2.4 : A quoi servent les trois approches du PIB ?

2. Le PIB par les revenus et le partage de la valeur ajoutée

Comme expliqué plus haut, l’approche du PIB par les revenus s’attache à décrire comment la valeur ajoutée est répartie entre différents acteurs de la société. Cela peut s’avérer particulièrement utile afin d’observer la manière dont des politiques publiques affectent la répartition de cette valeur ajoutée. Afin de comprendre, reprenons cette formule du PIB :

\( PIB = EBE + Salaires + RMB + Impôts sur les Produits - Subventions sur les Produits+ Autres Impôts sur la Production - Autres Subventions sur la Production \)

Remarquons que cette formule est en fait équivalente à :

\( \sum VAB= EBE + Salaires + RMB + Autres Impôts sur la Production - Autres Subventions sur la Production \)

Ce qui signifie que s’intéresser au partage du PIB et s’intéresser au partage de la valeur ajoutée sont équivalents. La dernière formule est elle-même équivalente à :

\( 1 = \frac{EBE}{\sum VAB} + \frac{Salaires}{\sum VAB} + \frac{RMB}{\sum VAB} \ +  \frac{Autres Impôts sur la Production - Autres Subventions sur la Production}{\sum VAB} \)

C’est généralement cette dernière formule qui est exploitée par les économistes pour étudier la répartition de la valeur ajoutée. Ils vont notamment étudier deux grands ratios : la part des salaires et celle de l’EBE dans la valeur ajoutée. Ces deux grands ratios nous indiquent à quel point le « travail » et le « capital » bénéficient de l’activité économique. Par exemple, si dans un pays on observe une baisse du ratio \(\frac{Salaires}{\sum VAB}\) et une augmentation parallèle de celui de \(\frac{EBE}{\sum VAB}\) on peut en conclure qu’un changement sociétal et/ou de politique publique a vraisemblablement conduit à privilégier les entreprises au dépend des salariés. Par exemple, en France, lorsque l’on observe ces deux ratios au cours du temps (cf le graphique 1), on observe deux mouvements opposés peu avant et juste après 1980 : les valeurs de ces ratios s’éloignent pour ensuite se rapprocher avec une forte augmentation du ratio \(\frac{EBE}{\sum VAB}\). Ces deux mouvements résultent de la stagflation des années 1970 pour le premier mouvement et surtout du tournant des politiques économiques vers une désinflation compétitive pour le second mouvement. Cette explication "politique" (le tournant de la rigueur initié par J. Delors, ministre de l'économie dans le gouvernement de P. Mauroy) doit cependant être nuancée par la prise en compte de facteurs de fonds : cette période est également marquée par des mutations importante de l'économie française (et mondiale) avec par exemple l'internationalisation croissante des marchés et des capitaux [1].

Graphique 1 : Les salaires, l’EBE et le RMB dans la valeur ajoutée en France

Au-delà du cas de la France, on peut aussi remarquer la richesse de cette approche pour étudier certaine des mutations du capitalisme. Par exemple, Gaëtan Stéphan (2018) [2] montre que si le partage de la valeur ajoutée a longtemps été stable aux Etats-Unis, la part du facteur travail dans la valeur ajoutée étant en moyenne de 63%, ce ratio est en forte chute durant la décennie 2000-2010 (d’environ six points de base). Il explique notamment cette baisse du fait de la pression du commerce international qui aurait incité certaines firmes à délocaliser des activités – souvent du secteur manufacturier – où le travail captait une grande part de la valeur ajoutée. (Ces activités ayant disparu, le travail capte une part plus faible de la valeur ajoutée). Il pointe également du doigt le rôle du progrès technique et d’une baisse des pressions concurrentielles dans certaines industries ce qui permettrait aux entreprises d’accroitre leurs profits et de capter une plus large part de la valeur ajoutée. Remarquons qu’une telle baisse de la part des salaires dans le PIB et la valeur ajoutée est observable dans la plupart des pays développés, même si la France resterait pour le moment relativement épargnée. La part des salaires dans la VA semble stagner légèrement en dessous de 60% dans le graphique 1.



[1] Sur ce sujet, voir notamment la synthèse de Xavier Timbeau:
Xavier Timbeau, Le Partage de la Valeur Ajoutée en France, Revue de l'OFCE, 80, Janvier 2002.
Le document est disponible au lien suivant :
https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/2-80.pdf

[2] Ce paragraphe utilise la note de Gaëtan Stéphan rédigée pour la direction générale du Trésor :
Gaëtan Stéphan, « La déformation du partage de la valeur ajoutée aux Etats-Unis », Trésor-Eco, Février 2018, numéro 216.
La note est disponible au lien suivant :
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/c1048104-ae0a-4ce0-a3b1-d100ef678da7/files/5a59a94c-d12b-4d96-bd8a-8c1002f1c5c3