1.4 : Les désaccords entre économistes et l’opposition « Macroéconomie » VS « microéconomie »

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Cours: Macroéconomie 1 : La production et la répartition des richesses dans une économie
Livre: 1.4 : Les désaccords entre économistes et l’opposition « Macroéconomie » VS « microéconomie »
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Date: jeudi 26 décembre 2024, 13:15

1. La macroéconomie "microfondée"

Pour conclure ce chapitre, nous allons brièvement ouvrir une parenthèse afin d’aborder « l’opposition » entre macroéconomie et microéconomie. Aborder cette opposition permettra peut-être de la nuancer mais aussi d’esquisser pourquoi il existe de nombreux débats entre économistes, notamment sur les politiques publiques à mettre en œuvre.

Comme expliqué précédemment, ces deux disciplines (micro et macro) sont souvent au cœur des cursus d’économie et elles sont parfois présentées comme s’opposant l’une à l’autre. Cette opposition entre les deux disciplines repose sur l’idée que la microéconomie s’intéresse aux choix et décisions d’agents particuliers (par exemple, comprendre les décisions d’une entreprise dans une situation particulière) quand la macroéconomie s’intéresse à l’économie à un niveau agrégé, le plus souvent celui d’un Etat ou d’un pays [1]. Cette opposition est fondée ; toutefois, il ne faut pas la surestimer. En effet, les deux disciplines se rejoignent aujourd’hui sur bon nombre de méthodes employées.

A partir des années 1970, des macroéconomistes et notamment Robert E. Lucas (né en 1937 et « prix Nobel » en 1995) ont en effet souhaité reconstruire la macroéconomie (et en particulier son volet sur l’analyse des fluctuations de l’économie) en la fondant sur la microéconomie.

Ce désir de refondation de la macroéconomie repose initialement sur une conception idéologique du fonctionnement des marchés. Lucas les pensait efficaces quand la macroéconomie précédente (d’inspiration keynésienne) les pensait défaillants. Toutefois, et au-delà de cet aspect idéologique, Lucas et les nombreux économistes s’inscrivant dans cette mouvance souhaitaient mettre en lumière l’incapacité des théories macroéconomiques de l’époque à expliquer le phénomène de stagflation des années 1970 : c’est-à-dire une faible croissance doublée d’une hausse généralisée des prix relativement forte. Par ailleurs, Lucas souhaitait s’opposer à l’opinion (plutôt partagée alors) d’une relation quasi-mécanique entre taux de chômage et inflation [2]. Enfin, il désirait insister sur le fait que (a) les individus réagissent aux politiques publiques mises en place par les États et (b) agissent en fonction de leurs anticipations (la manière dont ils se représentent le futur). Pour ce faire, les macroéconomistes devaient modéliser bien plus finement les agents économiques et donc modéliser directement leurs comportements à « petite échelle » comme le fait un microéconomiste.

Ces considérations « techniques » ont en fait des conséquences pratiques nombreuses dans la définition des politiques publiques. Dans un exemple assez connu, Lucas explique que Fort Knox (le fort où le gouvernement des États-Unis garde une importante réserve d’or) n’a jamais été cambriolé. Aussi, en se basant sur des observations passées (l’absence de braquage) et si on ne prend pas en compte le fait que le comportement des gens peut évoluer, une politique publique raisonnable serait-elle de supprimer les gardiens de Fort Knox. Après tout, ces gardiens coûtent probablement au contribuable. Cet exemple est volontairement absurde mais il permet à Lucas de souligner qu’il faut prendre en compte les réactions des individus lorsque l’on décide d’une politique publique. Ici, « enlever les gardiens » motiverait probablement de potentiels cambrioleurs. En macroéconomie, les choses fonctionnent de manière similaire : bon nombre des politiques publiques reposant sur une hausse des dépenses publiques ou jouant sur la masse monétaire vont finalement s’avérer inefficaces ou moins efficaces si les individus anticipent et réagissent à leurs conséquences probables. Par exemple, si les consommateurs anticipent qu’une hausse des dépenses publiques va se traduire in fine par une hausse des impôts, ils vont peut-être épargner davantage (pour payer ces futurs impôts). Ainsi la hausse de la dépense publique (de l’Etat) va engendrer une diminution des dépenses privées (des ménages). Si l’objectif de l’Etat était d’augmenter la demande globale (pour stimuler l’activité économique) son objectif ne serait alors peut-être pas atteint. Il y aurait simplement une modification de la demande (d’une demande privée des ménages, elle deviendrait une demande publique de l’Etat) sans forcément que la demande totale ne soit impactée.

L’opportunité de ce projet de fonder sur la microéconomie les théories macroéconomiques fait encore débat aujourd’hui, même si la plupart des macroéconomistes semblent s’être convertis et utilisent des « fondations microéconomiques » pour les modèles macroéconomiques. Aussi, l’opposition entre « microéconomie » et « macroéconomie » est peut-être moins importante aujourd’hui qu’elle ne le fut dans les années 50 et 60 car les méthodes des économistes se sont largement homogénéisées. La plupart des disciplines de l’économie utilisent maintenant un cadre commun basé sur la microéconomie qui est ensuite adapté aux besoins spécifiques de la discipline. Par exemple, dans la macroéconomie « récente » (après les années 70-80), le comportement des agents économiques est représenté en utilisant un cadre microéconomique, mais ce cadre est adapté afin d'insister sur la question du temps et des anticipations qui jouent un rôle central en macroéconomie.



[1] De même, certains voient dans la macroéconomie une théorie du « revenu » (de la richesse) quand la microéconomie serait une théorie des prix.

[2] Cette relation est connue comme la courbe de Phillips : une relation négative entre le taux de chômage et le taux d'inflation.


2. Les débats entre macroéconomistes

Cette conversion de la plupart des macroéconomistes à l’emploi d’outils microéconomiques n’a toutefois pas empêché les débats entre économistes [1]. De la même manière que deux personnes peuvent parler la même langue et ne pas être d’accord sur des questions de fond, il ne faut pas confondre des méthodes relativement « partagées » avec un consensus sur le fonctionnement de l’économie.

Comme évoqué dans la section précédente, les économistes utilisent souvent des modèles afin d’étudier les mécanismes économiques. Ceux-ci sont des « simplifications » du réel qui demandent à l’économiste de garder ce qu’il juge essentiel et de négliger le reste. Or, deux économistes peuvent avoir des croyances différentes quant aux aspects essentiels du fonctionnement de l’économie.

Par exemple, comme évoqué plus haut, Lucas pensait les marchés efficaces quand nombre de ses précurseurs et nombre d’économistes aujourd’hui encore les pensent défaillants [2]. Cette différence peut engendrer des recommandations de politiques publiques drastiquement différentes. Supposons que le marché des « produits » sur lequel se rencontrent offre et demande globales (et que nous utilisons ici pour représenter l’activité économique dans son ensemble) soit caractérisé par une offre verticale et une demande décroissante (cf. graphique 1). Si le prix sur ce marché s’ajuste librement, une politique publique qui « augmenterait la demande », conduirait simplement à une hausse des prix. Ceci peut être observé dans le graphique 1 où l’offre globale est représentée en vert, la demande initiale en rouge et la demande après une politique de relance budgétaire (augmentant la demande) en rouge pointillé. Comme on peut le voir, les deux équilibres sont caractérisés par une même quantité (ou activité économique), mais le niveau des prix a augmenté. La politique engendre donc de l’inflation (une hausse des prix) sans effet réel sur l’activité économique.

Graphique 1 : Une première conception du marché des produits

Une vision « plus keynésienne » de cette même situation considèrerait que les prix ne se fixent pas librement sur le marché mais sont à la fois rigides et trop élevés. Aussi, même s’il existe une offre globale potentiellement élevée, l’équilibre va se situer non pas à l’intersection entre offre et demande, mais être déterminé par le niveau de la demande : les prix étant trop élevés, les consommateurs ne souhaitent pas acheter énormément de biens et services et on ne peut pas les forcer à le faire.

Dans le graphique 2, la même offre et la même demande sont représentées mais en faisant maintenant l’hypothèse de prix rigides (arbitrairement) fixés à 20. Une fois encore, l’offre globale reste identique mais elle n’est plus que « potentielle » puisque des prix rigides et trop élevés impliquent que seule la demande va déterminer le niveau de l’activité économique (encore une fois, on ne peut forcer les consommateurs à acheter plus qu’ils ne le souhaitent). Dans le graphique 2, on peut également observer la demande initiale et une demande augmentée par une politique de relance budgétaire. Contrairement à la situation précédente, la relance budgétaire se traduira par une hausse de l’activité et non une hausse des prix.

De telles conceptions des marchés seront abordés bien plus en détails dans ce cours et dans vos prochains cours de macroéconomie. Toutefois, ce rapide exemple montre qu’un cadre très similaire (i.e. la même offre, la même demande et la même politique mise en place par l’Etat) peut conduire à des conclusions très différentes en fonction des hypothèses retenues par les économistes. Un marché efficace conduira à une inefficacité globale de la politique de relance par la demande quand un marché dysfonctionnel la rendra efficace.

En conclusion, depuis les années 1970-1980, microéconomie et macroéconomie ne s’opposent pas (ou peu) sur les méthodes employées même si les deux disciplines tendent à différer quant à l’échelle à laquelle elles étudient l’économie. Toutefois, l’emploi (relativement général) de micro-fondations en macroéconomie n’empêche pas les débats en son sein. On va généralement retrouver de nombreuses théories économiques différant quant à la place de l’Etat et à sa capacité à soutenir l'activité économique. Sans trop rentrer dans les détails, dans les chapitres suivants, nous allons introduire un peu plus ces différentes visions et leurs conséquences en matière de préconisation de politiques publiques.  Notamment, nous verrons les différences entre les politiques « d’offre » ou de « demande » conseillées par certains macroéconomistes.

Graphique 2 : Une seconde conception du marché des produits



[1] Sur ces débats entre économistes, il faut aussi faire attention à leurs représentations médiatiques. Les médias peuvent accentuer l’impression de division entre économistes. En effet, (a) les points sur lesquels il y a consensus ne sont généralement pas abordés dans les médias et (b) les journaux peuvent avoir tendance à polariser les questions économiques en invitant des économistes aux avis tranchés quand la plupart se rejoignent en fait sur des positions « médianes ».

[2] Plus vraisemblablement, la plupart des économistes vont s’accorder sur le fait que les marchés ont une efficacité limitée, mais sans parvenir à un consensus sur le degré de défaillance ou sur la capacité d’autres acteurs à les corriger ou d’autres institutions à les remplacer.