3.5. La III° République (1) - Capitalisme industriel et communauté nationale

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Cours: Histoire des faits économiques
Livre: 3.5. La III° République (1) - Capitalisme industriel et communauté nationale
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Date: vendredi 3 mai 2024, 08:49

Introduction

A la fin de l’année 1870, Paris est assiégée par les Prussiens. C’est la famine dans la ville, pendant tout l’hiver 1870-1871. L’Empire Allemand est proclamé à Versailles le 18 janvier 1871. Le 28 janvier, un armistice entre la France et l’Allemagne est signé. Les élections législatives du 8 février 1871, hâtivement organisées, donnent la majorité au parti monarchiste, sauf à Paris, à majorité républicaine. Au terme de tensions politiques entre le peuple de Paris et le gouvernement conservateur et monarchiste (dont le transfert à Versailles, symbole de la monarchie absolue, n’est pas la moindre), une insurrection éclate le 18 mars 1871. C’est la « Commune de Paris ».

Les insurgés sont issus des classes populaires : ouvriers (env. 420 000 à Paris sur 1 800 000 habitants), petits artisans (env. 60 000) et petits commerçants. Le rôle des femmes aussi a été important, avec la figure de Louise Michel, institutrice, anarchiste et féministe.

Les insurgés occuperont Paris pendant 2 mois, dans une effervescence politique et intellectuelle qui rappelle les premières années de la Révolution Française. Les troupes du gouvernement réfugié à Versailles, aidées par les Allemands, reprendront Paris au terme de la « Semaine Sanglante » du 21 au 28 mai 1871, marquée par une répression féroce (entre 6 000 et 20 000 morts selon les sources) et de nombreuses destructions (dont l’Hôtel de Ville et le Palais des Tuileries). Les survivants sont condamnés ou exilés (comme Louise Michel, exilée en Nouvelle-Calédonie), l’amnistie n’interviendra qu’en 1880 grâce à Léon Gambetta. Bien qu’elle n’ait duré que deux mois et demi, la Commune de Paris reste un événement majeur dans l’Histoire de France. Malgré son échec, c’est la première véritable révolution socialiste, très vite intégrée à l’historiographie socialiste. Marx lui consacre un livre dès 1871, Lénine y fait longuement référence dans un ouvrage en 1917[1]. Elle marquera longtemps les rapports de classe en France.



[1] Karl Marx, La Guerre Civile en France, 1871 ; Lénine, L’Etat et la Révolution, 1917


L’unification culturelle et la constitution d’une communauté nationale

L’épisode de la Commune de Paris a fait prendre conscience aux dirigeants de la nécessité d’intégrer les classes populaires à la communauté nationale, plutôt que de les traiter en « ennemi de l’intérieur ». La République doit être « une et indivisible », unir de façon forte l’ensemble de la population. Est alors lancé un grand processus d’unification culturelle de la population, qui va prendre plusieurs formes :

-        Par les échanges entre régions. Le chemin de fer continue à se développer, principalement sur les lignes secondaires pour desservir efficacement l’ensemble du territoire, sous l’impulsion du ministre Freycinet.

-        Par le brassage des populations. Le service militaire universel, conçu comme la contrepartie du suffrage universel, unifie les individus dans la défense commune de la Nation. Aucun passe-droit ne permet d’y échapper (ce qui était le cas jusqu’ici).

-        L’unification culturelle se fait surtout par l’éducation. Les lois Ferry, au début des années 1880, instituent l’instruction laïque, gratuite et obligatoire. Contrairement à une idée reçue, ces lois ne visaient pas à l’alphabétisation, déjà assurée par la loi Guizot de 1833 (80% des enfants de 6 ans à 13 ans sont scolarisés en 1880), mais à l’imposition de références communes à l’ensemble de la population. Les écoliers de toutes les régions de France, de toutes les classes sociales ont désormais en commun la même histoire, les mêmes références culturelles. On constitue un « roman national » qui a pour but d’affirmer une identité commune fondée sur la Nation.

En outre, la France connait alors un fort développement de la culture écrite et des journaux. Ce point est très important, car jusqu’ici les opinions avaient été façonnés par les notables, seuls à avoir accès à une culture écrite. Désormais, les classes populaires peuvent se forger leurs propres convictions, avec la multiplication des journaux d’opinion comme La Justice, dirigé par Clemenceau ; L’Egalité, journal socialiste dirigé par Jules Guesde ; ou La Libre Parole, journal nationaliste dirigé par Edouard Drumont. Enfin, la période est marquée par un développement important de la petite fonction publique : instituteurs, postiers, etc[1].

Ainsi, trois éléments fondamentaux : la démocratisation de la vie politique par le suffrage universel, la réforme de l’école, et la liberté de la presse amènent à une « nationalisation de la société », c’est-à-dire la formation d’une même communauté d’appartenance basée sur la nationalité.


[1] Le nombre d’employés du chemin de fer passe de 86 000 en 1886 à 308 000 en 1907 ; les instituteurs de 64 000 en 1876 à plus de 100 000 en 1892. Ces emplois sont souvent occupés par des ruraux qui ont quitté leur terre pour faire des études à la ville.


La Grande Dépression (1873-1896) et ses conséquences sur le mode de production

La « Grande Dépression », entre 1873 et 1896, est la crise économique la plus importante du XIX° siècle. Elle va bouleverser en profondeur le mode de production industriel de la France, la faisant passer du modèle de la « Fabrique » au modèle de la « Grande Usine ».

-        L’industrie textile subit la crise en plein : le prix de la laine baisse de 42% entre 1880 et 1900. Les faillites se multiplient, seules les plus grandes entreprises subsistent, l’industrie se concentre et la mécanisation s’accélère.

-        Le chômage se développe rapidement, notamment pour la main-d’œuvre d’appoint, ancrée dans le monde rural, qui travaillait à temps partiel pour les Fabriques. Résultat : la constitution d’une armée de chômeurs qui rallie les villes et met les capitalistes en position de force.

Le modèle de la Grande Usine s’impose définitivement. Des milliers d’ouvriers sont concentrés sur le même lieu de travail, où toutes les étapes de fabrication d’un produit sont rassemblées. Cette concentration émane des contraintes techniques et économiques de l’industrie lourde, notamment la capacité à réaliser des économies d’échelle. Mais c’est aussi un moyen de contrôler plus étroitement la main-d’œuvre, en brisant l’autonomie des ouvriers déracinés de leurs attaches rurales. C’est en effet l’époque du « paternalisme » patronal : la ferme devient un logement dans une cité appartenant à l’usine ; le jardin remplace le champ. Les ouvriers se fournissent au magasin de l’usine, qui leur fait crédit en retenant sur leur salaire.


L’émergence du National-Protectionnisme

Face à la Grande Dépression, et suite à la constitution d’un « esprit national » voulu par la III° République, se développe le nationalisme. L’idéologie du « national-protectionniste » se constitue peu à peu en alternative au socialisme.

Le constat est le même : une condamnation de la concurrence entre travailleurs, comme chez les socialistes utopiques des années 1830-1840. Mais la réponse est différente, notamment chez Maurice Barrès : plutôt qu’opposer bourgeois et prolétaires, le « protectionnisme ouvrier » oppose français et étrangers. La volonté de protéger les travail national contre les travailleurs immigrés amène Barrès à proposer différentes mesures, comme une taxe spéciale sur les travailleurs étrangers, l’expulsion des étrangers sans travail et une préférence nationale systématique à l’embauche.

Les sentiments xénophobes et antisémites montent en puissance dans l’opinion : on voit se multiplier les émeutes anti-étrangers, comme à Aigues-Mortes en 1893, où plusieurs dizaines de travailleurs italiens sont tués. L’affaire Dreyfus est le symptôme de ce courant de pensée xénophobe qui prend de l’importance dans toutes les couches de l’opinion.

Le National-Protectionnisme se développe aussi dans le champ économique : la Dépression se traduit par un retour du protectionnisme. Le Traité de Libre-Echange signé en 1860 avec l’Angleterre est suspendu en 1880. La « loi sur le travail national » de 1893 impose aux travailleurs étrangers une déclaration de résidence à la mairie afin de pouvoir les contrôler. Enfin, en 1892, le « tarif Méline » institue des taxes sur les produits agricoles importés, afin de protéger l’agriculture française. La conséquence est une inflation des produits agricoles, qui met en danger la survie des prolétaires dont les salaires sont les plus faibles, et suscite l’opposition des socialistes.

L’Internationale Socialiste dénonce d’ailleurs les pratiques protectionnistes au Congrès d’Amsterdam en 1904 et affirme ses convictions internationalistes : « Considérant que la politique des classes capitalistes et des gouvernements impérialistes sépare les ouvriers du monde par des murailles de tarifs, et protège les intérêts économiques des propriétaires, des classes riches et des monopolistes en imposant des droits d’entrée sur la nourriture des ouvriers (…), le Congrès déclare que la protection n’est pas favorable au salarié. »