2.5 : Le PIB, un outil sans limite ?

Site: Moodle Université Numérique
Cours: Macroéconomie 1
Livre: 2.5 : Le PIB, un outil sans limite ?
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: mardi 7 mai 2024, 07:37

1. Intro

Maintenant que nous avons présenté le PIB et son intérêt plus en détail, il convient de discuter également des limites de cet outil. De fait, le PIB est loin d’être un outil parfait. Rappelons que son but initial est de mesurer l’activité économique, or il y a des éléments qui sont mal comptabilisés ou non comptabilisés dans le PIB. Nous évoquerons ensuite la crise environnementale et le fait que le PIB ne prend pas en compte la destruction des ressources naturelles. Enfin, nous reviendrons sur le fait que le PIB n’est pas un indicateur de « bien être ».


2. Ce que le PIB ne mesure pas... ou mal...

Nous avons déjà abordé une limite importante du PIB : son utilisation des prix de vente. Ceci pose toutefois problème puisque de nombreux biens et services n’ont pas de prix de vente ! C’est le cas de bon nombre de services publics. Prenons l’exemple de l’éducation (du moins, en France). Cette activité est-elle comptabilisée dans le PIB et comment ?

De fait, la comptabilité nationale prend en compte la production non-marchande qui comprend les services gratuits ou quasi-gratuits. Ceux-ci sont définis comme les services dont les prix sont inférieurs à 50% du coût de production et pour lesquels le prix n’est donc pas « économiquement significatif ». Pour les intégrer dans le calcul du PIB, la comptabilité nationale retient alors comme valeur de la production le coût de production de ces services. La valeur ajoutée de ces services – une fois que les dépenses de consommations intermédiaires sont enlevées à la valeur de la production – correspond donc principalement aux salaires payés lors de la création de ces services et à l’usure liée à l’utilisation de capital fixe.

Cette prise en compte des productions non marchandes peut sembler technique ; elle va toutefois impacter la valeur du PIB de différentes façons. En premier lieu, on peut remarquer qu’augmenter les salaires dans certaines administrations (l’Education Nationale en France par exemple) augmenterait mécaniquement le PIB. En second lieu, privatiser des services publics risque d’augmenter le PIB ! Imaginons qu’une école devienne privée, payante et qu’elle dégage un profit (c’est après tout le but d’une entreprise privée), alors le PIB du pays va augmenter car sa valeur ajoutée est maintenant supérieure aux salaires de ses personnels (par hypothèse, puisqu’elle réalise un profit). Or, le service « d’éducation » rendu aux étudiants sera le même. Loin d’être négligeable, ce point peut sensiblement influencer des différences de valeur du PIB entre pays quand les services publics dans l’un (et notamment, l’éducation, la santé, etc.) sont des services marchands dans l’autre.

Au-delà des services publics, de nombreuses activités économiques ne sont pas comptabilisées dans le PIB. Considérons l’activité « faire le ménage » au sein d’un foyer. Cette activité est souvent réalisée par les membres du ménage et n’est pas comptabilisée dans le PIB. Toutefois, il est possible de payer afin que cette tâche soit réalisée par une personne extérieure au ménage. Que l’on puisse payer pour obtenir ce service suggère qu'il a bien « une valeur » et si l'on souhaite mesurer l'activité économique d'un pays, il faudrait donc prendre en compte cette activité. Toutefois tant qu’elle est réalisée par les membres d'un ménage (et non par un employé), elle n’est pas comptabilisée. [1]

De même, un certain nombre d’activités vont échapper au calcul du PIB. C’est le cas notamment des activités non déclarées et/ou illégales. On peut se poser la question de l’opportunité d’intégrer ces éléments dans le PIB. Toutefois, si l’objectif est de créer un indicateur mesurant au mieux « l’activité économique » dans son ensemble, alors elles doivent être prises en compte : ce n’est pas parce qu’une activité est illégale qu’elle n’existe pas (et ne participe pas au revenu, donc à la consommation et à l'investissement des ménages). On peut d’ailleurs noter que la légalité n’est pas un concept économique et les activités légales et illégales évoluent au cours du temps : une activité légale peut-être interdite (par exemple, la vente d’alcool pendant la prohibition aux Etats-Unis) et une activité illégale peut devenir légale (par exemple, la vente de cannabis dans certains pays). Sur ce point des activités illégales et à titre anecdotique, on peut noter qu’en France depuis 2018, l’INSEE intègre des estimations de la valeur du trafic de drogue dans le calcul du PIB afin de s’aligner sur les autres pays européens.



[1] Ce paragraphe reprend l’exemple célèbre d’Alfred Sauvy (1898-1990) qui remarquait : « Épousez votre femme de ménage, et vous ferez baisser le PIB. »
Au-delà de cet exemple un peu daté, ce problème souligne que la valeur du PIB dépend très largement de l'importance accordée à la sphère marchande au sein d'une économie. Si certaines activités sont réalisées à titre bénévole au sein du foyer ou au sein d'associations, elles ne seront pas prise en compte dans le PIB. En revanche, la même activité réalisée dans la sphère marchande conduira à une hausse du PIB.


3. PIB et environnement

Nous traversons une grave crise environnementale. Celle-ci est notamment caractérisée par une chute massive de la biodiversité et par un réchauffement climatique. Le rôle de l’homme dans cette crise n’est plus à démontrer et dans le graphique 1, on peut observer les évolutions respectives du PIB par tête dans différent pays et l’évolution de la concentration du CO2 dans l’atmosphère terrestre. Après 1850 (symbolisé par la barre verticale rouge) et la révolution industrielle, on observe une augmentation à la fois du PIB par habitant (d’abord dans les pays développés) et de la concentration de C02 dans l’atmosphère.

Graphique 1 : L’activité économique et la concentration de CO2 dans l’atmosphère

Source des données : Maddison Project Database 2018 pour les chiffres du PIB par habitant & Our World in Data pour celles de la concentration de CO2

Remarque : « ppm » signifie partie par million. Cela fonctionne comme un pourcentage, mais utilise une base d’un million et non une base cent.

Un des problèmes du PIB est qu’il ne prend pas en compte l’impact des activités humaines sur l’environnement. Ceci est lié à deux problèmes : d’une part, le PIB mesure « des flux » et non « des stocks », or de nombreuses ressources naturelles sont des stocks. Par ailleurs, s’il est théoriquement possible de considérer l’évolution de ressources naturelles et donc de les retrancher du PIB, cela entraine de nombreuses difficultés techniques (comme par exemple, mesurer la valeur d'une forêt détruite ou d'une chute de la biodiversité, etc.) et n’est pas fait en pratique.

4. PIB et bien-être

Comme nous l’avons déjà expliqué, le PIB est un indicateur de l’activité économique et non de « bien-être ». En soi, cela n’est pas problématique et une information sur l’activité économique peut être pertinente pour elle même. Le problème toutefois est que nous avons tendance à orienter l’ensemble des politiques publiques ou presque en fonction de leur seul impact sur le PIB.

Prenons l’exemple de la crise sanitaire liée au Covid-19 qui justement, fait mesure d’exception. Lors de cette crise, de nombreux Etats ont mis en place des politiques de confinement dont – comme le rappelait avec humour Paul Krugman – le but est justement de faire baisser le PIB. C’est donc que la croissance et la hausse du PIB n’est pas et ne devrait pas être l’Alpha et l’Omega des politiques publiques.

Mais, en dehors de ces circonstances exceptionnelles, nous avons tendance à ne considérer les politiques publiques qu’à l’aune de leurs impacts sur la croissance : celles qui font augmenter le PIB sont de « bonnes politiques » et celles qui le font baisser en sont de « mauvaises ».

Or, une augmentation de l’activité économique ne signifie pas que les populations sont plus heureuses, en meilleure santé, etc. Au contraire, de nos jours, on observe une corrélation forte entre hausse de la pollution et reprise de l’activité économique. Certains critiques – comme l’économiste et anthropologue David Graeber – soulignent que nos modèles économiques produisent de nombreux « bullshit jobs » peu porteurs de sens pour ceux qui les occupent. Par ailleurs, de nombreux économistes (on peut penser à Thomas Piketty) soulignent que la croissance s’accompagne maintenant d’une forte hausse des inégalités. Autrement dit, seule une minorité de personnes profiterait réellement des fruits de la croissance.

Ces éléments (les inégalités, la santé, l’environnement) devraient être pris en compte dans nos politiques économiques ou du moins faire l’objet de choix sociétaux. C’est ce que veulent dire les économistes lorsqu’ils rappellent que le but de l’économie est d’augmenter le « bien-être » des populations et le « développement économique », pas la croissance ! Le PIB peut éventuellement être une composante du bien-être (ou du moins, un outils mesurant une partie du bien-être), mais ce n’en est qu’une petite partie.