5.4 : La redistribution : où l'observer et quelle efficacité ?

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Cours: Macroéconomie 1
Livre: 5.4 : La redistribution : où l'observer et quelle efficacité ?
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Date: jeudi 2 mai 2024, 12:52

1. Introduction

Nous avons suggéré que les opérations de redistribution puissent affecter l’activité économique. Maintenant, comment mesurer ces opérations de redistribution ? Sont-elles importantes ? Sont-elles efficaces ?

Dans cette section, nous allons brièvement aborder ces questions.


2. Le TEE

La comptabilité nationale cherche à représenter de façon synthétique l’ensemble de l’activité économique d’un pays en enregistrant les flux monétaire et financiers entre les différents acteurs de cette économie. Puisqu’il serait impossible de représenter chacun des acteurs (vous, moi, chaque personne, chaque entreprise, etc.), ces acteurs sont regroupés en grandes catégories : les secteurs institutionnels. On trouve les ménages, les sociétés financières, les sociétés non financières, les administrations publiques, les institutions sans but lucratif et le reste du monde.

Une fois ces acteurs précisés, on pourrait résumer les opérations entre ces acteurs avec une représentation en circuit de l’économie. Toutefois, si l’on souhaite préserver un minimum de précision, la représentation graphique risquerait de devenir illisible à cause du très grand nombre d’opérations différentes : par exemple, les entreprises produisent, paient des salaires, des capitaux, des facteurs de productions, des impôts ; elles touchent des subventions, vendent leurs produits, etc.

Aussi, plutôt que de représenter les choses sous forme d’un schéma, la comptabilité nationale va-t-elle les organiser sous forme de tableaux où chaque colonne correspondrait à un acteur (ou secteur institutionnel) et chaque ligne à un type d’opération (production, consommation, etc.). Dans la phrase précédente, on précise bien de « tableaux » au pluriel. En effet, la comptabilité nationale va établir une succession de tableaux en profitant du fait que les opérations entre secteurs institutionnels peuvent être « séquencées » et « présentées » les unes à la suite des autres (on parle parfois de « cascades » de comptes). Cette série de comptes est appelée le Tableau Economique d’Ensemble (TEE) par la comptabilité nationale.

Pour présenter les choses simplement, le tableau économique d’ensemble est divisé en trois grandes parties : les comptes courants, les comptes de variation de patrimoine et le compte de patrimoine. Les premiers présentent les opérations courantes au cours d’une année comme la production, la distribution des revenus, etc. Les seconds vont résumer les opérations qui influent sur le patrimoine (et donc les stocks) d’actifs de la nation. Le dernier compte présente une synthèse du patrimoine d’un pays (répartis entre secteurs institutionnels).

Plus précisément, les comptes courants regroupent en fait cinq comptes :

-        Le compte de production : son solde est la valeur ajoutée.

-        Le compte d’exploitation : son solde est l’excédent brut d’exploitation ou le revenu mixte.

-        Le compte d’affectation des revenus primaires : son solde est le revenu primaire.

-        Le compte de distribution secondaire du revenu : son solde est le revenu disponible.

-        Le compte d’utilisation primaire du revenu : son solde est l’épargne.

Les comptes de variations de patrimoine contiennent :

-        Le compte de capital : c’est notamment dans ce compte que l’on va observer l’investissement (FCBF) et les besoins/capacités de financement des secteurs institutionnels.

-        Le compte financier.

-        Deux autres comptes regroupant les « autres changements de volume et ajustement » et les « réévaluation d’actif ».

Remarque : les comptes de production et d’exploitation permettent de calculer le PIB dans l’approche par la valeur ajoutée et l’approche par les revenus.

3. Revenu primaire et revenu disponible

Revenons à notre thématique des inégalités et à notre question initiale : où observer les opérations de redistribution et leur importance ?

Le TEE s’avère être un outil extrêmement riche pour répondre à cette question et notamment les comptes d’affectation des revenus primaires et de distribution secondaire du revenu.

Pour bien comprendre, il faut remonter un peu plus haut : au compte d’exploitation. Celui-ci explique comment se partage la valeur ajoutée, notamment entre les salaires, les revenus mixtes bruts, (les impôts et subventions sur la production) et l’excédent brut d’exploitation.

Cette information est cruciale pour savoir comment la production (ou la valeur ajoutée) engendre des rémunérations. Mais ces rémunérations ne constituent pas nécessairement l’ensemble des revenus des agents économiques et notamment des ménages : ceux qui touchent des loyers, des intérêts, etc. vont bénéficier de revenus supplémentaires. Il faut donc les ajouter pour obtenir les revenus primaires.


Définition : Revenu primaire

Les revenus primaires comprennent les revenus directement liés à une participation des ménages au processus de production. La majeure partie des revenus primaires des ménages est constituée de la rémunération des salariés, laquelle comprend les salaires et les cotisations sociales. Ces revenus comprennent aussi des revenus de la propriété résultant du prêt ou de la location d'actifs financiers ou de terrains (intérêts, dividendes, revenus fonciers...).

Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1196

Toutefois, ces revenus primaires ne constituent pas le revenu disponible des ménages et ce, du fait des opérations de redistribution (au sens large) opérées au sein d’une société). En effet, les ménages paient des impôts, par exemple sur le revenu et le patrimoine, ils paient des cotisations sociales (par convention, la comptabilité nationale considère que l’ensemble des cotisations sociales sont payées par les ménages). A l’inverse, les ménages reçoivent des prestations sociales. Une fois ces opérations enregistrées, on obtient le revenu disponible (brut).

 

Définition : revenu disponible

Le revenu disponible d'un ménage comprend les revenus d'activité (nets des cotisations sociales), les revenus du patrimoine, les transferts en provenance d'autres ménages et les prestations sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage), nets des impôts directs.

Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1458

 

Encore une fois, le TEE est un outil extrêmement important afin de mesurer l’ampleur des opérations de redistribution. Si l’on prend l’exemple de la France en 2017, on peut observer une différence importante entre les revenus primaires (1603,6 milliards d’euros) et le revenu disponible (1389,6 milliards d’euros). Surtout, on peut observer le montant des impôts payés par les ménages sur les revenus ou le patrimoine (226,7 milliards d’euros) ou les prestations (autre qu’en nature) reçues par ces ménages (495.4 milliards d’euros).


Pour conclure, on peut remarquer deux choses :

(1)   Il est « normal » que les revenus primaires soient supérieurs au revenu disponible : après tout, les impôts payés par les ménages ne servent pas uniquement à des fins de redistribution : ils financent aussi des services publics, des investissements publics, etc.

(2)   Le TEE nous donne une information pertinente sur le montant total des transferts à destination ou au départ des ménages (et des autres secteurs institutionnels). Toutefois, cela ne nous aide pas à observer si et à quel point ces transferts modifient ces inégalités. Une dernière question se pose donc : quel est l’impact des opérations de redistribution ?


4. L’impact des opérations de redistribution

Pour savoir si et à quel point les opérations de redistribution permettent de limiter les inégalités, il faut calculer un indice d’inégalité (de revenu ou encore une fois, de richesse) avant et après ces opérations de redistribution.

Le rapport inter déciles est un indicateur simple et souvent utiliser pour cet exercice.
Des analyses réalisées par l’Observatoire des Inégalités suggèrent qu’en France, l’écart inter déciles (entre les premier et 9ème déciles) en matière de niveau de vie pourrait être divisé par presque 4 (de 21,1 avant redistribution à 5,7). Ce même écart entre les second et 8ème décile serait quant à lui divisé de moitié (de 8,3 à 4).

Si on peut probablement nuancer les chiffres exposés plus haut, force est de constater que les opérations de redistribution semblent avoir un impact important sur les inégalités. Cette vision est confortée lorsque l’on s’intéresse au coefficient de Gini calculé sur les revenus avant et après impôts et opérations de redistribution. En 2017 en France, le coefficient de Gini passe de 0,52 (avant redistribution) à 0,29 (après redistribution) selon l’OCDE.

Remarque : L’ensemble des chiffres de l’Observatoire des Inégalités peuvent être retrouvés dans le lien suivant : l’article est également intéressant à lire.

https://www.inegalites.fr/Impots-et-prestations-sociales-reduisent-les-inegalites-de-revenus-de-moitie?id_theme=15


Les coefficients de Gini sont ceux calculés par l’OCDE. La base de données pour les retrouver est accessible ici :

https://stats.oecd.org/index.aspx?queryid=66670&Lang=fr