2.1 : Qu’est-ce que le PIB ?

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Cours: Macroéconomie 1
Livre: 2.1 : Qu’est-ce que le PIB ?
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Date: lundi 29 avril 2024, 21:19

1. Introduction

Dans le premier chapitre, les grandes thématiques de la macroéconomie – les fluctuations de l’activité économique et la croissance sur le long terme – ont été présentées. Au cours de ces présentations les notions de PIB et de PIB par habitant ont été abordées ; mais qu’est-ce que véritablement le PIB ? Comment le comprendre ? Comment l’utiliser ? Dans ce chapitre, nous allons revenir sur ces questions en commençant par une présentation rapide de son histoire et une première définition du PIB comme « somme des valeurs ajoutées brutes » (section A). Dans un second temps, nous allons approfondir cette présentation avec deux autres approches du PIB : par la demande et par le revenu (section B). Dans la section suivante (section C), nous discuterons de la manière d’utiliser le PIB afin d’analyser les évolutions de l’activité économique. Nous reviendrons ensuite sur les différentes formules (section D) et leur intérêt. Dans les sections E et F, nous discuterons des limites du PIB et des autres indicateurs qui permettent d’aller plus loin.


2. Un peu d'histoire

Commençons par un peu d’histoire : pour comprendre ce qu’est le PIB, il est utile de remonter à sa création. En 1931, alors que les conséquences du choc économique de 1929 sont manifestes, le Congrès des Etats-Unis charge l’économiste Simon Kuznets (1901-1985 et « prix Nobel » en 1971) de créer un indicateur permettant de mesurer l’activité économique dans son ensemble. [1] En effet, à l’époque, si des indicateurs sectoriels de l’activité économique existaient déjà (la production minière, la production d’acier, la production agricole, etc.) il n’en existait aucun de « général ». Or, lorsqu’une crise survient (comme après 1929), on peut souhaiter mesurer l’impact de cette crise sur l’ensemble de l’économie et non pas sur un secteur particulier. De même, lorsque l’on met en place une politique publique (afin de relancer l’activité économique par exemple) on peut souhaiter connaître son impact sur l’activité « en général » et non pas sur un (ou plusieurs) secteur(s) particulier(s).

Kuznets cherche donc à créer un tel indicateur de l’activité économique : le PIB. On peut donc d’ores et déjà remarquer que le Congrès des Etats-Unis souhaitait définir un indicateur d’activité. Ce n’est donc pas un indicateur de « richesse » (mais plutôt de « revenu ») [2] et encore moins de « bien-être ». Un point sur lequel Kuznet insiste dès ses premiers travaux et sur lequel nous reviendrons. Au-delà de ce premier travail, deux autres travaux abordent cette question du « revenu national » et vont inventer un moyen de le mesurer.

  • En premier lieu, et comme développé dans le chapitre 1, la Theorie Générale (1936) de John Maynard Keynes va révolutionner la façon de penser la macroéconomie. Cet ouvrage est d’autant plus important que Keynes va participer aux travaux cherchant à mesurer le revenu national et pour mettre au point un système de comptabilité national en Angleterre (l’un des objectifs de la comptabilité nationale est justement de mesurer le « revenu national » et donc le PIB). De nombreux économistes d’inspiration Keynésiennes participèrent également à la création de ces systèmes dans leurs pays respectifs, comme par exemple Jan Tinbergen (déjà évoqué au chapitre 1) qui y contribua au Pays-Bas. Ce point n’est pas anodin : les catégories utilisées par la macroéconomie keynésienne et ceux de la comptabilité nationale sont les mêmes. Ceci permet de disposer de mesures précises des grandeurs économiques (revenu, consommation, investissement, etc.) qui sont au cœur de la macroéconomie.

  • En second lieu, il est difficile d’ignorer Wassily Leontief (1906-1999 ; « prix Nobel » en 1973) qui, dans une série de travaux (« Quantitative Input and Output Relations in the Economic System of the United States » et «The Structure of the American Economy »), imagine le Tableau Entrée Sortie. Ce tableau, qui présente l’économie par « branches » et par « produits » (construction, industrie, agricultures, etc.) et décrit comment ceux-ci sont produits et utilisés par l’économie nationale est une pièce essentielle de la Comptabilité Nationale, même si nous en discuterons peu dans ce cours.

Ce rappel de l'inspiration keynésienne de la Comptabilité Nationale et du PIB ne doit pas laisser croire que l'ensemble des systèmes de comptes étaient identiques dès l'origine. De fait, chaque pays pouvait avoir son propre système ce qui rendait les comparaisons internationales difficiles. Toutefois, les Nations Unies proposèrent dès 1970 des règles méthodologiques communes dans l'établissement de Système de comptabilité nationale (SNC). L'Europe s'inspire de ces normes pour proposer un système européen des comptes (SEC 1979). Depuis lors, le mouvement pour une harmonisation des systèmes de comptabilité nationale n'a pas cessé et la plupart des Etats ou des organisations internationales (ONU, OCDE, Banque Mondiale, FMI, Eurostat) utilisent maintenant des systèmes extrêmement proches.


[1] Kuznets s’intéressait déjà à ces questions ; d’où le choix du Congrès. Par ailleurs, un économiste anglais, Colin Clark (1905-1989) est aussi un des pionniers de la mesure du revenu national.

[2] On peut expliciter la différence en considérant un individu : le revenu d’un individu est ce qu’il gagne durant une période de temps donnée, par exemple un mois ou une année. En économie, on va parler de « flux ». Sa richesse, au contraire, est un « stock ». Il s’agit de l’inventaire de tout ce qu’il possède et a pu accumuler dans le temps. De même, le revenu d’un pays mesure « ce qu’il gagne » en un an quand la richesse regarde l’ensemble des éléments valorisables au sein de ce pays.   


3. PIB, prix et valeur ajoutée

Revenons au problème de Kuznets et des autres fondateurs de la Comptabilité Nationale : comment mesurer l’activité économique ? Considérons une économie où une multitude de biens et de services sont produits: des voitures, des bâtiments, des légumes, des pizzas, mais aussi des services à la personne, des services de transports de voyageurs, des services de santé et des services d’éducation. Comment parvenir à un indicateur synthétique permettant de rendre compte de l’activité de l’ensemble de ces secteurs ? La difficulté provient du fait que l’on ne peut pas additionner « des choux » et « des bananes » ou « des services à la personne » et « des voitures ». Aussi on ne peut pas simplement additionner les productions de différents secteurs. Pour le faire, il faut une unité commune.

Il existe de multiples unités communes possibles pour additionner les productions des différents secteurs. On pourrait par exemple imaginer le poids des objets. En effet, il est en théorie possible d’additionner le poids des voitures, le poids des bâtiments, le poids des légumes produits au sein d’un pays… toutefois, il y aurait au moins deux difficultés avec ce genre d’unité : (a) en premier lieu certains biens et services, et surtout des services, n’ont pas de poids à proprement parler (par exemple, une coupe de cheveux n’a pas de poids). (b) En second lieu, le poids d’un objet ne fait pas véritablement sens d’un point de vue économique. Un microprocesseur ne pèse pas grand-chose mais pourrait être important d’un point de vue économique. Cette idée « absurde » d’utiliser le poids montre que deux critères (au minimum) semblent importants pour construire une telle unité commune : (1) concerner l’ensemble des biens et services d’une économie ou du moins, le plus grand nombre possible et (2) faire sens économiquement.

Kuznets et les fondateurs de la Comptabilité Nationale ont décidé d’utiliser « les prix » et donc « la valeur de marché » des biens comme unité commune. Ce choix présentait de nombreux avantages. L’un d’entre eux est que les entreprises et autres acteurs économiques disposent généralement des informations précises sur les prix de vente de leurs produits. Administrativement parlant, collecter cette information n’est donc pas insurmontable. Malgré ces avantages, utiliser les prix posait aussi de nombreux problèmes. Notamment, certains biens et services n’ont pas de prix à proprement parler comme l’éducation en France, l’activité économique réalisée au sein d’un foyer, etc. Nous y reviendrons plus tard.

Utiliser directement le « prix de vente » des biens conduit cependant à une autre difficulté afin de créer un indicateur de l’activité économique. Cette difficulté explique pourquoi la valeur de la production n’a pas été directement retenue afin de générer un indicateur de l’activité économique mais la « valeur ajoutée ».

Pour comprendre cette difficulté, considérons un exemple : imaginons une entreprise qui fabrique des chaises en bois en utilisant (uniquement) du bois comme matière première pour les fabriquer. Supposons par ailleurs que les ventes annuelles (i.e. la valeur de sa production) de ces chaises correspondent à 25 000€. Imaginons maintenant qu’une première entreprise vende le bois utilisé pour la construction de ces chaises pour une valeur annuelle de 15 000€. Quelle est la valeur de ces productions ? L’entreprise productrice de bois génère bien une valeur de 15 000€ dans cette économie simplifiée, toutefois la seconde achète des matières premières pour une valeur de 15 000€ et vend sa production pour une valeur de 25 000€, elle n’a donc généré que 10 000€ de « nouvelle » valeur. Aussi, la valeur réellement produite dans cette économie n’est que de 25 000€ [= 15 000 + (25 000 – 15 000)€]. Ce n’est donc pas 40 000€ qui, en un sens, compterait deux fois les matières premières : une fois directement quand elles sont produites et vendues et une seconde fois indirectement car le prix des objets utilisant ces matières premières reflète leur coût.

Les économistes vont donc distinguer : la valeur de la production (quantité produite fois le prix) que l’on appelle aussi le chiffre d’affaires des entreprises et la valeur ajoutée brute qui correspond au chiffre d’affaires diminué de la valeur des consommations intermédiaires (la valeur des matières premières et autres inputs utilisés par l’entreprise dans son processus de production). C’est cette notion de « valeur ajoutée » qui va intéresser les économistes dans la mesure de l’activité économique : le PIB est la somme des valeurs ajoutées (brute) au sein des frontières d’un pays.

En comptabilité nationale (et de fait, en comptabilité de manière générale), on a tendance à représenter les informations en utilisant des comptes en (forme de) « T », où la colonne de droite comptabilise les « ressources » (les ressources disponibles) et la colonne de gauche les « emplois » (comment ces ressources sont employées). Dans les deux exemples ci-dessous, certains traits des tableaux (la barre centrale et la barre sous emplois et ressources) forment un "T". Par ailleurs, on impose dans ces comptes en T un équilibre entre emplois et ressources (les ressources disponibles doivent être employées à quelque chose). Pour respecter cette égalité, la colonne « emplois » se conclut par un solde qui comptabilise l’ensemble des ressources pour lesquelles, on ne sait pas encore à ce stade l’emploi. Ces soldes sont souvent très intéressant car ils nous indiquent « ce qui reste » une fois certaines utilisations (i.e. certains emplois) pris en compte. En utilisant cette approche et en reprenant l’exemple précédent, on peut mieux comprendre cette première approche du PIB. Pour ce faire, nous allons inscrire dans un compte en T les valeurs de la production, les consommations intermédiaires et un solde : la valeur ajoutée des entreprises utilisées en exemple dans le paragraphe précédent.

Entreprise 1 : coupe et vente de bois

Emplois

Ressources

Consommation intermédiaire : 0€

 

Valeur ajoutée : 15 000€

Production : 15 000€


Ici, nous savons que cette entreprise produit pour 15 000€ de bois (son « chiffre d’affaires »). Elle dispose donc de 15 000€ de ressource. Par ailleurs, nous faisons l’hypothèse qu’elle n’utilise pas de matières premières ; sa « consommation intermédiaire » est donc « 0€ ». La valeur ajoutée, d’une valeur de 15 000€ est le solde de ce compte en « T » (à ce stade, on ne sait pas comment ils sont utilisés).

Entreprise 2 : fabrique de meubles

Emplois

Ressources

Consommation intermédiaire : 15 000€

 

Valeur ajoutée : 10 000€

Production : 25 000€


La seconde entreprise produit pour 25 000€ qui sont donc ses ressources. Toutefois ces 25 000€ "contiennent" également la valeur des consommations intermédiaires : le bois de l’entreprise 1. Sa valeur ajoutée est donc de 10 000€.

Remarquons que lorsque l’on s’intéresse à l’économie dans son ensemble et pas à des entreprises particulières, on peut sommer les comptes des entreprises ci-dessus et parvenir à un « compte agrégé ». On appelle ce compte le compte de production car il décrit la production d’une (partie de l’) économie.

La somme des deux entreprises

Emplois

Ressources

Consommation intermédiaire : 15 000€

 

Valeur ajoutée : 25 000€

Production : 40 000€

 


4. Les impôts sur les produits et quelques remarques

Un dernier problème doit nous conduire à amender quelque peu la définition du PIB que nous venons de voir (i.e. le PIB comme la somme des valeurs ajoutées) : l’Etat peut intervenir sur les prix au sein d’une économie et notamment en subventionnant ou en imposant certains produits. Dans ce cas, les prix payés par le consommateur et ceux perçus par les vendeurs diffèrent. Dans la plupart des pays, on peut par exemple penser à la TVA qui introduit une différence entre ce que paye le consommateur et ce que gagne le producteur. En France, on peut également penser à la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou TIPP ou les taxes sur les alcools.

Pour mesurer une grandeur économique, il faut donc décider du prix qui va être utilisé ; celui payé par le consommateur final ou celui reçu par le producteur. Généralement, pour ce faire, on va retenir le prix qui renferme l’information qui semble la plus pertinente. Quand on s’intéresse aux entreprises, par exemple lorsque l’on mesure la valeur ajoutée ou la valeur de la production, on va généralement souhaiter retenir le prix perçu par ces entreprises. En effet, on a déjà évoqué la similitude entre la (valeur de la) production et le chiffre d’affaires. Utiliser le prix « perçu par les entreprises » permet donc d’obtenir un indicateur intéressant sur ces entreprises.

Toutefois, la comptabilité nationale va mesurer le PIB en utilisant les prix de marché et donc les valeurs de la production « payée » par les utilisateurs finaux, comme par exemple les consommateurs. Ce choix peut sembler arbitraire (et dans une certaine mesure, il l’est), mais il est aussi pratique en macroéconomie car il permet une équivalence entre certaines grandeurs définies par la théorie économique (nous y reviendrons) et celles définies par la comptabilité nationale.

Pour l’heure, on va simplement retenir que pour obtenir le PIB, à la somme des valeurs ajoutées, il faut ajouter les impôts sur les produits et retrancher les subventions sur ces produits. En effet, le consommateur quand il paie un produit, doit payer également les impôts et taxes sur ce produit ce qui « augmente » le prix du produit (pour le consommateur). Pour refléter cela dans le PIB, il faut donc ajouter ces impôts. A l’inverse, si la production est subventionnée, alors le prix que paie le consommateur est moins élevé que celui obtenu par le producteur. Une fois encore, pour que le prix reflète au mieux le prix du marché (du consommateur), il faut enlever ces subventions. Ces modifications doivent aussi être faites lors de ce calcul du PIB (remarque : cette discussion s'applique également aux impôts et taxes sur les importations). On obtient finalement :

\(PIB = \sum VAB + Impôts sur les produits - subventions sur les produits \)

Cette formule du PIB est la première à retenir. Et, pour finir avec ce premier calcul, on peut faire deux remarques :

  • Le PIB est un flux et non un stock. Une analogie peut éventuellement clarifier la distinction : imaginons un lavabo avec un robinet d’eau ouvert. L’eau qui sort du robinet est un flux d’eau. L’eau qui s’accumule au fond du lavabo est le stock d’eau. Ici, on s’intéresse à la « valeur ajoutée brute », on mesure donc la valeur des nouvelles productions générées durant une période donnée : c’est un flux.

  • On parle de produit intérieur brut car il ne prend pas en compte la dépréciation et l’amortissement des actifs. Reprenons l’image précédente et imaginons qu’en plus de l’eau en provenance du robinet, à chaque instant, une petite partie de l’eau dans le lavabo s’évapore. Pour mesurer correctement la quantité d’eau réellement ajoutée à chaque instant dans le lavabo, il faudrait enlever cette évaporation. De même, pour mesurer la « richesse nouvelle» ajoutée dans un pays, il faudrait prendre en compte que le capital fixe peut s’user, c’est-à-dire, une partie des biens durables anciennement créés peut disparaître. On va parler de Produit Intérieur Net quand on soustrait la consommation de capital fixe au PIB et donc que l’on prend en compte ce problème. Toutefois, comme la prise en compte de cette « usure » peut être problématique, en pratique, le produit intérieur net est assez peu utilisé.


5. Quelques définitions

Remarque : ces définitions ne sont pas à savoir « par cœur », il faut toutefois comprendre ces notions et savoir à quoi elles correspondent pour progresser en (macro)économie.

Valeur ajoutée : Solde du compte de production. Elle est égale à la valeur de la production diminuée de la consommation intermédiaire.
Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1950

Consommation intermédiaire : Valeur des biens et services transformés ou entièrement consommés au cours du processus de production.
[Remarque :]
L'usure des actifs fixes mis en œuvre n'est pas prise en compte ; elle est enregistrée dans la consommation de capital fixe.
Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1052

Impôts sur les produits : Les impôts sur les produits sont des impôts dus par unité de bien ou de service produite ou échangée. Ils peuvent correspondre à un montant monétaire déterminé à verser par unité de quantité du bien ou du service ou être calculés sous la forme d'un pourcentage déterminé de leur prix unitaire ou de leur valeur. À moins qu'il ne soit spécifiquement visé ailleurs, tout impôt grevant un produit relève de la présente catégorie, quelle que soit l'unité institutionnelle qui l'acquitte. Les impôts sur les produits sont constitués essentiellement de la taxe sur la valeur ajoutée, de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, des droits de mutation à titre onéreux, des droits sur les alcools et les tabacs.
Source INSEE : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1868
Remarque : une unité institutionnelle est un « type » d’acteurs dans l’économie. Par exemple, « les entreprises » ou « les ménages », etc.