2.4 : A quoi servent les trois approches du PIB ?

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Cours: Macroéconomie 1
Livre: 2.4 : A quoi servent les trois approches du PIB ?
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Date: dimanche 5 mai 2024, 13:07

1. Introduction

Nous savons maintenant comment utiliser le PIB pour étudier les évolutions de l’activité économique. Cela n’explique toutefois pas pourquoi nous l’avons défini trois fois. Nous allons maintenant aborder ce point et montrer que ces trois formules peuvent être utiles.

Le fait que la même grandeur – le PIB – puissent être calculée de trois manières différentes est en fait une force : différents individus (ou différents économistes) peuvent ainsi s’intéresser à l’activité économique pour des raisons différentes et avec la même grandeur, mettre en lumière des phénomènes différents.

Par exemple, considérons la première approche du PIB qui utilise la valeur ajoutée. Outre qu’elle peut-être plus « facile » à calculer par l’administration (les entreprises devant renseigner leur chiffre d’affaires et leur « valeur ajoutée » à l’administration fiscale), cette approche peut intéresser un économiste qui souhaite étudier l’effet du progrès technique. Celui-ci peut par exemple conduire à produire les mêmes quantités mais en utilisant moins d’inputs (ou facteurs de production). Pour cet économiste, avoir à disposition la somme des valeurs ajoutées (la valeur de la production et la valeur des consommations intermédiaires) sera donc un atout précieux.

Un autre économiste pourrait lui s’intéresser aux inégalités au sein d’une société et notamment à la manière dont le PIB est partagé entre les salariés et les entreprises. Pour cet individu l’approche du PIB par les revenus pourrait être la plus utile.  Enfin, un troisième économiste pourra lui préférer l’approche par la demande, afin de caractériser les modèles de croissance de pays ou s’intéresser aux « causes » de crises économiques. Dans ce qui suit, nous montrons plus en détail comment ces deux approches du PIB, par « le revenu » et par « la demande » peuvent être utiles afin de décrire des économies et d’en comprendre les évolutions.


2. Le PIB par les revenus et le partage de la valeur ajoutée

Comme expliqué plus haut, l’approche du PIB par les revenus s’attache à décrire comment la valeur ajoutée est répartie entre différents acteurs de la société. Cela peut s’avérer particulièrement utile afin d’observer la manière dont des politiques publiques affectent la répartition de cette valeur ajoutée. Afin de comprendre, reprenons cette formule du PIB :

\( PIB = EBE + Salaires + RMB + Impôts sur les Produits - Subventions sur les Produits+ Autres Impôts sur la Production - Autres Subventions sur la Production \)

Remarquons que cette formule est en fait équivalente à :

\( \sum VAB= EBE + Salaires + RMB + Autres Impôts sur la Production - Autres Subventions sur la Production \)

Ce qui signifie que s’intéresser au partage du PIB et s’intéresser au partage de la valeur ajoutée sont équivalents. La dernière formule est elle-même équivalente à :

\( 1 = \frac{EBE}{\sum VAB} + \frac{Salaires}{\sum VAB} + \frac{RMB}{\sum VAB} \ +  \frac{Autres Impôts sur la Production - Autres Subventions sur la Production}{\sum VAB} \)

C’est généralement cette dernière formule qui est exploitée par les économistes pour étudier la répartition de la valeur ajoutée. Ils vont notamment étudier deux grands ratios : la part des salaires et celle de l’EBE dans la valeur ajoutée. Ces deux grands ratios nous indiquent à quel point le « travail » et le « capital » bénéficient de l’activité économique. Par exemple, si dans un pays on observe une baisse du ratio \(\frac{Salaires}{\sum VAB}\) et une augmentation parallèle de celui de \(\frac{EBE}{\sum VAB}\) on peut en conclure qu’un changement sociétal et/ou de politique publique a vraisemblablement conduit à privilégier les entreprises au dépend des salariés. Par exemple, en France, lorsque l’on observe ces deux ratios au cours du temps (cf le graphique 1), on observe deux mouvements opposés peu avant et juste après 1980 : les valeurs de ces ratios s’éloignent pour ensuite se rapprocher avec une forte augmentation du ratio \(\frac{EBE}{\sum VAB}\). Ces deux mouvements résultent de la stagflation des années 1970 pour le premier mouvement et surtout du tournant des politiques économiques vers une désinflation compétitive pour le second mouvement. Cette explication "politique" (le tournant de la rigueur initié par J. Delors, ministre de l'économie dans le gouvernement de P. Mauroy) doit cependant être nuancée par la prise en compte de facteurs de fonds : cette période est également marquée par des mutations importante de l'économie française (et mondiale) avec par exemple l'internationalisation croissante des marchés et des capitaux [1].

Graphique 1 : Les salaires, l’EBE et le RMB dans la valeur ajoutée en France

Au-delà du cas de la France, on peut aussi remarquer la richesse de cette approche pour étudier certaine des mutations du capitalisme. Par exemple, Gaëtan Stéphan (2018) [2] montre que si le partage de la valeur ajoutée a longtemps été stable aux Etats-Unis, la part du facteur travail dans la valeur ajoutée étant en moyenne de 63%, ce ratio est en forte chute durant la décennie 2000-2010 (d’environ six points de base). Il explique notamment cette baisse du fait de la pression du commerce international qui aurait incité certaines firmes à délocaliser des activités – souvent du secteur manufacturier – où le travail captait une grande part de la valeur ajoutée. (Ces activités ayant disparu, le travail capte une part plus faible de la valeur ajoutée). Il pointe également du doigt le rôle du progrès technique et d’une baisse des pressions concurrentielles dans certaines industries ce qui permettrait aux entreprises d’accroitre leurs profits et de capter une plus large part de la valeur ajoutée. Remarquons qu’une telle baisse de la part des salaires dans le PIB et la valeur ajoutée est observable dans la plupart des pays développés, même si la France resterait pour le moment relativement épargnée. La part des salaires dans la VA semble stagner légèrement en dessous de 60% dans le graphique 1.



[1] Sur ce sujet, voir notamment la synthèse de Xavier Timbeau:
Xavier Timbeau, Le Partage de la Valeur Ajoutée en France, Revue de l'OFCE, 80, Janvier 2002.
Le document est disponible au lien suivant :
https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/2-80.pdf

[2] Ce paragraphe utilise la note de Gaëtan Stéphan rédigée pour la direction générale du Trésor :
Gaëtan Stéphan, « La déformation du partage de la valeur ajoutée aux Etats-Unis », Trésor-Eco, Février 2018, numéro 216.
La note est disponible au lien suivant :
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/c1048104-ae0a-4ce0-a3b1-d100ef678da7/files/5a59a94c-d12b-4d96-bd8a-8c1002f1c5c3

3. Le PIB par la demande et les contributions à la croissance

Considérons maintenant l’approche par la demande du PIB. Celle-ci est, elle aussi, extrêmement utile aux économistes, notamment pour étudier les fluctuations de l’activité économiques. Rappelons que cette approche indique que :

\( PIB = DCF + FBC + X-M \)

Un des grands intérêts de cette formule est de pouvoir observer les « contributions » à la croissance. Imaginons que l’on observe le PIB deux années (notées « 1 » et « 2 ») ; on a pour l’année « 1 »: 

\( PIB_1 = DCF_1 + FBC_1 + X_1-M_1 \)

Et pour l’année « 2 » :

\( PIB_2 = DCF_2 + FBC_2 + X_2-M_2 \)

On peut maintenant diviser la seconde formule par \( PIB_1\) :

\( \frac{PIB_2}{PIB_1} = \frac{DCF_2}{PIB_1} + \frac{FBC_2}{PIB_1} +  \frac{X_2-M_2}{PIB_1} \)

On peut alors remarquer qu’en appelant \(r \) le taux de croissance de notre économie entre les années « 1 » et « 2 », on a :

\( \frac{PIB_2}{PIB_1} = \frac{PIB_1 (1+r)}{PIB_1} = 1+ r \)

Par ailleurs, on peut remarquer que :

\( \frac{DCF_2}{PIB_1} = \frac{DCF_1}{PIB_1} \frac{DCF_2}{DCF_1} = \frac{DCF_1}{PIB_1} (1+r_{DCF}) \)

\(r_{DCF} \) est le taux de croissance de la consommation finale. Cette dernière astuce de calcul n’est pas spécifique aux dépenses de consommation et peut être reproduite pour la formation brute de capital et pour le solde du commerce extérieur. En remarquant cela, on obtient :

\( 1+r = \frac{DCF_1}{PIB_1} (1+r_{DCF}) + \frac{FBC_1}{PIB_1} (1+r_{FBC}) + \frac{X_1-M_1}{PIB_1} (1+r_{X-M}) \)

\(r_{DCF}\), \(r_{FBC}\) et \(r_{X-M}\), sont les taux de croissances respectifs des dépenses de consommation, de la formation brute de capital et de la balance commerciale.

En développant la formule précédente puis en remarquant que \( \frac{DCF_1}{PIB_1} + \frac{FBC_1}{PIB_1} + \frac{X_1-M_1}{PIB_1} = 1 \), on obtient finalement :

\( r = \frac{DCF_1}{PIB_1} r_{DCF} + \frac{FBC_1}{PIB_1} r_{FBC} + \frac{X_1-M_1}{PIB_1} r_{X-M}\)

\(\frac{DCF_1}{PIB_1}\), \(\frac{FBC_1}{PIB_1}\) et \(\frac{X_1-M_1}{PIB_1}\) sont respectivement les poids des dépenses de consommations finales, de la formation brute de capital et de la balance commerciale dans le PIB de la première année et la formule précédente établit une relation entre le taux de croissance de l’économie dans son ensemble et celui de chacune des composantes de ce PIB. Cette formule va largement intéresser les analystes et les économistes car elle permet de comprendre quel secteur de l’économie tire la croissance d’un pays et de commencer à distinguer des modèles de croissances parmi différents pays.

Une première utilité de la formule précédente est qu’elle permet des premières prévisions de l’activité économique. En effet, cette formule explique que si on dispose d'informations sur le PIB (et la consommation, la FBC, etc.) de l'année dernière et sur les taux des taux de croissance de la consommation, de l’investissement et de la balance commerciale, alors on peut avoir une première prévision du taux de croissance de l’économie (les poids pouvant être obtenus sans prévisions). L’intérêt de cette décomposition est que l’on peut peut-être, à partir d’enquêtes (auprès de chefs d’entreprises pour l’investissement ou auprès des ménages pour la consommation) estimer la croissance de chacune des composantes.

Au-delà de son intérêt pour des prévisions, la formule précédente peut aider à comprendre des phénomènes économiques. Par exemple, lorsqu’il analyse une crise économique et une récession (\( r<0 \)), un économiste peut remarquer que la consommation finale des ménages s’est maintenue (\( r_{DCF} \approx 0 \)) voire a légèrement augmenté (\( r_{DCF} > 0 \)) mais que l’investissement s’est effondré (\( r_{FBC} < 0 \)). Ceci peut alors conduire à des suggestions de politiques publiques (par exemple, un mécanisme pour aider les entreprises à investir). Ces suggestions vont être différentes si – dans une autre situation – l'économiste remarque que c’est la faiblesse de la croissance de la consommation des ménages qui pénalise l’économie ou s’il remarque que la récession provient d’une chute massive des exportations !

De même, un économiste peut étudier le modèle de croissance de deux pays en utilisant cette formule. A croissance égale, il peut par exemple remarquer que la croissance d'un pays va être portée par ses exportations (par exemple un important \( r_{X-M} \)) quand un autre pays va reposer pour une large part sur sa consommation intérieure (et un important \( r_{DCF} \)).

En résumé, cette dernière approche du PIB peut permettre d’observer les éléments qui participent à la croissance d’une économie entre la consommation des ménages, l’investissement et le commerce extérieur. Elle permet aussi d’étudier les différences de modèles de croissance entre des pays différents. Cette approche va donc avoir un intérêt central dans la définition de politiques économiques. Notamment, cette formule joue un rôle central dans la compréhension des politiques de relance « keynésienne ».