2.5 : Le PIB, un outil sans limite ?

2. Ce que le PIB ne mesure pas... ou mal...

Nous avons déjà abordé une limite importante du PIB : son utilisation des prix de vente. Ceci pose toutefois problème puisque de nombreux biens et services n’ont pas de prix de vente ! C’est le cas de bon nombre de services publics. Prenons l’exemple de l’éducation (du moins, en France). Cette activité est-elle comptabilisée dans le PIB et comment ?

De fait, la comptabilité nationale prend en compte la production non-marchande qui comprend les services gratuits ou quasi-gratuits. Ceux-ci sont définis comme les services dont les prix sont inférieurs à 50% du coût de production et pour lesquels le prix n’est donc pas « économiquement significatif ». Pour les intégrer dans le calcul du PIB, la comptabilité nationale retient alors comme valeur de la production le coût de production de ces services. La valeur ajoutée de ces services – une fois que les dépenses de consommations intermédiaires sont enlevées à la valeur de la production – correspond donc principalement aux salaires payés lors de la création de ces services et à l’usure liée à l’utilisation de capital fixe.

Cette prise en compte des productions non marchandes peut sembler technique ; elle va toutefois impacter la valeur du PIB de différentes façons. En premier lieu, on peut remarquer qu’augmenter les salaires dans certaines administrations (l’Education Nationale en France par exemple) augmenterait mécaniquement le PIB. En second lieu, privatiser des services publics risque d’augmenter le PIB ! Imaginons qu’une école devienne privée, payante et qu’elle dégage un profit (c’est après tout le but d’une entreprise privée), alors le PIB du pays va augmenter car sa valeur ajoutée est maintenant supérieure aux salaires de ses personnels (par hypothèse, puisqu’elle réalise un profit). Or, le service « d’éducation » rendu aux étudiants sera le même. Loin d’être négligeable, ce point peut sensiblement influencer des différences de valeur du PIB entre pays quand les services publics dans l’un (et notamment, l’éducation, la santé, etc.) sont des services marchands dans l’autre.

Au-delà des services publics, de nombreuses activités économiques ne sont pas comptabilisées dans le PIB. Considérons l’activité « faire le ménage » au sein d’un foyer. Cette activité est souvent réalisée par les membres du ménage et n’est pas comptabilisée dans le PIB. Toutefois, il est possible de payer afin que cette tâche soit réalisée par une personne extérieure au ménage. Que l’on puisse payer pour obtenir ce service suggère qu'il a bien « une valeur » et si l'on souhaite mesurer l'activité économique d'un pays, il faudrait donc prendre en compte cette activité. Toutefois tant qu’elle est réalisée par les membres d'un ménage (et non par un employé), elle n’est pas comptabilisée. [1]

De même, un certain nombre d’activités vont échapper au calcul du PIB. C’est le cas notamment des activités non déclarées et/ou illégales. On peut se poser la question de l’opportunité d’intégrer ces éléments dans le PIB. Toutefois, si l’objectif est de créer un indicateur mesurant au mieux « l’activité économique » dans son ensemble, alors elles doivent être prises en compte : ce n’est pas parce qu’une activité est illégale qu’elle n’existe pas (et ne participe pas au revenu, donc à la consommation et à l'investissement des ménages). On peut d’ailleurs noter que la légalité n’est pas un concept économique et les activités légales et illégales évoluent au cours du temps : une activité légale peut-être interdite (par exemple, la vente d’alcool pendant la prohibition aux Etats-Unis) et une activité illégale peut devenir légale (par exemple, la vente de cannabis dans certains pays). Sur ce point des activités illégales et à titre anecdotique, on peut noter qu’en France depuis 2018, l’INSEE intègre des estimations de la valeur du trafic de drogue dans le calcul du PIB afin de s’aligner sur les autres pays européens.



[1] Ce paragraphe reprend l’exemple célèbre d’Alfred Sauvy (1898-1990) qui remarquait : « Épousez votre femme de ménage, et vous ferez baisser le PIB. »
Au-delà de cet exemple un peu daté, ce problème souligne que la valeur du PIB dépend très largement de l'importance accordée à la sphère marchande au sein d'une économie. Si certaines activités sont réalisées à titre bénévole au sein du foyer ou au sein d'associations, elles ne seront pas prise en compte dans le PIB. En revanche, la même activité réalisée dans la sphère marchande conduira à une hausse du PIB.