1.1 : Comment est née la macroéconomie : Keynes et la crise de 1929

2. La crise de 1929, Keynes et les Keynésiens

On date souvent la « naissance » de la macroéconomie de la parution en 1936 du livre de John M. Keynes (1883-1946), La Théorie Générale de l’Emploi de l’Intérêt et de la Monnaie. Le livre fut rédigé en écho à la crise économique de 1929 qui frappe alors l’ensemble des pays industrialisés. Ainsi, aux Etats-Unis, le PIB réel [2] s’effondre d’un tiers et le chômage atteint 25% de la population active au début des années 1930 [3]. En France, si le choc est moins prononcé qu’outre Atlantique, on peut estimer la réduction du PIB par habitant aux alentours de 16%.

Graphique 1 : La crise de 1929 et l’évolution du PIB par habitant

Source des données : Maddison Project Database 2018

Le graphique 1 permet de mieux observer l’ampleur du choc de la crise de 1929. On y observe l’évolution dans le temps du PIB par habitant – une fois encore, nous reviendrons en détails sur la signification de cet indicateur – et son effondrement après 1929 (symbolisé par la ligne rouge verticale).

Il existe alors une forte demande de la part du public et des hommes politiques d’analyser cette crise et les crises économiques en général. D’où viennent-elles ? Que peut-on faire afin d’empêcher qu’une crise similaire ne survienne dans les prochaines années ou du moins, afin d’en limiter l’ampleur ?

Le livre de Keynes propose des réponses à ces questions. Notamment, il apporte une explication au chômage massif que connaissent les économies industrialisées de l’époque et insiste sur la capacité de certaines politiques publiques à le résorber. D’un point de vue théorique, Keynes insiste également sur le fait que le chômage observé dans les années 1930 est « involontaire », qu’il correspond à un échec du système de marchés et qu’il convient alors d’intervenir sur ces marchés afin d’en corriger le fonctionnement. Si de telles idées n’étaient pas nécessairement nouvelles, le livre de Keynes leurs donne une articulation théorique.

A la suite de la parution de la Théorie Générale, des économistes, généralement jeunes, vont lire le livre de Keynes, s’approprier certaines de ses idées, en oublier ou en réfuter d’autres. Ils vont par ailleurs développer de nouvelles méthodes afin d’étudier plus finement les phénomènes économiques décrit par Keynes et pour « tester » ses prédictions. On peut notamment penser à John Hicks (1904-1989 et « prix Nobel » [4] en 1972) dont l’article « Mister Keynes and the Classics » (1937) deviendra célèbre. Il compare le cadre de pensée développé par Keynes à celui proposé par ses précurseurs. Cet article, en reformulant la théorie keynésienne posera les jalons d’un des modèles économiques les plus connus : le modèle IS-LM (que vous découvrirez très probablement dans votre cursus d'économie). Par ailleurs, d’autres économistes parmi lesquels Tinbergen (en 1939) puis Klein et Goldberger (en 1955), [5] développent des modèles économétriques ("statistiques") représentant des économies « entières », souvent celle des Etats-Unis. Ils montrent alors que les idées développées par Keynes et les économistes d’inspiration keynésiennes peuvent être directement employées afin d’analyser les fluctuations d’économies réelles.

Que la macroéconomie soit née avec Keynes en fait-elle une discipline « keynésienne » ? Nous verrons plus loin que la macroéconomie moderne n’a plus beaucoup de points communs avec la Théorie Générale, du moins dans ses méthodes. Par ailleurs et bien que les travaux cités précédemment s’inscrivent en ligne directe de ceux de Keynes, il ne faut pas non plus en sous-estimer les différences. Par exemple, l’article de Hicks « Mister Keynes and the Classics » (1937), loin de faire l’apologie du travail de Keynes, conclut qu’il s’agit d’un « livre utile » mais que celui-ci ne permet pas de prendre en compte le temps en économie. Par ailleurs, Hicks insiste autant sur les points communs du travail de Keynes avec les « classiques » que sur ses différences. De façon similaire, le travail de Tinbergen visant à utiliser des données statistiques afin de tester ou comprendre les cycles économiques trahit la conviction de John M. Keynes qu’on ne peut pas apprendre grand-chose à partir de données statistiques. Aussi, si la macroéconomie peut être « datée » du livre de Keynes, elle s’affranchit presque immédiatement du cadre défini par ce livre. Toutefois, malgré ces différences majeures, une des idées développées par Keynes - l'Etat peut et doit intervenir afin de corriger les fluctuations de l'activité économique au moyen de politiques publiques - joue toujours un rôle central (parfois débattus) en macroéconomie.



[2] Nous reviendrons longuement sur la notion de PIB. Pour le moment, considérons simplement qu’il s’agit d’une mesure indirecte de la richesse créée au sein d’un pays ou d’une nation ou de son « revenu ».

[3] Les courageux peuvent lire l’article de Pierre-Cyrille Hautcoeur, « La crise de 1929 et ses enseignements », Crises Financières, 2001 et disponible : https://sites.uclouvain.be/econ/DP/IRES/2011028.pdf

[4] Rappelons que le « prix Nobel » d’économie est en fait le « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » et, à ce titre, ne fait pas partie des Prix Nobel prévus par le testament d’Alfred Nobel. Toutefois, ses règles d’attribution sont similaires aux autres « Nobel » et il est souvent considéré comme la plus prestigieuse récompense en économie. En ce sens, recevoir un « Prix Nobel » signifie que la communauté des économistes considère les travaux du lauréat comme majeurs.

[5] Jan Tinbergen (1903-1994) et « prix Nobel » d’économie en 1969. Lawrence Klein (1920-2013) et « prix Nobel » en 1980. Arthur Goldberger (1930-2009).