Résumé de section

    • Robert Flaherty et l'invention de la mise en scène documentaire

      "Documentaire"

      L'adjectif qualificatif est attesté dès 1876 (Dictionnaire Robert). Appliqué au film , il apparaît en 1896.
      Le mot, en langue française, devient substantif en 1915. L'abréviation "docu" est attestée en 1967, mais on peut supposer qu'elle existait bien auparavant dans le langage parlé. Le familier (et péjoratif) "docucu" est encore plus récent.
      En langue anglaise, "documentary" apparaît en 1926, dans un article du New York Sun écrit par John Grierson sur Moana de Flaherty : "Moana, being a visual account of events in daily life of polynesian youth and family, has documentary value." D'après Paul Rotha, le mot est emprunté au français, et sert alors à qualifier "des films de voyage et d'expédition qui ne seraient pas d'ennuyeux comptes rendus de voyage".
      Sans doute cet article de Grierson a-t-il contribué à donner à Robert Flaherty la figure mythique de "père du documentaire".
      Historiquement, cette statufication est sujette à examen: dès 1895, des films pourraient être qualifiés de documentaires. Le débat historique et théorique sur la question risque d'être infini et inextricable, sauf à se tenir aux observations suivantes:
      Comme pour la littérature, on devra dater l'apparition d'un genre cinématographique au moment où il est reconnu et identifié. Les films qui précèdent cette date seront à voir comme des promesses, des prémices, des frayages que seule une conception téléologique de l'histoire de l'art permettrait d'annexer a posteriori au genre , et qu'on valorise alors arbitrairement sous la rubrique des origines. Il n'y aurait pas une origine, mais des commencements. Il est donc vain de chercher à tout prix un "premier documentaire de l'histoire du cinéma français". Le genre naît progressivement, et apparaît entre 1915 (France) et 1926 (Grande - Bretagne).
      "Documentaire", comme tous les mots de la langue, a subi des glissements de sens, au point qu'un spectateur d'aujourd'hui a une certaine difficulté à accepter comme tels, par exemple, L'homme d'Aran ou Louisiana Story; pour un oeil contemporain, la direction d'acteurs non-professionnels, le procédé du slight narrative (expression de Paul Rotha), rangeraient plutôt ces films du côté de la fiction. Il faut donc admettre que des films classés comme documentaires peuvent maintenant ne plus être perçus selon les mêmes catégories, et que ce changement fait partie de l'histoire du genre.

      "Documentaire": film didactique montrant des faits réels et non imaginaires" (Robert)
      La veine didactique du documentaire est inscrite dans son nom même, étymologiquement dérivé du latin docere : enseigner, instruire, montrer, faire voir. Un documentum est un exemple, un modèle, une leçon, un enseignement, une démonstration. ici encore, le glissement historique des mots est à prendre en compte. Actuellement, on en vient à considérer que la transmission des connaissances, dans un documentaire, est peut être un effet secondaire, et pas forcément indispensable, l'essentiel étant alors la donation d'un point de vue à propos d'une réalité.
      Notes extraites d'un article de Pierre Baudry : Quelques notions de base pour réflechir sur le documentaire, in La mise en scène documentaire, textes réunis par Gilles Delavaud, TOTEM Productions, 1994.