2.1. Les manifestations de la "révolution industrielle"

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Cours: Histoire des faits économiques
Livre: 2.1. Les manifestations de la "révolution industrielle"
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Date: dimanche 5 mai 2024, 04:02

Le début de la croissance économique moderne

La « révolution industrielle » constitue une rupture majeure dans l’histoire de l’humanité, comparable à la « révolution néolithique » associée à la sédentarisation et la domestication des animaux. Elle apparaît comme le point de départ de ce que Simon Kuznets (Prix Nobel d’Economie en 1971) appelle la croissance économique moderne à savoir un processus cumulatif d’accroissement simultané de la population, de la production et du revenu par tête.


Ce phénomène se déroule en Angleterre entre 1760 et 1830 pour reprendre la datation traditionnelle de l’historien britannique Ashton. Il se manifeste par l’apparition d’innovations dans les secteurs du textile (machines à tisser), du « machinisme » (perfectionnement de la machine à vapeur), de la sidérurgie et la métallurgie (diffusion des hauts fourneaux au coke…) et un peu plus tard dans d’autres domaines comme le transport ou la chimie.


Le caractère révolutionnaire de ces transformations est certes atténué par le fait que les innovations sont tributaires d’améliorations antérieures, c’est par exemple le cas de la machine à vapeur, dès la fin du XVIIe siècle Savery crée une machine à pomper l’eau des mines, en 1712 Newcomen améliore la machine… Mais une vraie rupture se déroule bel et bien à partir de la décennie 1760-1770 qui tient à l’ampleur et au nombre des innovations, à l’intensité de leur diffusion, aux inflexions observables dans la croissance des gains de productivité et de la production industrielle.

 

On constate l’apparition dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle de multiples inventions et innovations techniques dans un nombre relativement réduit de secteurs industriels principalement le textile (qui occupe alors 60 à 70% du total des actifs des industries manufacturières), le « machinisme », la métallurgie ainsi que les transports et la chimie.

Inventions et innovations

La recherche fondamentale, financée par les administrations publiques, a vocation à générer des inventions et à accroitre le stock des connaissances disponibles pour les entreprises qui, elles, les transforment en innovations. L'innovation consiste, pour une entreprise, à appliquer une invention ou une idée nouvelle dans un domaine industriel, organisationnel ou commercial. L'innovation peut être qualifiée de majeure lorsqu’elle modifie profondément les conditions d'utilisation du produit ou s'accompagne d'une rupture technologique. Elle est qualifiée d’incrémentale lorsqu’elle ne bouleverse pas significativement les conditions d'usage et l'état de la technique.


Selon Joseph Schumpeter, l'innovation peut prendre cinq formes :

  • La création de produits nouveaux qui accroissent la diversité et améliorent la qualité.
  • L’apparition de nouveaux procédés (nouvelles méthodes de production ou de transport).
  • La découverte d’une nouvelle source de matière première ou d’énergie.
  •  Des innovations commerciales (en matière de distribution par exemple…).
  • La mise en place de nouveaux types d’organisation (structures sociétaires…).

Les pouvoirs publics doivent à la fois rendre des arbitrages budgétaires favorables à la recherche fondamentale et mettre en place des mécanismes d’incitation afin d’accroitre l’innovation au sein des entreprises.

 

De nouvelles machines à tisser sont créés. Dans le secteur du « machinisme » l’écossais James Watt perfectionne la machine à vapeur, il dépose en 1769 le brevet d’une machine à vapeur avec condenseur séparé. 

Sur le perfectionnement de la machine à vapeur


Le secteur de la métallurgie connaît lui aussi des bouleversements techniques à la même époque comme la substitution du coke au charbon de bois pour alimenter les hauts fourneaux et produire la fonte. L’abondance de la fonte crée des goulets d’étranglement pour l’affinage (sa transformation en fer), le procédé du puddlage inventé par Cort en 1783 répond à ce défi. La même année Cort remplace le marteau hydraulique par le laminoir pour accélérer la forge du fer. L’extraction du charbon des mines s’effectue par rails d’abord en bois, puis métalliques à partir de 1765 en Angleterre.


Dans les transports le Français Cugnot utilise en 1770 l’action directe du piston sur la manivelle pour actionner une roue motrice mettant ainsi au point un premier véhicule terrestre à vapeur. En 1783 Jouffroy d’Abbans fait naviguer un premier bateau à vapeur. Plus tard, Trevithick effectue les premiers essais de locomotives à vapeur.


Dans le secteur de la chimie le chlore est découvert en 1774 par Scheele et utilisé très vite dans le blanchiment industriel des tissus.



L’histoire économique quantitative fait ressortir une nette rupture en Angleterre en matière de croissance de la production industrielle dans les années 1760-1770. Même si les premières décennies du 18ième connaissaient déjà un rythme de croissance assez soutenu (de l’ordre de 1% l’an) fondé notamment sur la protoindustrialisation, c’est un véritable décollage (take off pour reprendre la terminologie de Rostow Les étapes de la croissance économique (1963)) qui se fait jour à la fin du 18ième siècle.

 

La production d’articles manufacturés existait bien entendu avant la révolution industrielle dans le cadre d’une organisation qualifiée de proto-industrialisation. En matière d’organisation du travail la proto-industrialisation se fonde sur deux systèmes légèrement différents : les Domestic System et Putting-out System (Mantoux, 1906).

 

Du XVIe siècle à la première Révolution industrielle, le Domestic System est une relation commerciale entre les agriculteurs isolés en campagne et les négociants localisés dans des villes d’où ils dirigent leurs affaires. Les paysans fournissaient un travail ouvrier lors de périodes de faible activité agricole en organisant, à leur guise, la production (Mendels, 1972). Les négociants leur passaient des commandes (de tissus ou de petits objets) que les paysans réalisaient à domicile, le plus souvent avec leurs propres outils. Dans le modèle du putting-out le négociant apporte les consommations intermédiaires. Dans le secteur textile, les individus (les familles) travaillent à la maison en tant que sous-traitant pour une entreprise qui apporte les matières premières (fil, boutons…) et le débouché, le négociant met en œuvre une stratégie d'externalisation. Cette main d’œuvre dispersée géographiquement est docile. La même grande liberté apparente d’organisation du travail est laissée aux prestataires mais leur dépendance vis-à-vis des négociants apparait grande.

 

Le choix de l’internalisation a été fait durant la Révolution industrielle pour mieux la contrôler (selon les marxistes), gagner en efficacité pour les institutionnalistes dans la lignée de Ronald Coase («The Nature of the Firm», Economica, 1937). L’entrepreneur ne pouvait plus prendre certains risques liés à l’irrégularité du travail et au pouvoir de négociation grandissant des travailleurs. Par ailleurs, l’organisation de la production industrielle au sein de grandes manufactures a permis de réaliser de très importants gains de productivité.