5.5. Des trajectoires et stratégies contrastées de sortie de la pauvreté dans les pays en développement

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Cours: Histoire des faits économiques
Livre: 5.5. Des trajectoires et stratégies contrastées de sortie de la pauvreté dans les pays en développement
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Date: lundi 25 novembre 2024, 08:34

Introduction de la section et objectifs

Pendant les deux décennies suivant la 2GM, les empires coloniaux explosent et de nombreux pays en développement obtiennent leur indépendance. Ils sont donc libres de décider de la stratégie qui doit leur permettre de sortir de la pauvreté. Plusieurs types de stratégies seront suivies, le choix d'une stratégie dépendant souvent de la trajectoire historique et politique du pays. Comme nous le verrons dans cette section, certaines stratégies seront plus efficaces que d'autres pour sortir de la pauvreté et certains pays y parviendront alors que beaucoup d'autres resteront pauvres, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du sud.

A la fin de cette section, vous saurez :

  • Expliquer la dynamique des écarts de développement pendant les trente glorieuses
  • Expliquer les principales stratégies de développement suivies par les pays nouvellement indépendants à partir des années 1950 et leurs effets sur le développement économique
  • Expliquer les raisons pour lesquelles la plupart des pays en développement finiront par connaitre une grave crise de dette dans les années 1980


Les stratégies de développement par la promotion et la substitution des exportations : Asie de l'est et du sud-est

A partir du constat que les stratégies de repli, de protection, ont manifestement accru la dépendance extérieure des PED et favorisé la corruption interne des milieux politico-économiques, les pays industrialisés et les organisations multilatérales (Fonds Monétaire International et Banque Mondiale) préconiseront l’adoption de stratégies de mise en place des marchés internes concurrentiels et d’ouverture internationale pour lutter contre la pauvreté et stimuler la croissance des pays en développement. 

Les succès d’industrialisation tardive de certains pays asiatiques (Japon, Corée du sud, Taiwan) montrent la voie d’une stratégie possible d’industrialisation par des incitations fortes à exporter et la construction d’avantages comparatifs nouveaux par le biais de politiques industrielle et commerciale très volontaristes. La stratégie d’industrialisation de substitution des exportations va consister, elle, à promouvoir les exportations manufacturières en remplacement des exportations de produits primaires fussent-ils non agricoles, ou bien encore, à promouvoir les exportations manufacturières intenses en capital technique en remplacement de celles intenses en main-d’œuvre (la Corée du Sud en est l’exemple le plus abouti). 

Grâce à cette stratégie, les Dragons et Tigres asiatiques assurèrent jusqu’à la fin des années 1990 près de 80% des exportations totales du Tiers-Monde, avant que la Chine ne soit totalement éveillée. La banque mondiale publiera en 1993 un volume très connu sur cette réussite asiatique dans laquelle elle reconnaîtra rétrospectivement l’importance du rôle de l’Etat dans la réussite de cette stratégie.

L’analyse historique de ces succès d’industrialisation tardive montre qu’un certain nombre de conditions étaient présentes dans les réussites identifiées: 

  • une base industrielle compétitive doit préexister, ce qui était le cas en Corée du Sud, à Singapour ou au Brésil, par exemple, après une période d’ISI ; 
  • un engagement et une collaboration de toutes les parties prenantes (administration, entreprises, salariés) derrière le projet d’industrialisation par croissance de la compétitivité industrielle ; 
  • l’aide extérieure via les investissements des FMN des pays industriels doit être acceptée, notamment en jouant, dans un premier temps, le rôle de pays-atelier (d’assemblage) d’où partent les exportations de produits finis, donc en maintenant une pression sur les revenus salariaux et les revendications de la population ouvrière notamment féminine, ; 
  • une position géographique favorable est préférable, passage obligé entre les zones d’échanges les plus actives de la planète, comme Singapour à partir des années 1980, ou le Vietnam ou le Maroc aujourd’hui. 

Réunir toutes ces conditions simultanément est très compliqué, ce qui explique que peu de pays en développement aient pu suivre cette voix avec succès jusqu’à aujourd’hui.

Décolonisation, indépendance et contexte intellectuel des stratégies de développement

Pendant les trente glorieuses, les écarts de revenu par tête et de développement économique entre les pays industrialisés et les pays qui sont moins avancés ne diminuent pas. La dernière ligne du tableau 5.5.1 qui reporte le ratio du PNB par tête des pays industrialisés à celui des pays en développement en 1974 montre que l’écart a même légèrement augmenté entre 1950 et 1975. D’un côté, la croissance des économies industrielles est très soutenue (voir section 5.3). D’un autre côté, dans beaucoup d’économies nouvellement indépendantes, la croissance économique est limitée car les incitations à investir sont très faibles du fait du niveau très faible du revenu et de la demande nationale et les niveaux technologiques très bas limitent les gains de productivité. 

De surcroît, ces pays sont encore peu nombreux à avoir entamé leur transition démographique, c’est à dire à avoir réussi à faire diminuer successivement les taux de mortalité puis de fécondité, à la fin des années 1960. En conséquence, même si leur PIB croissait aussi rapidement que celui des pays industriels, comme c’est parfois le cas, ils ne rattraperaient pas les niveaux de richesse moyenne, mesurée par le PNB par tête, des pays industriels. Enfin, les niveaux faibles d’éducation limitent la capacité des économies pauvres à absorber les innovations technologiques des économies centrales.

Tableau 5.5.1. Croissance et niveaux du Produit National Brut par habitant dans le monde développé et les mondes en développement (Source : M. Beaud (2010) Histoire du capitalisme 1500-2010, Points Seuil)

Pays en développement: production et population

Le tableau 5.5.1 pointe également des écarts importants de croissance moyenne du PNB par habitant entre les différentes régions du monde en développement, la performance des pays du Moyen-Orient étant 3 fois plus forte que celle de l’Asie du sud. Il existe différents facteurs expliquant ces écarts de performance entre les pays en développement, parmi lesquels des éléments exogènes comme la position géographique ou bien l’histoire du pays. 

D’autres facteurs sont liés aux stratégies choisies par les dirigeants des pays en développement à partir des années 1950. Ces stratégies varient fortement selon les options idéologiques de leurs dirigeants et selon les relations qu’ils entretiennent avec les puissances hégémoniques des deux blocs. Les trajectoires historiques des pays en développement en matière d’industrialisation peuvent être associées à plusieurs logiques: (i) celles basées sur les exportations de ressources naturelle ; (ii) celles basées sur la préférence pour l’économie nationale et sa déconnection de l’économie mondiale souvent dans une réaction postcoloniale ; (iii) celles basées sur l’ouverture contrôlée aux échanges extérieurs pour assimiler les techniques étrangères et profiter des avantages de la division internationale du travail ou de la division internationale des processus productifs.


Les trajectoires de développement par l’agriculture et les ressources naturelles : Amérique latine et de l’Afrique subsaharienne

Le développement agricole est un enjeu central dans les pays en développement où une grande partie de la population vit dans les zones rurales et où la population à croissance rapide de villes toujours plus nombreuses doit être nourrie. En outre, l’histoire des pays industrialisés a montré que l’agriculture est capable d’exercer un effet d’entraînement sur les autres secteurs économiques par l’épargne accumulée et captée par les systèmes bancaires et fiscaux, en tant que débouchés pour le secteur industriel et comme fournisseur de devises pour l’exportation.

Afin de générer un surplus monétaire transférable aux autres secteurs, les pays nouvellement indépendants à partir des années 1960 et 1970 choisissent souvent de stimuler le développement agricole grâce à une politique volontariste reposant sur deux piliers complémentaires. 

Le premier pilier est la révolution verte qui consiste à transformer les méthodes culturales traditionnelles en introduisant des techniques plus performantes (semences, engrais, irrigation…) souvent importées. L’objectif est d’améliorer les rendements afin d’atteindre l’autosuffisance alimentaire puis pouvoir exporter des surplus de produits agricoles. Expérimentée en Asie dès les années 1950, au Moyen Orient, en Afrique du Nord, en Amérique latine, la révolution verte connaîtra des résultats convaincants en matière d’autosuffisance alimentaire notamment en Chine et en Inde. 

Le second pilier est la réforme agraire qui s’attache à transformer les structures de la propriété foncière à usage agricole, généralement en redistribuant aux pauvres les terres des grands propriétaires terriens (souvent les anciens colons). Le double objectif est de substituer des productions vivrières à des productions spéculatives et de fixer localement les populations agricoles en leur offrant des moyens de subsistance. Modifier les rapports sociaux dans les structures foncières requiert de s’appuyer sur un Etat fort, souvent révolutionnaire, capable d’acheter, d’exproprier, voire de confisquer et de diviser puis redistribuer les terres des grands propriétaires aux petits paysans. Les résultats ont été assez contrastés selon la façon dont la réforme agraire est perçue par la population et mise en œuvre par l’Etat. Ils furent rapides et convaincants lorsqu’un Etat fort et légitime a pu imposer la réforme agraire comme en Asie (Taïwan, Corée du Sud ou Chine). Ils furent plus limités lorsque le pouvoir politique était lui-même entre les mains des grands propriétaires fonciers comme en Amérique latine.

Le modèle de développement basé que l'agriculture peut comporter des risques liés à la faible diversification de l'économie. Les aléas météorologiques et les mauvaises récoltes, fréquentes en Afrique, conduisent en effet à une grande instabilité de la croissance dans les économies agricoles. De grandes famines ont par exemple été provoquées, entre autres facteurs, par des récoltes catastrophiques liées à des aléas climatiques : Biafra (1968-1970), Ethiopie (1973-1974).

Certains pays en développement ont essayé de mettre en place des agricultures d'exportation afin de capter des ressources pouvant être utilisées pour importer d'autres biens. Ces modèles peuvent conduire à plus de pauvreté des petits agriculteurs qui sont exclus de l'accès à la terre lorsque celui-ci est concentré aux mains des élites comme c'est le cas en Amérique latine avec les latifundia. De la même manière, de nombreux pays en développement sont riches en ressources minérales (pétrole, pierres précieuses, métaux rares). Ils ont donc essayé de sortir de la pauvreté en exportant ces ressources minières afin de financer les importations des biens de consommation qu'ils ne produisent pas du fait d'une industrialisation faible. 

Les stratégies de développement basées sur l'exportation intensive des produits primaires et matières premières n’ont pas toujours conduit au développement économique pour au moins deux raisons :

  • Tout d'abord, les pays faisant reposer leur modèle de développement sur l’exportation de ressources minières ont si souvent été confrontés à des problèmes de corruption et de conflits internes liés à la captation de la rente des matières premières et détournant les ressources de l’objectif de diversification économique qu’un symptôme de « malédiction des ressources naturelles » a été mise en évidence par les économistes. 
  • Ensuite, les prix des matières premières agricoles et minières étant très instables car fixés sur des marchés mondiaux très spéculatifs, les pays exportateurs de leur surplus agricole ou de ressources minières connaissent de grandes amplitudes de croissance du PIB. Les phases de chute des recettes d'exportation posent généralement des problèmes d'endettement extérieur et de pauvreté. Mais les périodes de croissance soutenue des recettes d'exportations peuvent également poser des problèmes de corruption ou de conflit pour capter une part de cette rente.


Les Stratégies d’Industrialisation par substitution aux importations (ISI) : Afrique du nord et Amérique latine

Les stratégies d’ISI sont fondées sur la théorie « structuraliste » de la dépendance qui était très répandue en Amérique latine et dans les pays nouvellement indépendants dans les années 1950. Selon cette théorie, il existe un « responsable » voire un « coupable » externe du « sous-développement » qui est le haut niveau d’industrialisation des pays développés qui imposent un commerce international inégal ou injuste et une dépendance financière aux pays en retard d’industrialisation (Prebisch, 1949). 

Dans ce cadre d’analyse en termes de centre-périphérie, le retard économique persistant des pays en développement s’expliquerait par le fait que les spécialisations dans les ressources naturelles (agriculture et mines) aient été imposées par les colons ou les puissances industrielles, et qu’elles conduisent à une mauvaise insertion dans la Division Internationale du Travail (DIT) car les prix des matières premières exportées par les pays en développement augmentent moins vite que ceux des produits manufacturés qu’ils importent des pays industriels. C’est ce qu’on appelle la détérioration des termes de l’échange qui conduit à une répartition inégalitaire des gains à l’échange. Les pays en développement doivent donc s’isoler du commerce international afin de s’industrialiser grâce à la demande leur marché intérieur au lieu d’importer ces produits de l’étranger. L’ISI cherche donc à modifier les structures internes de production grâce à une très forte protection des importations et répression des exportations au profit du marché domestique.

Historiquement, la stratégie apparaît en Amérique latine au moment où la grande crise des années 1930 diminue les débouchés pour les exportations de produits primaires latino-américaines aux E-U et en Europe. Alors que la demande intérieure se maintient du fait de l’existence d’une élite sociale foncière, les entrées de devises et la capacité d’importation de produits manufacturés chutent et la montée des prix domestique stimule la production intérieure en remplacement des importations. 

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’ISI est maintenue en Amérique latine et soutenue par l’influente CEPALC (la Commission Economique Pour l’Amérique Latine et les Caraïbes). De nombreux pays nouvellement indépendants au Maghreb (Algérie, Egypte), en Asie (Chine), en Afrique (Kenya, Côte d’Ivoire, et Nigéria) l’adoptent également pour des raisons idéologiques d’indépendance par rapport aux puissances hégémoniques. Ces pays adopteront généralement des modèles d’économie mixte de type capitaliste planifié où (i) les investissements sont majoritairement privés, mais où (ii) l’Etat oriente les investissements à travers une politique commerciale protectionniste. Des formes très étatisées de cette stratégie existeront dans certains pays, comme l’Algérie, où l’état socialiste cherche à planifier une industrialisation à partir des industries de matières premières (pétrole et gaz entre autres), souvent avec le soutien de l’URSS dans un contexte postcolonial de guerre froide.

L’ISI s’appuie généralement sur un processus de remontée de filière de production. Il s’agit de commencer par produire des biens de consommation simples (intenses en main-d’œuvre), puis des biens de consommation durables qui créent un marché pour des biens intermédiaires qui ouvrent in fine celui pour les biens d’équipement. La première étape est aisée à franchir car elle nécessite peu de protection et autorise le passage rapide à l’exportation du surplus comme le montrent l’Amérique latine, le Pakistan ou l’Inde dans les années 1950-1960. En 1964, le Brésil produisait 90% des biens industriels consommés dans le pays. En revanche, franchir les étapes suivantes est difficile car la diversification vers des biens plus complexes en amont de la filière (biens durables et d’équipement) nécessite de pouvoir importer des biens intermédiaires et les machines très couteux que le pays produit encore mal aux premiers stades de développement. 

Par ailleurs, les biens manufacturés produits par le pays sont peu exportables dans un premier temps car peu compétitifs à cause de la protection du marché national. La balance commerciale est alors déséquilibrée, l’endettement devient nécessaire et la dépendance technique s’associe à une dépendance financière. Face à ces difficultés jointes de financement et d’accès aux biens intermédiaire et d’équipement, les pays pratiquant l’ISI cherchent dès les années 1970 à favoriser les investissements des firmes multinationales (souvent des pays industriels) qui sont attirées par les perspectives de profit sur les marchés domestiques protégés. Cependant, ces investissements finissent souvent par évincer les firmes locales, nourrissent la corruption des élites locales et pratiquent largement l’évasion fiscale. Ce modèle du « capitalisme dépendant » se met alors en place en Amérique latine et reste encore fort aujourd’hui.


Des trajectoires de réussite hétérogènes

Les différentes stratégies suivies par les pays en développement ont conduit à des résultats assez contrastés. Les stratégies de promotion des exportations primaires et d’ISI sont conduit à des résultats mitigés puisqu’elles n’ont pas su empêcher la dépendance productive et financière des économies en développement et ont connu des problèmes de dette extérieure. Ce sera le cas d’abord à partir des prix des produits non pétroliers dans les années 1970, puis des produits pétroliers dans les années 1980. 

A l’inverse, les stratégies de promotion et substitution des exports ont permis, sous des conditions spécifiques et difficiles à rassembler, à un petit nombre de pays de devenir des acteurs centraux des échanges industriels mondiaux et de se développer comme nous le verrons dans la section 6.4 de ce cours.


Déséquilibres financiers et crises de dette généralisées dans les pays en développement

 La série de crises qui éclate à partir des années 1980 est mondiale au sens où elle touche aussi bien les débiteurs que les créanciers et qu'elle trouve son origine dans l'augmentation des flux de commerce et de financement globaux.

Initialement, les crises de dette souveraine des pays en développement (PED) prennent racine dans l’abondance des dollars réinvestis ou prêtés par les pays exportateurs de pétrole aux pays importateurs, dont les pays en développement. De fait, les dettes du Tiers-Monde augmentent plus vite que la croissance économique des emprunteurs au cours des années 1970: là où le PIB ne croit « que » de 4,5% par an, la dette, elle, est multipliée par 4,5 en 10 ans et atteint ainsi 450 milliards de dollars en 1980 (contre 100 milliards en 1971). Pour autant, les banques internationales ne cessent de prêter car elles sont riches de pétrodollars et leurs clientèles traditionnelles (américaines et européennes), frappées par la crise, déclinent ; les établissements de crédit sont mêmes en situation de surliquidité, la clientèle du Tiers-Monde qui cherche des financements pour ses politiques de développement est alors une véritable aubaine.

En août 1982 se déclenche une crise financière après l’augmentation des taux d’intérêt américains (pour baisser l’inflation aux EU) et l’appréciation consécutive du dollar qui font grimper le montant de la dette des PED qui est indexée sur les taux américains et libellée en dollars. L’épargne internationale se tourne alors vers les Etats-Unis en faisant défaut aux PED qui en ont pourtant besoin pour financer les politiques de développement engagées ; la chute des exportations des PED à la suite du ralentissement de la croissance mondiale entraine de nouveau la baisse des recettes en devises, déséquilibrant de nouveau la balance commerciale, obligeant de nouveau à l’endettement… pour financer les achats engagés. Les PED commencent alors à emprunter pour payer l’intérêt de leurs dettes et bientôt cela ne suffit même plus d’autant que du côté des prêteurs, les pétrodollars se raréfient et que l’on devient dès lors plus réticent à prêter.

En août 1982, la crise éclate car, avec une dette de 100 milliards de dollars, le Mexique se déclare insolvable. La dette du Tiers-Monde s’élève alors à 732 milliards de dollars. Suivront en quelques jours une dizaine de pays incapables, annoncent-ils dans un premier temps, d’assurer le service de leur dette (Brésil, Argentine, Indonésie…). Mais c’est le système financier international tout entier qui risque alors une faillite globale. Pour l’éviter, la Réserve Fédérale (Banque Centrale américaine), Le FMI et la Banque Mondiale vont à leur tour se mettre à prêter massivement aux PED pour qu’ils remboursent leurs créanciers (Plan Baker de 1985 du nom du Secrétaire d’Etat au Trésor américain de l’époque) : 25 milliards de dollars frais le seront en 1985 alors que la dette atteint, rappelons-le, 1026 milliards. Les fonds publics viennent remplacer les fonds privés : en 1981, les fonds privés représentent 60% du total de la dette contre 14% seulement en 1991.

L’objectif des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) qui sont associés à ces aides est que les PED parviennent, en se développant, à dégager un surplus exportable pour engranger suffisamment de recettes en devises permettant de régler leurs dettes. La rigueur budgétaire, la dérèglementation des prix à la production, la dépréciation de la monnaie nationale pour stimuler les exportations et déprimer les importations et le resserrement de la politique monétaire dépriment la consommation et l’investissement public et privé renforçant les mécanismes de la crise dans beaucoup de pays. Les PAS ne sont ainsi pas étrangers aux « décennies perdues » par l’Amérique latine dans le dernier tiers du siècle dernier. La crise persiste et s’intensifie. Les observateurs internationaux commencent alors à penser que l’on s’est peut-être trompé de remède ; la gestion de la crise entre dans sa deuxième phase.

De 1986 à 1988, va se développer un véritable marché secondaire de la dette qui atteste de l’échec du plan Baker. Les banques internationales sont en effet devenues frileuses à prêter sauf à accompagner les nouveaux crédits de contreparties. Au contraire, elles souhaitent plutôt se désengager rapidement et solder les positions qui sont les leurs. Un marché très liquide de revente des créances douteuses, après décote de près d’un tiers de la valeur originelle, s’organise alors notamment autour des positions centre ou sud-américaines qui attirent les FMN qui se portent acquéreuses. 
A partir de 1989, les observateurs internationaux, au rang desquels les bailleurs de fonds privés et publics, diagnostiquent que la crise n’est pas une crise de liquidité, donc conjoncturelle et transitoire, mais une crise de solvabilité, c'est à dire une crise plus structurelle. La stratégie de gestion de la crise change alors puisqu'elle va être basée sur les marchés internationaux des capitaux et qu'elle va mobiliser les titres de créances négociables. C’est l’optique du plan Brady (Secrétaire d’Etat au Trésor américain) qui consiste en un allègement de la dette bancaire en échange de titres que l’on baptisera obligations Brady. Ils ont moins de valeur que la créance initiale mais ils sont garantis par le FMI ou la Réserve Fédérale et ils sont négociables sur les marchés financiers internationaux. 
Cette "titrisation" de la dette des PED à grande échelle permet aux banques internationales « imprudentes » d’éviter la faillite pure et simple par la mutualisation des risques, donc des pertes, permise par la globalisation financière d’autre part.

Au bilan, cette solution fonctionne plutôt bien puisque (i) le prêteur/créancier originel obtient des titres de créances (les obligations) voire des titres de propriété (actions sur le foncier ou sur le parc industriel) qu’il peut ensuite négocier sur les marchés internationaux des capitaux qui sont alors en plein essor (auquel ils contribuent dans le même mouvement) au cours des années 1990, et (ii) la dette des PED est restructurée en s’ouvrant aux marchés des capitaux donc à une diversité de bailleurs de fonds aux débiteurs et aux porteurs de projets de développement. 
Dans le même temps, elle scinde le groupe des PED en deux catégories : d’un côté, les mieux placés en termes de perspectives de développement (futurs pays émergents) qui se retrouvent avec une « simple » problématique de financement par le marché sur lequel, d’ailleurs, ils redeviennent vite emprunteurs nets ; de l’autre, les pays les plus pauvres qui vont rester piégés par la dette, malgré des plans d’annulation de celle-ci notamment pour les Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) pour lesquels Banque Mondiale et FMI décident finalement en 1996 de ramener le stock de dette à un niveau soutenable et de la rééchelonner.

Références

Banque Mondiale (1993) The East-Asian miracle : Economic growth and public policy (vol. 2) ; résumé en français

Prebisch, Raul (1949). El desarrollo económico de la América Latina y algunos de sus principales problemas (le développement économique de l’Amérique latine et quelques un de ses principaux problèmes), Santiago de Chile, CEPAL.

Pour aller plus loin

Sur le modèle asiatique : Philippe Régnier « Histoire de l'industrialisation et succès asiatiques de développement : une rétrospective de la littérature scientifique francophone » : https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2007-3-page-73.htm

Sur les stratégies de développement basées sur les exportations de ressources naturelles : L’Algérie malade de son pétrole (Vidéos Le Monde) :