5.3 : Redistribution, consommation, investissement et croissance

4. Redistribution et activité économique

On peut maintenant boucler notre raisonnement. Quel est le lien entre politique macroéconomique visant à stimuler la croissance, opérations de redistribution et inégalités ?

Nous restons dans le cadre d’une économie fermée (sans exportations ni importations). Dans ce cadre, on peut toujours écrire le PIB comme la somme de l’investissement et des dépenses de consommation :

\( Y = C + I \)

Si l’État souhaite stimuler la croissance, il est donc utile de chercher à stimuler l’investissement ou au contraire à stimuler la consommation.

Reprenons l’exemple précédent où on redistribuait 100€ des riches vers les pauvres. Comme nous l’expliquions, cette opération augmentait la consommation.

Diminuer les inégalités entre riches et pauvres en organisant une redistribution des premiers vers les derniers va donc stimuler la consommation. Est-ce à dire que c’est nécessairement positif pour l’activité économique à court terme ? [1] Tout dépend de l’investissement !


En effet, si l’opération de redistribution engendre un effondrement de l’investissement, alors elle va être néfaste. Au contraire, si l’investissement ne varie pas ou augmente, cette opération de redistribution va être positive.

Reprenons la distinction entre visions classique et keynésienne de la relation \( I = S \).

  • Chez les classiques, l’épargne engendre l’investissement. Aussi, notre opération de redistribution, si elle augmente la consommation, va également diminuer l’épargne et donc diminuer l’investissement.
    Dans cette logique, l’opération de redistribution n’aura aucun impact sur l’activité économique globale. Elle pourrait être nuisible si nous considérons que l'Etat ne peut pas redistribuer l'ensemble de la somme (frais administratifs, corruption, etc.) ou si cela induit de mauvaises incitations chez les acteurs économiques (par exemple, si cela décourage les entrepreneurs). 

  • Chez les keynésiens, l’investissement engendre l’épargne et n'est donc pas causé par l'épargne. Aussi la diminution de l’épargne n’a pas d’impact direct sur l’investissement. On peut alors se demander ce qui va impacter l’investissement ? Parmi de nombreux facteurs, les keynésiens vont souligner le rôle de la demande anticipée : si les entreprises anticipent une demande future importante, elles vont investir pour répondre à cette demande. Mais dans ce cas, si l’opération de redistribution est pérenne (par exemple, on va redistribuer 100€ des plus riches vers les plus pauvres chaque mois) alors les entreprises vont effectivement anticiper une plus forte demande à l’avenir. Aussi, l’investissement pourrait s’accroître.

 

Pour conclure, on peut faire deux remarques :

(1)   Ce chapitre illustre que des différences d’hypothèses ou de croyances sur le fonctionnement de l’économie vont avoir des conséquences importantes sur les recommandations de politiques publiques. Dans un cas, des opérations de redistribution devraient avoir un impact positif sur le niveau de l’activité économique, dans l’autre, elles n'en auraient pas ou seraient nuisible.

(2)   Rappelons par ailleurs que l’ensemble du débat présenté ici sur la pertinence des opérations de redistribution (et donc de limitation des inégalités) est instrumental. Il vise seulement à augmenter le niveau de l’activité économique. Un individu peut très bien penser que redistribuer les richesses va stimuler l’activité économique mais s’y opposer pour des raisons morales (car cela implique une violation du droit de propriété par exemple) ou, à l’inverse, penser que redistribuer les richesses est néfaste d’un point de vue économique mais préférer tout de même redistribuer les richesses car sa conception d’une société juste ne tolère pas de fortes inégalités.



[1] A long terme, les questions d’incitations, de capital humain, etc. évoquées en introduction de ce chapitre vont aussi avoir une importance cruciale. Ici, on ne se soucie pas de ces facteurs.