6.5. "Hyper-capitalismes", financiarisation des entreprises et montée des inégalités

« New corporate governance » et montée en puissance de l’actionnaire

La norme de la « corporate governance » et de la valeur actionnariale se développent dans les années 1970 et s’impose dans les systèmes juridiques à partir des années 1990 dans tous les pays de l’OCDE. L’article de Jensen et Meckling (1976) Theory of the firm : managerial behavior, agency costs and ownership structure, Journal of Financial Economics est un des plus cités pour justifier cette nouvelle approche de la gouvernance et des objectifs des firmes. Son argument central est que l’entreprise est représentée comme un lieu où cohabitent des intérêts contradictoires avec pour fonction unique de maximiser la richesse des actionnaires. 

La relation entre actionnaires et dirigeants est désormais conçue comme la recherche d’un contrat optimal en asymétrie d’information, celui qui maximise le contrôle tout en minimisant les coûts de ce contrôle. La firme se comporte de façon optimale compte-tenu de l’asymétrie d’information et des comportements opportunistes des managers (optimum de second rang) lorsqu’elle maximise l’utilité des actionnaires ; tous les mécanismes qui permettent d’aligner les intérêts des managers sur ceux des actionnaires rapprochent de l’optimum de premier rang : pression des marchés financiers et des investisseurs, CA composé par les représentants des actionnaires et d’administrateurs indépendants qui devient un organe de sanction et de contrôle plutôt que d’orientation stratégique. 

La bonne gouvernance de l’entreprise est alors la structure d’incitation, de contrôle et de sanction qui permet de maximiser le contrôle sur le manager (qui a intérêt à détourner les ressources de son entreprise à son profit tout en dissimulant l’information pour les actionnaires), tout en minimisant les coûts de ce contrôle (en termes de surveillance mais également de dépenses d’allégeance du manager.

A un capitalisme familial puis managérial succède donc un capitalisme financier dominé par les fonds d’investissement que la globalisation financière a placé en position d’acteur majeur dans la participation au capitalisme mondial. Ces fonds d’investissement ont favorisé l’émergence de nouvelles règles d’organisation et de gestion des firmes : la gouvernance. Ils ont eu un rôle déterminant dans la diffusion de la valeur actionnariale. Soucieux de rentabiliser les titres qu’ils gèrent au nom de leurs mandataires, ces investisseurs ont profité de leur poids croissant sur les marchés des capitaux pour renforcer leurs exigences envers les dirigeants de société. Même si leur poids dans le capital social des entreprises reste faible dans l’absolu, ils pèsent relativement lourd face à un actionnariat très dispersé. Dans un contexte de contrôle externe des managers, les gros investisseurs institutionnels (assurances, fonds de pension) se comportent comme des actionnaires traditionnels et leur objectif est la maximisation de la valeur de leurs participations financières dans les entreprises.