5.3 : Redistribution, consommation, investissement et croissance
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Cours: | Macroéconomie 1 : La production et la répartition des richesses dans une économie |
Livre: | 5.3 : Redistribution, consommation, investissement et croissance |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | jeudi 26 décembre 2024, 12:24 |
1. Une rapide introduction
Nous allons maintenant discuter de la manière dont les politiques de redistribution (i.e. prélever de l’argent aux « riches » pour le donner « aux pauvres ») affectent la croissance économique à court terme. Bien loin de clore le débat – nous allons surtout en souligner la complexité.
Toutefois, pour ce faire, nous allons devoir passer par quelques étapes intermédiaires.
2. Egalité entre épargne et investissement
Le premier des points intermédiaires nécessaires à notre démonstration est l’égalité entre l’investissement et l’épargne.
Pour démontrer cette égalité, nous allons considérer une économie fermée (sans importations ni exportations). Considérer une économie ouverte ne changerait pas fondamentalement la donne, mais complexifierait énormément la discussion.
Dans ce cadre, on peut faire
trois observations :
(1)
Le PIB est la somme des revenus (le PIB comme
somme des revenus est souvent noté \(Y\)).
(2)
Les revenus sont soit utilisés pour des dépenses
de consommations, soit épargnés : \( Y = C + S \)
Remarque : l'épargne est notée \(S \) pour "savings."
(3)
Le PIB est la somme des dépenses de
consommation finales et de la formation brute de capital. La formation brute de
capital correspond à ce que l’on appelle l’investissement dans le langage
« ordinaire » : \( Y = C + I \)
Le point numéro 1 et le
point numéro 3 sont des simples conséquences de la définition du PIB.
Pour le point 3, nous avons utilisé l'approche par la demande du PIB en
considérant une économie fermée. Aussi, le commerce extérieur (X-M)
disparait. Il ne reste que la consommation et la formation brute de
capital. Cette dernière, quand les stocks et l'acquisition d'objets de
valeur ne sont pas trop importants correspond à la formation brute de
capital fixe ou plus simplement, à l'investissement. Le point
numéro 2 découle d’une simple constatation. Si on donne 1€ à quelqu’un,
cet
individu peut soit dépenser cet euro, soit le garder pour plus tard et
donc,
l’épargner. [Une remarque: les économistes définissent l'épargne comme
un revenu non consommés. Si vous "perdez" une pièce d'un euro, un
économiste considèrera que vous l'avez utilisée.]
Par ailleurs, la réunion de ces deux équations précédentes donne immédiatement \( S = I \)
Cette égalité est une égalité comptable. Elle est toujours vérifiée (on dit parfois qu’elle est toujours vérifiée ex-post) ; toutefois, ces manipulations d’équations ne rendent pas forcément apparent les mécanismes économiques qui la sous-tendent.
Deux visions
s’affrontent d’ailleurs sur les mécanismes à l’œuvre derrière cette égalité.
Pour simplifier, nous qualifierons ces visions de classique (ou libérale) et de keynésienne :
- La vision classique : C’est
l’épargne qui « génère » les investissements. Une épargne plus
abondante signifie plus de capitaux prêtables aux acteurs ayant besoin de fonds.
Le coût lié à l’acquisition de ces capitaux va alors diminuer, ce qui va
pousser des entreprises à emprunter (utiliser ces capitaux) afin de réaliser des investissements.
Remarque: Cette logique correspond à un choc d’offre sur le marché des fonds prêtables sur lequel les offreurs sont les ménages en capacité de financement (ceux disposant d’une épargne) et les demandeurs sont les entreprises cherchant à obtenir des capitaux afin d’investir. Sur ce marché, le « prix » est le taux d’intérêt et il s’ajuste afin d’équilibrer le marché.
- La
vision keynésienne : Chez Keynes, c’est au contraire l’investissement qui
créé l’épargne. Lorsque les entreprises investissent, elles stimulent
l’activité économique. Cela génère de nouveaux revenus dans cette économie dont
une partie sera alors épargnée. Cette nouvelle épargne va être rigoureusement
égale au montant de l’investissement (pour des raisons techniques que nous
n’aborderons pas).
3. La loi psychologique fondamentale
La deuxième étape intermédiaire
afin de discuter des politiques de soutien à la croissance, de redistribution et des inégalités
est de constater que les individus les plus riches épargnent davantage que les
individus les plus pauvres. Par ailleurs, cette constatation est surtout vraie sur les derniers euros gagnés par ces individus.
Cette constatation largement
vérifiée empiriquement (les « riches » épargnent plus) est souvent associée
à la loi psychologique fondamentale formulée
par Keynes dans la Théorie Générale :
« la loi psychologique fondamentale sur laquelle nous pouvons nous
appuyer en toute sécurité, à la fois à priori en raison de notre connaissance
de la nature humaine et à posteriori en raison des renseignements détaillés de
l'expérience, c'est qu'en moyenne et la plupart du temps les hommes ont
tendance à accroître leur consommation à mesure que le revenu croit, mais non
d'une quantité aussi grande que l'accroissement du revenu » . (Keynes,
TG, 1936 – Propension à consommer,
section III)
Cette observation à une conséquence majeure. Imaginons que nous ayons deux individus : un riche et un pauvre et que nous prélevions 100€ du riche et que nous le donnions au pauvre. Que va-t-il se passer ?
D’après ce que nous venons d’énoncer, il est très vraisemblable que la consommation globale (la somme des consommations de ces deux individus) augmente et que l’épargne globale (la somme des épargnes de ces deux individus) diminue. En effet, le « riche » devait épargner une grande partie de ces 100€ quand le pauvre va vraisemblablement dépenser une large partie de ces 100€.
Par exemple, sur ces derniers 100€ perçus, le "riche" épargnait peut-être 75€ et en dépensait 25€.
Sur ces nouveaux 100€ obtenus, le "pauvre" va peut-être épargner 10€ et dépenser 90€.
Dans ce cas, l'épargne totale diminue de 65€ (=75-10). La consommation augmente de 65€ (=90-25).
4. Redistribution et activité économique
On peut maintenant boucler notre raisonnement. Quel est le lien entre politique macroéconomique visant à stimuler la croissance, opérations de redistribution et inégalités ?
Nous restons dans le cadre d’une économie fermée (sans exportations ni importations). Dans ce cadre, on peut toujours écrire le PIB comme la somme de l’investissement et des dépenses de consommation :
\( Y = C + I \)
Si l’État souhaite stimuler la croissance, il est donc utile de chercher à stimuler l’investissement ou au contraire à stimuler la consommation.
Reprenons l’exemple précédent où on redistribuait 100€ des riches vers les pauvres. Comme nous l’expliquions, cette opération augmentait la consommation.
Diminuer les inégalités entre riches et pauvres en organisant une redistribution des premiers vers les derniers va donc stimuler la consommation. Est-ce à dire que c’est nécessairement positif pour l’activité économique à court terme ? [1] Tout dépend de l’investissement !
En effet, si l’opération de redistribution engendre un effondrement de l’investissement, alors elle va être néfaste. Au contraire, si l’investissement ne varie pas ou augmente, cette opération de redistribution va être positive.
Reprenons la distinction entre visions classique et keynésienne de la relation \( I = S \).
- Chez les classiques,
l’épargne engendre l’investissement. Aussi, notre opération de redistribution,
si elle augmente la consommation, va également diminuer l’épargne et donc
diminuer l’investissement.
Dans cette logique, l’opération de redistribution n’aura aucun impact sur l’activité économique globale. Elle pourrait être nuisible si nous considérons que l'Etat ne peut pas redistribuer l'ensemble de la somme (frais administratifs, corruption, etc.) ou si cela induit de mauvaises incitations chez les acteurs économiques (par exemple, si cela décourage les entrepreneurs).
- Chez les keynésiens, l’investissement engendre l’épargne et n'est donc pas causé par l'épargne. Aussi la diminution de l’épargne n’a pas d’impact direct sur l’investissement. On peut alors se demander ce qui va impacter l’investissement ? Parmi de nombreux facteurs, les keynésiens vont souligner le rôle de la demande anticipée : si les entreprises anticipent une demande future importante, elles vont investir pour répondre à cette demande. Mais dans ce cas, si l’opération de redistribution est pérenne (par exemple, on va redistribuer 100€ des plus riches vers les plus pauvres chaque mois) alors les entreprises vont effectivement anticiper une plus forte demande à l’avenir. Aussi, l’investissement pourrait s’accroître.
Pour conclure, on peut faire deux remarques :
(1) Ce chapitre illustre que des différences d’hypothèses ou de croyances sur le fonctionnement de l’économie vont avoir des conséquences importantes sur les recommandations de politiques publiques. Dans un cas, des opérations de redistribution devraient avoir un impact positif sur le niveau de l’activité économique, dans l’autre, elles n'en auraient pas ou seraient nuisible.
(2) Rappelons par ailleurs que l’ensemble du débat présenté ici sur la pertinence des opérations de redistribution (et donc de limitation des inégalités) est instrumental. Il vise seulement à augmenter le niveau de l’activité économique. Un individu peut très bien penser que redistribuer les richesses va stimuler l’activité économique mais s’y opposer pour des raisons morales (car cela implique une violation du droit de propriété par exemple) ou, à l’inverse, penser que redistribuer les richesses est néfaste d’un point de vue économique mais préférer tout de même redistribuer les richesses car sa conception d’une société juste ne tolère pas de fortes inégalités.
[1] A long terme, les questions d’incitations, de capital humain, etc. évoquées en introduction de ce chapitre vont aussi avoir une importance cruciale. Ici, on ne se soucie pas de ces facteurs.
5. L'essentiel - vidéo
https://mediapod.u-bordeaux.fr/video/8504-macro-pas-1-chap-5-cap-3/
Remarque: dans ces vidéos, j'utilise "S" pour symboliser l'épargne.