Fiche Mémo : CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DU PARAGRAPHE
Fondamental : Trois caractéristiques essentielles du paragraphe
• Le paragraphe est une unité du discours écrit qui dépend de l'utilisation de l'alinéa, l'espace blanc qui sépare un paragraphe d'un autre paragraphe. Cependant, si elle est nécessaire, cette seule propriété matérielle ne suffit pas à définir n'importe quelle suite de mots écrits séparée par deux alinéas comme paragraphe.
• En effet, pour être qualifié de paragraphe, une suite de mots écrits doit également satisfaire à une exigence de cohésion interne. Autrement dit, la suite de mots encadrée par deux alinéas doit également pouvoir être identifiée comme une unité thématique.
• En outre, le paragraphe défini par deux alinéas doit être articulé aux autres paragraphes du texte dans lequel il apparaît : un paragraphe doit s'inscrire dans une logique (temporelle, argumentative...) unissant l'ensemble des paragraphes les uns aux autres.
Attention :
Il n'existe pas de taille standard du paragraphe. La taille d'un paragraphe est déterminée par le nombre et la taille des paragraphes qui coexistent avec lui dans un texte.
Nous avons pris le parti ici de faire l'inventaire des différents procédés permettant d'assurer d'une part la cohésion interne de chaque paragraphe, et d'autre part une bonne articulation entre l'ensemble des paragraphes du texte.
1. La cohésion interne des paragraphes |
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Fondamental :
La cohésion interne qui caractérise le paragraphe, le fait qu'on puisse l'identifier comme une unité à la fois supérieure à la phrase du point de vue de son analyse (et non forcément de sa forme) et inférieure au texte, repose sur des propriétés d'ordres différents :
syntaxique tout d'abord : pour qu'on puisse parler de paragraphe, on doit avoir au moins une unité rassemblant une ou plusieurs phrases
thématique ensuite : la plupart du temps, le paragraphe est construit autour d'un thème unique (éventuellement détaillé en sous-thèmes), ce qui se traduit par un recours important aux reprises pronominales au sein du paragraphe.
Exemple :
Lisez l'extrait suivant de La Vie au Moyen Age de R. Delort en prenant conscience de la manière dont les paragraphes organisent l'information.
Un certain nombre d'espèces, courantes au Moyen Age, ont ainsi disparu d'Occident ou sont devenues très rares. Les aurochs (urus) ont été les premiers éliminés ; il n'en restait plus que quelques-uns en Pologne au début du XVIe s., si rares que les Allemands les confondaient avec les bisons. Herberstein, le dernier, les a fait représenter et les a décrits comme semblables à des bœufs, « à part qu'ils sont tout noirs et ont sur le dos une sorte de raie blanchâtre ». Mais ils avaient, depuis le Haut Moyen Age, quitté l'Occident pour ses marges, car ils apparaissent très rarement dans la littérature ou dans les traités cynégétiques.
En revanche, les ours étaient « très communes bestes » ; le grand chasseur qu'était le comte de Foix, Gaston Phébus, nous décrit par le menu, en 1387, leurs mœurs, les endroits où on les trouve, la manière dont on les chasse. Les paysans eux-mêmes, à fortiori les montagnards, connaissaient bien cette grosse bête lourde et forte, avide de miel, parfois redoutable et parfois bonasse, facile à berner même quand elle est en colère. Les ours ont reculé surtout sous les coups des grands seigneurs, seuls capables d'entretenir des meutes de mâtins aptes à les chasser, de s'entraîner et de les tuer à l'épieu. Leur sommeil hivernal, leur fécondité très réduite, leur manque d'agressivité, leur solitude hargneuse et leur relative faiblesse au combat, mené seul (les ours ne se battent pas en troupes) n'en ont pas fait des adversaires très tenaces.
Les loups, au contraire, ont profondément marqué le Moyen Age par leur nombre, leur force, leurs ruses, leur pugnacité, leurs contacts permanents avec les hommes. La forêt occidentale n'était que la continuation de la grande taïga eurasiatique, réservoir inépuisable de ces bêtes légères, rapides, ubiquistes, qui pouvaient, en troupes, couvrir en quelques jours des centaines de kilomètres et hanter les longs et froids hivers qu'a connus l'Occident. Seule l'Angleterre, protégée par la mer, put exterminer ses loups au cours du Moyen Age.
Remarque : Cohésion thématique et reprises
Comme on peut le constater, chaque paragraphe est constitué de plusieurs phrases, liées les unes aux autres autour d'un thème unique.
Tandis que le premier paragraphe illustre la thématique des espèces courantes au Moyen Age mais disparues d'Occident par l'exemple des aurochs, le deuxième est centré sur l'exemple des ours. Le troisième paragraphe, quant à lui, est consacré aux loups. Le changement de thématique est aussi signalé par des marqueurs comme en revanche et au contraire qui indiquent qu'il ne s'agit pas simplement d'un changement d'espèce mais d'animaux très différents du point de vue de leurs modes de vie et de la taille de la population d'animaux.
La cohésion à l'intérieur de chacun de ces paragraphes se traduit par un recours important aux reprises pronominales et déterminants possessifs[1] renvoyant à l'animal en question (§1 : les aurochs = les, ils ; § 2 les ours = les ; leur sommeil ; leur fécondité ... ; §3 les loups : leur force, leurs ruses). On note également le recours à d'autres expressions désignant le même animal de façon plus descriptive, qui sont ce que l'on appelle des reprises nominales (§2 : les ours = cette grosse bête lourde et forte, avide de miel, parfois redoutable et parfois bonasse ... ; §3 : les loups = ces bêtes légères, rapides, ubiquistes).
2. L'articulation entre paragraphes |
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Fondamental :
Dans les textes narratifs et descriptifs, le passage d'un paragraphe à un autre répond très souvent à une nécessité d'ordre thématique : à un changement de paragraphe correspond un changement de thème. Dans les textes argumentatifs, le passage d'un paragraphe à un autre peut également s'aligner sur les différentes étapes de l'argumentation qui est développée.
Fondamental :
Dans tous les cas, et notamment dans les écrits universitaires, la logique de l'articulation entre les paragraphes peut être explicitée.
De ce point de vue, le début et la fin du paragraphe sont des lieux dans lesquels on observe fréquemment l’utilisation de marqueurs de cette articulation. Ils permettent à la fois d'articuler les paragraphes les uns aux autres, et de mieux démarquer chacun en l'inscrivant dans une logique narrative, descriptive ou argumentative.
Méthode : En début de paragraphe
L’explicitation du lien entre le paragraphe en cours et celui qui précède peut prendre la forme :
d’une expression signalant un changement de cadre spatio-temporel :
Lors du premier congrès linguistique turc, convoqué par Mustasfa Kemal en 1932, les partisans d’une purification du vocabulaire l’emportent après des débats passionnés. La Société linguistique turque (TDK) fondée la même année, s’emploie dès lors à trouver des mots « pur turc » (
« Öztürkçe »
) pour remplacer les mots arabes et persans. On les cherche dans des textes turcs anciens, dans les dialectes d’Anatolie, dans d’autres langues turques, etc. Ainsi prend forme une langue rénovée, dont le caractère artificiel devient vite manifeste. En 1934, Mustafa Kemal prononce des discours à peine compréhensibles… puis revient en 1935 à une langue plus habituelle.Après sa mort en 1938, le mouvement de réforme du vocabulaire se poursuit et prend un tour politique : la gauche le soutient, la droite s’y oppose. […].
Dans cet exemple (extrait de Jean Sellier, Une histoire des langues, La Découverte, Paris, 2020, p. 449), le début de chaque paragraphe est ainsi occupé par une expression introduite par une préposition temporelle (lors de, après) renvoyant aux jalons d’une histoire inscrite dans une chronologie.
d'un connecteur logique (ainsi, aussi, par conséquent, par ailleurs, en revanche, etc. [voir le module « Les relations entre propositions »]) ou d'un organisateur textuel (d'une part, premièrement, ensuite, enfin, etc.):
Le vélo est un moyen de transport silencieux et écologique. C'est un engin qui ne présente pas beaucoup de danger.
D'une part, le vélo ne nous fait pas respirer les vapeurs d'essence, mais les vapeurs du matin et du soir.
D'autre part, il se moque des règlements, il ignore les interdits. Il circule en tout terrain et stationne sur votre balcon, par exemple.
Par ailleurs, dans la société de consommation, c'est lui qui consomme le moins ; un peu d'air, de temps en temps, et du muscle.
Enfin, il combine harmonieusement le déplacement et l'exercice. Grâce à lui, inutile de faire de la bicyclette en chambre ou pratiquer des sports snobs et fastidieux. Je parle du vélo simple, du vélo auquel vous pouvez ajouter une fleur, un colifichet. Enfourchez-le, si vous voulez bien. Vous sentirez vos jambes bien posées, vos bras bien alertés, vos reins tendus, votre bassin soutenu, vos cuisses occupées, le corps entier, oui, ce fameux corps dont la rumeur dit qu'il faut en prendre soin. La guerre de Vietnam, c'est à vélo qu'on la fit.
La palme de l'efficacité revient donc au vélo.
(D'après Serge Moscovici, Le Sauvage N° 3 ; juin / juillet 1973)
Excepté le premier et le dernier paragraphe, chacun des autres paragraphes de ce texte débute par un organisateur textuel (d'une part, d'autre part, enfin) ou un connecteur logique (par ailleurs) qui permet de signaler le passage à un nouvel argument.
Les organisateurs textuels jouent un rôle important dans la structuration d'un texte : ils mettent de l'ordre dans un ensemble en segmentant le texte en parties. L'organisateur d'une part appelle d'autre part qui se situe dans notre exemple en tête du paragraphe 3.
Par ailleurs fonctionne comme un additif venant renforcer cette série d'arguments.
Enfin signale la fin de cette série énumérative et prépare la conclusion (identifiable par le marqueur donc) du dernier paragraphe.
d’une expression qui reprend ou résume un élément du paragraphe précédent tout en l'introduisant par un déterminant démonstratif[2], ce qui permet de marquer le changement de point de vue qu'opère ce nouveau paragraphe [voir le module « Les reprises dans les textes »] :
D’Epicure à Pierre Rabhi, de François d’Assise à l’encyclique Laudato si’ du pape François, la sobriété, en tant que modération volontaire du besoin matériel a toujours été promue pour des raisons d’ordre spirituel ou moral, actualisées, depuis l’avènement de la société industrielle, par les considérations liées aux dégâts environnementaux. Mais est-elle au fond un impératif écologique ? Les gains d’efficacité permettent-ils de faire l’économie de la sobriété ?
L’importante étude prospective de l’Ademe présentée fin 2021, « Transition(s) 2050 », a permis, pour la première fois en France, d’objectiver cette question sensible. Ce qui en fait une contribution centrale aux discussions devant aboutir en 2023 à l’adoption de la future loi de programmation énergie-climat. Cette loi devra en effet relever l’objectif actuel de baisse des émissions en 2030 (–40% par rapport à 1990) pour l’aligner sur les nouveaux engagements européens (–55%) pris dans le cadre de l’accord de Paris.
(Antoine de Ravignan, « Pas besoin de devenir amish », Alternatives économiques, 429, décembre 2022, p. 25)
On voit ici comment cette question sensible reprend la dernière question du paragraphe qui précède.
d'une expression dédiée signalant la rupture thématique comme quant à, en ce qui concerne ou pour ce qui est de :
Ma mère plus lointaine et plus capricieuse, m’inspirait des sentiments amoureux : je m’installais sur ses genoux, dans la douceur parfumée de ses bras, je couvrais de baisers sa peau de jeune femme ; elle apparaissait parfois la nuit, près de mon lit, belle comme une image, dans sa robe de verdure mousseuse ornée d’une fleur mauve, dans sa scintillante robe de jais noir. Quand elle était fâchée, elle me « faisait les gros yeux » ; je redoutais cet éclair orageux qui enlaidissait son visage ; j’avais besoin de son sourire.
Quant à mon père, je le voyais peu. Il partait chaque matin pour le « Palais », portant sous son bras une serviette pleine de choses intouchables qu’on appelait des dossiers. Il n’avait ni barbe, ni moustache, ses yeux étaient bleus et gais. […]
Dans cet extrait de Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée (Gallimard, Paris, 1958, p. 12-13), l’expression Quant à souligne le passage du thème de la mère au thème du père de la narratrice.
d'une rupture dans les temps verbaux liée par exemple au passage d'une séquence narrative à une séquence descriptive, ou comme ici d'un constat général au présent de l'indicatif (disparaissent, est) à une séquence narrative au passé composé (se sont éteintes):
Certaines espèces animales et végétales disparaissent de plus en plus vite si bien que la situation est devenue grave.
D'abord, des espèces se sont éteintes à cause de la chasse.
Méthode : En fin de paragraphe
Il s’agit alors de marquer la fin du paragraphe en cours à l’aide :
d’expressions indiquant le terme d’un parcours (enfin) ou encore la conclusion du raisonnement (de ce fait, c'est pourquoi).
d’une phrase qui introduit un rebondissement permettant de relancer l’intérêt du lecteur : ainsi dans le texte sur le vélo cité plus haut
La guerre de Viêtnam, c’est à vélo qu’on la fit.
ou encore, dans le texte de Ravignan sur la sobriété, la question qui clôt le premier paragraphe :
Mais est-elle au fond un impératif écologique ? Les gains d’efficacité permettent-ils de faire l’économie de la sobriété ?