6.5. "Hyper-capitalismes", financiarisation des entreprises et montée des inégalités

La financiarisation des stratégies des firmes

Les caractéristiques des firmes ont considérablement changé depuis la révolution industrielle, comme le montre le tableau 6.5.1. L’objectif prioritaire des managers des entreprises du capitalisme financiarisé est de créer de la valeur actionnariale (maximiser l’Economic Value Added, c’est-à-dire le résultat économique de l’entreprise une fois rémunérés les capitaux propres et empruntés), et d’engendrer des plus-values sur les actions de l’entreprise afin que le cours de l’action augmente et que les investisseurs maintiennent leur investissement. Cet objectif l’emporte donc sur les objectifs de croissance de la production et de l’emploi qui prévalaient dans le régime de capitalisme précédent. Il en résulte une « financiarisation » des stratégies des firmes qui se décompose en plusieurs politiques complémentaires : réduction des coûts salariaux, délocalisations, rationalisation de la production permettent d’augmenter les profits, tandis que l’externalisation et le rachat par l’entreprise de ses propres actions sur le marché permettent de réduire le capital immobilisé.

Tableau 6.5.1. Caractéristiques des firmes et modèles historiques de capitalisme

Evolution historique des capitalismes

Selon Aglietta et Rebérioux (2004), le principe de l’EVA qui fonde l’évaluation de la création de valeur actionnariale (une valeur n’est créée qu’au-delà d’un seuil minimum de rentabilité – donné par le coût du capital investi évalué par le marché) transforme l’actionnaire de preneur de risque en créancier protégé, comme des prêteurs. Or, cette réduction du risque porté par les actionnaires s’accompagne nécessairement d’une augmentation du risque assumé par les autres parties prenantes : les salariés (individualisation des rémunérations, flexibilité des contrats), sous-traitants etc.  La part des dividendes dans les profits est ainsi passée de 25% en 1980 à 50% en 1990 et s’est stabilisée à ce niveau pendant toutes les années 1990 malgré une augmentation des profits. De 1998 à 2003, la baisse des profits s’accompagne d’une augmentation de la part des dividendes jusqu’à 83% en 2003 : les revenus des actionnaires sont donc garantis par les nouveaux modes d’évaluation de la performance financière imposés par les marchés financiers et les investisseurs institutionnels.

C’est l’actionnaire qui dirige l’entreprise désormais. Toutefois, il ne s'agit généralement plus d'un individu, mais souvent de fonds de placement ou de fonds de pensions, ou de banques chargées de faire fructifier l'épargne des déposants, exigeant qu'ils soient petits ou grands. Mais les managers conservent malgré tout une réelle autonomie de décision dans la plupart des firmes dont le capital accueille des investisseurs institutionnels. Certains économistes contestent enfin l’effectivité de cette nouvelle puissance des actionnaires au sein de l'entreprise. Pour le prix Nobel Joseph Stiglitz (2004) les entreprises sont toujours aux mains des managers et des comptables qui ne fournissent pas aux actionnaires des données réelles sur la santé des entreprises et n'hésitent pas à voler ces derniers via des manœuvres financières incomprises, en particulier la distribution de stock-option. Exemple : les scandales Enron et autres des années 2000.