Cours de phonétique
2.3. Les voyelles
Nous savons maintenant que les voyelles sont des sons mélodiques et qu'un son mélodique, qu'il soit vocal ou instrumental, se caractérise sur le plan acoustique par :
-
un timbre
-
une hauteur
-
une intensité
-
une durée
Si nous comparons la voix d'homme et la voix de femme nous constatons une différence acoustique. Il en va de même entre la voix chantée et la voix parlée, entre la parole chuchotée et la parole criée. Toutes ces différences mettent en œuvre les différentes propriétés acoustiques des sons vocaliques. Il y a donc des variations de la voix qui concernent les sons du langage et celles qui relèvent de la variation individuelle. Il faut donc isoler parmi les propriétés acoustiques, celles qui sont pertinentes pour la description phonétique. Les quatre propriétés précédentes peuvent participer à la caractérisation du système vocalique des langues mais seule la variation de timbre est pertinente pour toutes les langues. La hauteur, l'intensité et la durée – propriétés regroupées sous le terme de prosodie – sont des variations facultatives dont l'emploi systématique varie selon les langues. En français notamment, il n'est fait d'usage systématique ni de la hauteur, ni de l'intensité, ni de la durée. Autrement dit, ni la hauteur, ni l'intensité, ni la durée ne sont pertinentes en français.
Le timbre suffit à caractériser les segments vocaliques. La hauteur, l'intensité, et la durée sont des caractéristiques qui viennent s'ajouter au timbre. Le timbre vocalique est représenté par un symbole phonétique tandis que les caractéristiques prosodiques sont signalées sous la forme de signes diacritiques ajoutés.
2.3.1. Le timbre et les résonateurs
Comme pour les instruments de musique le timbre d'une voyelle est déterminé en bonne partie par la résonance. La différence entre un violon, un alto, un violoncelle et une contrebasse, ou entre un saxophone soprano et un saxophone alto est due en bonne partie à la taille des parties creuses de l'instrument où se produisent les phénomènes de résonance. La résonance des voyelles varie en fonction du nombre et de la forme des résonateurs. Ces résonateurs sont constitués par les différentes cavités placées sur le passage de l'air expulsé. Les différents résonateurs sont le pharynx, la bouche, le nez et la cavité labiale. En ce qui concerne ce dernier résonateur, il s'agit de l'espace délimité par les lèvres et les dents, espace réduit, mais suffisant pour créer une différence de timbre :
2. résonateur nasal
3. résonateur buccal
4. résonateur labial
Tous les résonateurs ne sont pas d'égale importance : les fosses nasales et la cavité labiale peuvent ne pas être actives pour certaines voyelles, tandis que le pharynx et la bouche le sont toujours. Par ailleurs, seul le résonateur buccal peut varier en volume et en forme en fonction de l'ouverture de la bouche et de la position de la masse de la langue. Les autres résonateurs n'ont pas de partie suffisamment mobile pour créer une modification susceptible de changer le timbre de manière significative. Les fosses nasales et la cavité labiale ne sont pertinentes que par leur présence ou leur absence, tandis que le résonateur pharyngal, toujours présent et non-modulable, est non pertinent pour la variation vocalique.
Ces différentes propriétés sont résumées dans le tableau suivant :
| Résonateurs | ||||
|---|---|---|---|---|
| pharyngal | buccal | nasal | labial | |
| Modifiable | non | oui | non | non |
| Effaçable | non | non | oui | oui |
2.3.2. Description des voyelles
La description articulatoire du timbre des voyelles repose donc sur le nombre de résonateurs et sur la forme du résonateur buccal. Ce qui donne quatre propriétés pour la description des voyelles. Trois se présentent sous la forme d'une opposition tandis que la dernière comporte plus de deux valeurs. Ces propriétés sont les suivantes :
-
la nasalité
-
la labialité
-
la position de la masse de la langue
-
l'aperture
2.3.2.1. Le nombre de résonateurs
Les deux premières propriétés mettent en jeu d'une part, l'opposition entre voyelles orales et voyelles nasales, et d'autre part, l'opposition entre voyelles étirées et voyelles arrondies. Au pharynx et à la bouche peuvent s'ajouter les fosses nasales (ce qui donne des voyelles nasales) et la cavité labiale (ce qui donne des voyelles arrondies).
2.3.2.1.1. La nasalité
L'opposition entre voyelles orales et voyelles nasales ne tient pas au choix du résonateur mais à la différence entre deux résonateurs (pharynx et bouche) pour les voyelles orales et trois résonateurs (pharynx, bouche et fosses nasales) pour les voyelles nasales. Ce qui est en cause donc, c'est la présence ou l'absence du résonateur nasal. La nasalité des voyelles est notée par l'adjonction d'un signe diacritique (le tilde) sur la voyelle orale correspondante. En Europe, quelques langues font la distinction de nasalité pour les voyelles : français, portugais, polonais, irlandais. Quelques exemples :
| voyelles orales | voyelles nasales |
|---|---|
| [i] [ɑ] [e] [ɔ] [ɛ] [u] ... |
[ĩ] [ɑ̃] [ẽ] [ɔ̃] [ɛ̃] [ũ] ... |
2.3.2.1.2. La labialité
Il en va de même pour la seconde opposition : présence ou absence du résonateur labial. Lorsqu'il est présent, les lèvres sont arrondies (voyelles arrondies), lorsqu'il est absent, les lèvres sont étirées (voyelles étirées) :
| voyelles étirées | voyelles arrondies |
|---|---|
| [i] [e] [ɛ] ... |
[y] [ø] [œ] ... |
Point important : dans chacune des oppositions représentées dans ces tableaux, les oppositions sont minimales ; pas d'autres différences que celle visée par la propriété décrite. Par exemple, la différence entre les voyelles [i] et [y] se réduit au fait que l'une est une voyelle étirée et que la seconde est une voyelle arrondie. [y] est donc en quelque sorte un [i] qui bénéficie d'une résonance supplémentaire par l'arrondissement des lèvres.
2.3.2.2. La forme du résonateur buccal
Deux choses peuvent modifier la forme du résonateur buccal : la position de la masse de la langue et l'ouverture de la bouche (aperture).
2.3.2.2.1. La position de la masse de langue
Pour la position de la langue ou point d'articulation, la cavité buccale est divisée en deux zones : la zone antérieure ou palatale et la zone postérieure ou vélaire. On distingue ainsi le plus souvent deux séries de voyelles : les voyelles antérieures appelées aussi voyelles d'avant ou voyelles palatales, et les voyelles postérieures désignées également voyelles d'arrière ou encore voyelles vélaires. Comme précédemment, la seule différence entre la voyelle [y] et la voyelle [u] repose sur le point d'articulation :
| voyelles palatales | voyelles vélaires |
|---|---|
| [y] [ø] [œ] ... |
[u] [o] [ɔ] ... |
Certaines langues comme le roumain ou l'albanais distinguent trois points d'articulation :
| voyelles palatales | voyelles centrales | voyelles vélaires |
|---|---|---|
| [y] [ø] [œ] ... |
[ɨ] [ɘ] [ɜ] ... |
[u] [o] [ɔ] ... |
2.3.2.2.2. L'aperture
Le dernier critère est l'aperture des voyelles. Le plus souvent les langues comportent trois ou quatre degrés. L'aperture est observable par l'ouverture de la bouche. La bouche est plus ouverte pour la prononciation d'un [a] que pour celle d'un [i]. Il faut toutefois prendre garde de ne pas confondre l'aperture et l'ouverture de la bouche définie par les lèvres. l'aperture est définie par la distance entre la langue et le palais et non par la distance entre les deux lèvres. La différence entre l'aperture et l'ouverture de la bouche est particulièrement significative dans le cas des voyelles arrondies. L'arrondissement des lèvres pour la production des voyelles arrondies a pour effet de réduire l'ouverture de la bouche sans pour autant réduire l'aperture.
| voyelles palatales | voyelles vélaires | |
|---|---|---|
| voyelles fermées | [i] | [u] |
| voyelles mi-fermées | [e] | [o] |
| voyelles mi-ouvertes | [ɛ] | [ɔ] |
| voyelles ouvertes | [a] | [ɒ] |
| ... | ... |
2.3.3. Représentation des voyelles
L’ensemble des quatre propriétés des voyelles ne permet pas de regrouper toutes les voyelles en un seul tableau. Les voyelles orales et les voyelles nasales sont donc traitées séparément. Pour distinguer les voyelles étirés des voyelles arrondies dans ce type de représentation, il est d'usage d'employer parfois les parenthèses pour signaler les voyelles arrondies. Sinon, elles sont toujours placées à droite de la ligne délimitant le point d'articulation. La forme générale est celle d'un trapèze ou d'un triangle : trapèze lorsqu'il y a deux voyelles ouvertes et triangle lorsqu'il n'y a qu'une seule voyelle ouverte. Les deux représentations suivantes sont celles des voyelles orales du français :
La représentation en trapèze correspond au système vocalique du français qui maintient la distinction entre deux "a" : celui de patte [pat] ou de tache [taʃ] et celui de pâte [pɑt] ou de tâche [tɑʃ]. La représentation en triangle – avec un seul "a" – correspond au français contemporain le plus courant :
Consulter le document « Voyelles du français ».
Dans certaines représentations des voyelles du français, la voyelle ouverte [a] est placée à la pointe du triangle ; il faut prendre garde à ne pas interpréter pour autant cette voyelle comme une voyelle centrale. La voyelle [a] est une voyelle ouverte, étirée et antérieure.
Le choix d'une représentation en trapèze ou en triangle se justifie par les propriétés articulatoires et acoustiques des voyelles. Cette géométrie permet de rendre compte de la corrélation qui existe entre la position de la masse de la langue et l'aperture : plus l'aperture est grande, plus les distinctions sont réduites. Il y a par conséquent toujours plus de voyelles fermées que de voyelles ouvertes, et ce, dans toutes les langues. Cela tient au fait que la langue se retire vers l'arrière lorsque la bouche s'ouvre.
Faire les exercices 8, 9, 10, 11, 12 et 13.
2.3.4. Diphtongues et triphtongues
Les voyelles se caractérisent principalement par leur timbre. Une voyelle simple n’a qu’un seul timbre. Les diphtongues et les triphtongues sont des voyelles complexes qui ont une variation de timbre. Les diphtongues ont deux timbres, les triphtongues, trois. Les diphtongues sont beaucoup plus fréquentes que les triphtongues.
Contrairement aux voyelles simples pour lesquelles les organes phonatoires ont une configuration constante le temps que dure le voisement, les diphtongues et triphtongues sont réalisées avec un changement de configuration. Pour une diphtongue, chacune des configurations correspond au timbre d’une voyelle simple. Du fait de ce changement, les diphtongues et triphtongues ont une durée plus grande que les voyelles simples. Dans les langues qui connaissent la distinction entre voyelles brèves et voyelles longues et qui ont des diphtongues, les diphtongues sont d’une durée équivalente à celles des voyelles longues. Le point important ici est que les diphtongues et les triphtongues sont des voyelles uniques.
Exemples de diphtongues :
| anglais | light | [la͡ɪt] | lumière |
| boy | [bɔ͡ɪ] | garçon | |
| house | [ha͡ʊs] | maison | |
| bow | [bə͡ʊ] | arc | |
| beer | [bɪ͡əɹ] | bière | |
| poor | [pʊ͡əɹ] | pauvre | |
| finnois | tie | [ti͡e] | chemin |
| yö | [y͡ø] | nuit | |
| sauna | [sɑ͡unɑ] | sauna | |
| poika | [po͡ikɑ] | garçon | |
| tuoli | [tu͡oli] | chaise | |
| äiti | [æ͡iti] | mère | |
| vietnamien | bia | [bi͡a1] | bière |
| mưa | [mɯ͡a1] | pluie | |
| cua | [ku͡a1] | crabe | |
| tiên | [ti͡ən1] | d’abord | |
| tuôn | [tu͡on1] | rincer | |
| đưa | [ɗɯ͡ə1] | donner |
Le numéro inclus dans la transcription phonétique indique le ton (6 tons en vietnamien). Voir plus loin la partie consacrée à la prosodie.
Exemples de triphtongues en anglais :
| fire | [fai͡əɹ] | feu |
| flower | [fla͡uəɹ] | fleur |
Vous pouvez entendre des exemples de diphtongues et triphtongues en vietnamien dans le document complémentaire (phonétique du vietnamien).
Consulter le document multimédia « Phonétique du vietnamien ».
Avec l’alphabet phonétique international les diphtongues sont notées au moyen de deux symboles : [a͡u] ou [au] ; le premier modèle s’applique aux diphtongues dont les deux timbres sont au même plan, tandis que le second est utilisé pour les diphtongues dont les deux timbres s’analysent en un timbre principal et un timbre secondaire.
Le français standard n’a pas de diphtongues. Les mots tels que lait, peu, haut, fou... contiennent une voyelle simple ([ɛ], [pø], [o], [fu]) écrite au moyen d’un digraphe (deux lettres). Les mots tels que haïr, maïs, néon, idéal... ont deux voyelles simples contiguës ([aiʁ], [mais], [neɔ̃], [ideal]). Les mots tels que loi, nuit, lion, juin... ont une voyelle simple précédée d’une semi-consonne ([lwa], [nɥi], [ljɔ̃], [jɥɛ̃]). Les semi-consonnes sont traitées dans la partie qui suit.
On trouve cependant des diphtongues en franco-québécois :
| sable | [saubl] | pâte | [paut] | poire | [pwaiʀ] |
| père | [paeʀ] | cœur | [kaœʀ] | pinte | [pɛɛ̃t] |
