1.1. Rome, une "économie-monde"

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Cours: Histoire des faits économiques
Livre: 1.1. Rome, une "économie-monde"
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Date: dimanche 5 mai 2024, 12:15

Introduction

La civilisation romaine va marquer de son empreinte toute l’histoire de l’Europe. Simple petit bourg rural à ses débuts, son territoire s’étendra, dans les premiers siècles de notre ère, sur l’ensemble du bassin méditerranéen pour embrasser « l’ensemble du monde connu ». L’exemple de Rome va nous permettre d’analyser la façon dont fonctionne l’économie dans l’Antiquité.

Entre la fondation de Rome en -753 et la chute de l’Empire Romain en 476, plus de 1000 ans s’écoulent. Entretemps, Rome va dominer l’ensemble du Bassin Méditerranéen, par conquêtes successives. Nous nous concentrerons sur la période qui va du III° siècle avant notre ère au II° siècle, du moment où Rome commence à assumer un rôle central en Italie jusqu’à l’âge d’or de la civilisation romaine, ce que l’on appelle « le siècle des Antonins » (une famille d’empereurs qui règne de 96 à 192 : Trajan, Hadrien, Marc-Aurèle notamment). Au milieu de cette période, en -27, Rome passe d’une république oligarchique, contrôlée par un petit nombre de familles, à un Empire, contrôlé par la personne unique de l’Empereur, qui concentre tous les pouvoirs entre ses mains.


Une économie agraire, qui trouve son expansion dans la conquête

L’économie romaine est une économie essentiellement agraire : les travaux agricoles concentrent 80% de la main-d’œuvre. Il faut posséder de la terre pour avoir le statut de citoyen romain et pouvoir participer à la vie de la cité. La terre permet au citoyen de subvenir à ses besoins, et le temps excédentaire peut être consacré à la guerre.

En effet, l’économie romaine est une économie de conquêtes. Il y a une relation directe entre la croissance économique et l’annexion de nouveaux territoires. Les conquêtes apportent non seulement de nouvelles terres à exploiter, mais aussi tout ce qui représente la richesse antique : des ressources, des métaux et des objets précieux, obtenus par le biais du tribut de guerre, une somme d’argent exigée des vaincus : à l’issue de la II° Guerre Punique en 202, Carthage doit verser 27 000 talents, une somme gigantesque. Le butin peut même comporter des bibliothèques entières, comme celle du roi de Macédoine, transportée à Rome après la conquête du pays en 168 avant notre ère. C’est une économie « de prédation » même si, une fois la conquête achevée, Rome se contente de prélever un impôt annuel (en nature et/ou en argent) sur les territoires conquis.

Les conquêtes constituent aussi un apport important de main-d’œuvre : les prisonniers de guerre sont transformés en esclaves, dont le nombre grandissant finit par représenter 1/3 de la population de l’Italie au début de l’Empire. En effet, Rome est confronté à une importante pénurie de travailleurs : d’un côté, les conquêtes ont fortement agrandi les terres à cultiver. De l’autre, elles ont affaibli la classe des paysans, qui forme l’essentiel du recrutement de l’armée. C’est pourquoi les esclaves sont nécessaires pour exploiter les nouvelles terres.

Parallèlement, la propriété foncière se concentre. L’expansion territoriale favorise le développement du système des latifundia de l’aristocratie sénatoriale : d’immenses propriétés cultivées, qui vivent en quasi-autarcie. Ces domaines fournissent un surplus monétaire qui sera mobilisé plus tard pour développer le commerce à longue distance.

L’économie romaine : production et échanges

C’est à partir du III°s. avant notre ère que se développent les échanges sur longue distance. Ceux-ci se font essentiellement par voie de mer, et ont une dimension méditerranéenne. Le transport maritime est risqué, en raison des naufrages et des pirates qui écument la Méditerranée, mais beaucoup plus économique et beaucoup plus rapide que le transport par terre. Keith Hopkins estime ainsi que le prix d’un chariot de blé transporté par voie terrestre double au-delà de 400 km en raison des coûts de transport.

Les marchandises transportées sont essentiellement alimentaires : du blé, de l’huile, et du vin. Des quantités considérables sont transportées chaque année pour alimenter la ville de Rome, qui atteint 1 million d’habitants dès le début de l’Empire. Il y a aussi des biens de luxe, destinés à l’aristocratie romaine, les membres des grandes familles et les hauts fonctionnaires de l’administration impériale. Des épices, des étoffes précieuses, des objets en or et en argent… Peu à peu, les différentes provinces romaines se spécialisent dans l’extraction ou la production de biens destinés à l’exportation, dans une sorte de version antique de la division internationale du travail : le blé de Sicile et d’Egypte, le vin de Gaule, les métaux d’Espagne... L’Empire Romain est, pour reprendre l’expression de Fernand Braudel, la première « économie-monde » de l’Histoire.

A côté de ce commerce sur longue distance et de l’opulence des classes dominantes, existe aussi, dans les campagnes, une économie naturelle ou de subsistance. Des petits paysans qui arrivent avec peine à l’autosubsistance, avec des conditions de vie parfois très dures : ainsi, 1 enfant sur 3 n’atteint pas sa première année. Un commerce de petite distance se développe, entre les espaces ruraux et la ville la plus proche, où s’échangent des biens de première nécessité (nourriture, habillement, quelques outils rudimentaires).

Cependant, les bénéfices de l’activité commerciale ne se transformeront jamais en capital industriel, pour plusieurs raisons :

-        D’abord, le prestige attaché à la possession de la terre, souvenir des premiers temps de la République et des citoyens-paysans-soldats qui ont fait la gloire de Rome. Ainsi les profits du commerce sont souvent réinvestis dans la terre.

-        Ensuite, le discrédit qui touche le travail de production manufacturière et l’artisanat, considérés comme une occupation dégradante et réservée aux esclaves.

L’Empire Romain a un fonctionnement très centralisé. Tous les centres de décision se trouvent dans la ville de Rome, qui attire à elle toutes les richesses et toutes les marchandises du monde romain. Rome est à cette époque le « comptoir du monde ». Les échanges de Rome avec les Provinces trouvent leur équilibre grâce au développement du commerce. L’impôt qui pèse sur les provinces conquises permet à Rome de disposer des liquidités nécessaires pour payer ses importations. En retour, les provinces sont incitées à développer leur production pour pouvoir payer les impôts.

Une société esclavagiste et « atechnologique »

Rome est une société esclavagiste. Il faut se garder de juger ce trait avec notre mentalité contemporaine : à l’époque, l’esclavage des populations vaincues est pratiqué par tous les peuples de l’Antiquité et apparait comme absolument normal. L’esclavagisme romain a deux traits particuliers :

-        D’abord, les esclaves peuvent occuper de nombreux postes, parfois prestigieux : certains sont les précepteurs des enfants des familles aristocratiques, d’autres gèrent des latifundia… Seuls quelques postes, dans la haute administration ou dans l’armée, sont réservés aux citoyens romains.

-        Ensuite, le travail servile est efficace. Il est strictement organisé, avec une division du travail poussée et des procédures de contrôle du produit. Les rendements agraires sont élevés.

L’Histoire de Rome a compté trois grandes révoltes d’esclaves, en 135, en 104, la dernière étant celle de Spartacus en 70 (les « guerres serviles »). On sait peu de choses sur Spartacus, c’est pourquoi il sera récupéré et deviendra une figure romantique, un symbole de la lutte contre l’oppression (à partir du XVIII° s.). Il s’échappe avec 300 autres gladiateurs, et rallie les esclaves des latifundia de Campanie (région de Naples). Ils se procurent des armes, et battent une armée de 3 000 auxiliaires envoyée contre eux. Ils se nourrissent par le pillage. A un moment, les esclaves se séparent en plusieurs groupes, pour une raison inconnue. Rome va exploiter cette division. Le groupe de Spartacus bat à nouveau les légions envoyées contre lui, et oblige les légionnaires qu’il a fait prisonniers à se battre devant eux, comme des gladiateurs. Il résiste encore quelque temps, pourchassé par les légions de Crassus. Mais il finit par être battu, et meurt les armes à la main en -71. La répression est atroce, se veut exemplaire : 6 000 esclaves sont crucifiés le long de la Via Appia¸ la route qui mène de Capoue à Rome. Le personnage de Spartacus sera récupéré pour son combat pour sa liberté : par les Lumières du XVIII°s., puis par les anti-esclavagistes du XIX°s., enfin par les communistes au XX°s. (les prolétaires sont assimilés aux esclaves – cf. le parti « spartakiste » de Karl Liebnecht et Rosa Luxembourg).

Un dernier point de la civilisation romaine est son caractère « atechnologique ». Si les Romains furent de grands architectes, des ingénieurs hors pair, et poussèrent la science militaire aussi loin qu’il était possible pour l’époque, les innovations technologiques dans la production furent rares. Les historiens expliquent ce point par le discrédit qui touche les activités de production dans la mentalité romaine, mais aussi par le caractère esclavagiste de la société : avec une main-d’œuvre abondante et gratuite, il n’est nul besoin d’inventer des machines pour faciliter le travail manuel.

L’Empire Romain entame son déclin à partir du III° siècle de notre ère. Il s’effondre à la fin du V° siècle sous la poussée des invasions barbares. Commence alors le Moyen-Age.