2.6. Transformations internes et évolutions de la politique commerciale anglaise à la suite de la Révolution industrielle

Un débat de société, le poids croissant des industriels

D’emblée, dès 1815, l’élévation du barème suscite des mécontentements : lors du vote le peuple manifeste devant les Chambres qui doivent être défendues par la troupe. Les industriels sont, eux aussi, mécontents. Ils souhaiteraient l’établissement d’un libre-échange généralisé en Europe afin de s’ouvrir les marchés continentaux. La baisse du prix des denrées alimentaires permettrait alors une réduction des coûts de production à travers la baisse des salaires. Par ailleurs, l’augmentation des quantités à produire pour l’exportation autoriserait une plus grande mécanisation de la production. Les industriels vont dès lors s’opposer aux Landlords en réclamant la suppression de cette loi. L’audience des abolitionnistes grandit progressivement à mesure que le poids de l’industrie progresse au sein de l’économie anglaise. Selon les estimations de Paul Bairoch en 1810 la part de l’agriculture dans le PNB était supérieure de 70 % à celle de l’industrie mais en 1840 l’industrie dépasse déjà l’agriculture de 60 %.

Dès 1820, une « pétition des marchands » contre les corn laws est remise à la Chambre des Communes, rassemblée à l’initiative de l’économiste Thomas Tooke et le soutien officieux du Political Economy Club de Ricardo. Les industriels sont rejoints par des propriétaires fonciers éclairés qui parfois ont diversifié leurs activités en investissant dans des affaires industrielles et commerciales.

En 1828, l’instauration de l’échelle mobile des droits de douanes assouplit de facto les corn laws. En 1832, la réforme électorale améliore la représentation politique des industriels en redistribuant les sièges et en doublant le corps électoral qui passe à 800 000 votants.

En 1838, une association de patrons est créée à Manchester, animée par John Bright et surtout Richard Cobden. Cette ligue de Manchester va alors faire école. Un an plus tard la National Anti-Corn Law League (ligue contre les lois céréalières) est créée sous forme de fédérations d’associations locales. Le groupe de pression est très actif, distribue des brochures, organise des conférences (800 pour la seule année 1840), rassemble des pétitions.

En 1843, The Economist – nouvel hebdomadaire – appuie les tenants du libre-échange en utilisant notamment des arguments « sociaux » : la suppression des corn laws permettrait la baisse du prix du pain et du coût de la vie.

Le mouvement qui cristallise par ailleurs divers mécontentements et conteste les privilèges établis voit sa popularité grandir. Le parti Tory de Robert Peel est de plus en plus sensible aux thèses libres échangistes.

En 1842, la politique commerciale anglaise connaît une inflexion, le Premier ministre Peel réduit de façon substantielle les droits de douanes et annule l’interdiction d’exporter des machines en vigueur depuis 1774. Mais les corn laws ne sont pas réellement modifiées. Il faut attendre les désastreuses pluies de 1845, la mauvaise récolte de pommes de terre et la famine en Irlande pour forcer l’abrogation des corn laws le 15 mai 1846. La Grande-Bretagne paraît sacrifier son agriculture sur l’autel de la division internationale du travail.

L’abolition des lois sur les blés s’inscrit dans un vaste ensemble de mesures de libéralisation des échanges commerciaux (suppression des actes de navigation en 1849, abrogation de nombreuses taxes douanières entre 1846 et 1852). De manière unilatérale la Grande-Bretagne adopte une politique commerciale qui peut être qualifiée de véritablement libre-échangiste, elle reste en vigueur jusqu’au seuil des années 1930.