s’intéresser à la manière dont évolue ce niveau des prix : on peut par exemple voir s’il augmente ou diminue (ce qui est interprété comme des tensions inflationnistes et déflationnistes).

3. Les travaux empiriques

La macroéconomie ne se limite pas à des travaux théoriques et à la modélisation. Il existe aussi un important travail empirique effectué par les macroéconomistes mobilisant des observations du « monde réel » et des statistiques.

Encore une fois, la macroéconomie est « née » avec la crise de 1929. C’est en partie au travers de l’observation de cette crise, de ses conséquences et des politiques mises en œuvre pour la contrer (on peut penser au New Deal mis en place par Roosevelt après 1933) que Keynes a développé sa Théorie Générale. L’observation d’études de cas joue donc un rôle crucial en macroéconomie. C’est généralement suite à l’observation d’un phénomène encore mal compris, que les macroéconomistes vont formuler de nouvelles théories, affiner les théories existantes ou abandonner des théories jugées peu satisfaisantes.

Toutefois, même de « simples » observations exigent généralement un important travail en amont. Supposons par exemple qu’un économiste remarque que l’activité économique est plus soutenue en Allemagne qu’en France et qu’il postule que cela résulte d’un plus grand investissement des entreprises Allemandes par rapport aux entreprises Françaises. Par ailleurs, ce même économiste suggère que cela induit une différence de taux de chômage entre les deux pays, le taux étant plus faible en Allemagne.

Pour pouvoir faire cette constatation, notre économiste doit disposer d’une mesure (et d'une définition) de l’activité économique dans les deux pays. Ces mesures doivent par ailleurs être suffisamment semblables pour autoriser des comparaisons. De la même manière, notre économiste a besoin de pouvoir mesurer le niveau de l’investissement des entreprises dans les deux pays ainsi que leurs taux de chômage respectifs. Là encore, il faut que de telles mesures existent et que ces mesures soient suffisamment similaires pour être comparables.

Cette nécessité de « mesurer » des grandeurs économiques et si possible de les mesurer de telle sorte que des comparaisons entre pays, entre régions, etc. soient possibles a conduit à la mise en place de Systèmes de Comptabilité Nationale. La comptabilité nationale est donc un ensemble d’outils qui va définir des grandeurs économiques (PIB, consommation, investissement, etc.), étudier les relations entre ces grandeurs et surtout, chercher à les mesurer dans des économies réelles. Certaines des grandeurs définies par la comptabilité nationale jouent un rôle central en (macro)économie et plus généralement, dans les débats économiques (le PIB, le taux de croissance, la consommation des ménages, la dette, etc.), aussi est-il nécessaire de s’y intéresser plus longuement. Cela sera fait dans le chapitre 2 de ce cours où nous reviendrons en détail sur la notion de PIB

La partie empirique de la macroéconomie ne se limite pas à ces questions de mesure. On peut également chercher à anticiper l’évolution de l’économie à plus ou moins brève échéance. On peut également chercher à mesurer l’effet de politiques publiques mises en place. Ces deux questions jouent un rôle central dans le débat public. Lorsqu’un gouvernement définit son budget pour l’année suivante, il doit anticiper le montant des taxes et des impôts collectés. Ceux-ci dépendent de la consommation future, du niveau du chômage et de l’emploi dans un an, etc. cela exige donc d’avoir une idée de l’activité économique dans un an. De même, lorsqu’un Etat met en place une politique pour dynamiser la croissance (une réduction d’impôt, une hausse des dépenses publiques, etc.) cela a un coût pour l’Etat et peut-être, à terme, pour le contribuable. Il est également important de pouvoir mesurer l’impact des politiques passées afin d’en faire le bilan.

Ces questions sont maintenant au cœur de la recherche en macroéconomie comme en témoigne le « prix Nobel » accordé en 2011 aux chercheurs américains Thomas Sargent et Christopher Sims « pour leur recherche empirique sur la cause et l'effet en macroéconomie » (selon le comité en charge de ce prix Nobel). Toutefois, ces dernières questions sont complexes et nécessitent une expertise à la fois en macroéconomie et en statistique/économétrie. C’est pourquoi, à de rares exceptions près, elles ne sont abordées que tardivement dans les cursus de macroéconomie. Dans ce cours, nous ne nous en préoccuperons pas.