4.2 Le New Deal de Roosevelt
Site: | Moodle Université Numérique |
Cours: | Histoire des faits économiques |
Livre: | 4.2 Le New Deal de Roosevelt |
Imprimé par: | Visiteur anonyme |
Date: | samedi 21 décembre 2024, 14:21 |
Introduction
L’expérience Roosevelt dite du New Deal (la nouvelle donne) conduite entre 1933 et la veille de la Seconde Guerre mondiale bénéficie d’un extraordinaire prestige. Elle apparaît pour beaucoup comme un premier exemple historique de l’efficacité d’une stratégie de relance et préfigurerait les politiques économiques d’inspiration keynésienne. En réalité, les enseignements de cet épisode sont beaucoup plus nuancés et sa portée plus limitée.
La spirale déflationniste
À la fin de la présidence du Républicain Hoover en 1932, alors que les premiers signes d’une reprise mondiale se font jour, la dépression continue à s’aggraver aux États-Unis et la situation sociale tend à devenir explosive.
La production industrielle américaine décline toujours, son indice base 100 en 1928 s’établit à 62 en février 1932, puis chute à 52 en août 1932.
La baisse des prix se poursuit en 1932 : les prix à la consommation chutent de plus de 10 % par rapport à 1931.
Les mécanismes d’auto-entretien de la déflation sont toujours à l’œuvre : la consommation et l’investissement diminuent d’autant plus que l’endettement des agents économiques est élevé (I. Fisher analyse à l’époque le phénomène dans l’article « The Debt-Deflation Theory of Great Depression » publié dans la revue Econometrica en 1933).
Le chômage continue de s’aggraver… Malgré les incertitudes qui entourent sa mesure à l’époque le chiffre de 25 % de taux de chômage fin 1932 est souvent retenu. À l’époque le chômage n’est pas indemnisé, le climat social se tend à mesure que la pauvreté se développe.
Un pays au bord de l’explosion sociale
Ainsi en mars 1932 à Dearborn près de Détroit, une « marche de la faim » des chômeurs de la ville (dont beaucoup viennent d’être licenciés des usines automobiles Ford) est violemment réprimée par la police, on compte 4 morts. L’agitation des anciens combattants culmine durant l’été avec la marche du bonus, 11 000 d’entre eux marchent sur Washington pour exiger le paiement anticipé d’une prime qui leur est due ; la manifestation est fermement dispersée par l’armée. Plusieurs grandes villes dont les finances sont épuisées par les secours apportés aux miséreux ne sont plus en mesure de payer régulièrement leurs employés… Les expulsions pour loyers impayés se multiplient…
Dans ce contexte, les démocrates sortent grands vainqueurs des élections de novembre 1932. Non seulement leur candidat Franklin Delano Roosevelt est élu président avec une large avance mais en plus ils s’assurent une majorité de gouvernement dans les deux Chambres.
Le point culminant de la crise économique et sociale est atteint entre novembre 1932 et le début mars 1933 au moment où le nouveau président prend ses fonctions. L’incertitude sur le programme de Roosevelt et son refus de coopération avec Hoover pour assurer la transition provoquent d’importantes sorties de capitaux et une véritable panique bancaire. En février, la fermeture générale des banques est décidée dans certains États et le 4 mars, jour de l’investiture de Roosevelt, les banques sont fermées dans l’ensemble du pays pour 4 jours (bank holiday) afin de tenter d’endiguer la panique.
Des mesures pragmatiques et novatrices
Roosevelt n’a en réalité ni doctrine, ni vrai programme économique, il entend seulement lutter de façon pragmatique contre les manifestations de la crise : casser la spirale déflationniste, réduire le chômage et la misère.
En cent jours, du 4 mars au 16 juin 1933, une quinzaine de lois sont adoptées. Les objectifs sont de casser le processus de baisse des prix et de redonner au plus vite du travail aux chômeurs :
L’Agricultural Adjustment Act de mai 1933 a pour objectif d’assurer le redressement des prix agricoles en subventionnant une réduction volontaire de la production (blé, maïs, coton…). Le dispositif est au départ ambigu, d’une part le redressement escompté des prix pourrait inciter d’autres agriculteurs à produire plus, ensuite il prévoit également des crédits pour une modernisation agricole susceptible elle aussi d’accroître les quantités produites. À partir de 1934, les mesures de restriction deviennent obligatoires et non plus volontaires par exemple pour le coton.
En juin 1933 le National Industrial Recovery Act (NIRA) entend impulser une concertation entre les industriels afin de définir des prix planchers, des quotas de production, des horaires réduits, des minima salariaux. Les firmes qui « jouent le jeu » se voient attribuer un label « aigle bleu » que les consommateurs américains sont invités à préférer. Le but de ce dispositif est là encore de casser la baisse des prix et d’enrayer la surproduction… Le NIRA attribue au président le pouvoir de donner une valeur officielle à tout Code adopté à la majorité et de l’imposer à tous les industriels de la branche. Une autre disposition reconnaît aux travailleurs le droit de négocier des contrats collectifs et garantie le respect de droits syndicaux. L’interventionnisme étatique marque une réelle avancée en rupture avec la tradition non interventionniste américaine.
La création de la Tennessee Valley Authority en mai 1933 cherche à réemployer les chômeurs à des tâaches liées au réaménagement de la vallée du Tennessee alors en retard de développement (construction de barrages, d’usines hydroélectrique ou encore d’usines d’engrais chimiques…). La TVA contribue à populariser l’idée que les grands travaux sont en mesure de « réamorcer la pompe » et de relancer l’activité économique nationale.
L’Emergency Relief Act prévoit une assistance aux chômeurs et victimes de la crise. En 1934, environ vingt millions de personnes bénéficient de ce dispositif qui, au départ, devait être un simple palliatif en attendant une relance de l’activité.
Afin de restaurer la confiance dans le système financier le Banking Act de 1933 (Glass-Steagall) crée un système d’assurance fédérale des dépôts bancaires (Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC)) et sépare les activités bancaires des activités sur titres. La même année le dollar est dévalué de plus de 40 %.
Des résultats mitigés, une signification ambiguë
La remontée des prix est réelle dès 1934, l’indice des prix de gros progresse de 15 % par rapport à 1933, la progression la plus forte concerne les prix agricoles. Par contre la hausse des prix à la consommation reste modérée l’indice de 1932 (40,9) n’est retrouvé n’en 1935 (41,1) mais celui de 1931 (45,6) ne sera pas dépassé avant la guerre.
La reprise de l’activité paraît décevante. La production industrielle connaît jusqu’à la guerre une évolution heurtée et médiocre, le niveau de 1929 n’est retrouvé qu’en 1937 avant d’ailleurs de s’effondrer de nouveau en 1938 (baisse d’environ 20 %).
La difficulté majeure paraît résider dans l’incapacité à retrouver un volume d’investissement important faute de confiance à la fois dans le système financier et dans les perspectives d’activité.
Le chômage est certes réduit mais reste à un niveau élevé (plus de 10 millions de chômeurs en 1935 ce qui correspond à un taux supérieur à 20 %).
Le New Deal est appliqué dans un contexte de fortes tensions sociales. L’hostilité des industriels envers l’interventionnisme fédéral est forte. Par ailleurs de nombreuses grèves parfois avec occupation d’usines freinent la reprise de l’activité.
La politique de Roosevelt rencontre aussi l’opposition de la Cour Suprême qui invoque le principe de la libre concurrence, les droits des États ou du congrès pour annuler le NIRA en mai 1935 et l’Agricultural Adjustment Act (AAA) en janvier 1936.
La large victoire électorale de novembre 1936 permet à Roosevelt de surmonter les résistances de la Cour suprême.
Un second AAA instaure un système de garantie des prix en 1938.
Les avancées sociales du NIRA avaient largement été reprises dans les lois de 1935 qui marquent la mise en place d’un second New Deal plus social à défaut d’être encore keynésien.
En juillet 1935, la loi Wagner renforce la liberté syndicale et, en août 1935, la loi sur la sécurité sociale crée les éléments d’un système d’assurance chômage obligatoires dans chaque État (mais certaines catégories de personne en sont exclues (salariés agricoles, domestiques)) et d’un système d’assurance vieillesse pour les personnes de plus de 65 ans. Toujours en 1935 le programme de grands travaux est relancé.
L’expérience du New Deal est ambiguë à bien des égards.
Du point de vue de sa réussite tout d’abord, le bilan globalement positif de Roosevelt doit beaucoup à la date de sa prise de fonction véritablement au creux de la dépression. Mais encore fallait-il parvenir à l’endiguer. Ensuite le lent rétablissement de la production ne peut masquer la persistance d’un chômage très élevé.
Du point de vue de son inspiration keynésienne, s’il est vrai que Roosevelt a eu plusieurs entretiens personnels avec Keynes, la politique économique à l’œuvre reste ambivalente. D’un côté, un interventionnisme global se fait jour dans l’agriculture et l’industrie et des grands travaux contribuent à réemployer des chômeurs en ce sens elle peut être qualifiée de keynésienne. Mais, d’un autre côté, au moins jusqu’en 1938 le principe du caractère stabilisant du déficit budgétaire n’est pas ouvertement accepté par Roosevelt, des mesures de réduction des dépenses publiques ciblent la résorption du déficit fédéral comme en 1933 ou en 37-38. La vision keynésienne d’une stabilisation de l’activité par le budget ne l’emporte vraiment qu’à partir de 1939, les grands travaux sont alors puissamment relayés par des dépenses de réarmement.