11.1. La mesure des coûts : quels coûts considérer ?
Site: | Moodle Université Numérique |
Cours: | Microéconomie 1 : Les décisions du producteur et du consommateur |
Livre: | 11.1. La mesure des coûts : quels coûts considérer ? |
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Date: | samedi 23 novembre 2024, 12:58 |
1. De quoi s'agit-il?
Une fois examinée la technologie de production (séquence n°10), soit la relation de transformation des inputs en outputs, on va tenir compte des prix des facteurs de production et on va ainsi pouvoir déterminer le coût de production de la firme.
Dans cette séquence n°11, on explique comment le coût est défini et mesuré, en distinguant l’approche adoptée par les économistes, qui s’intéressent à la performance future de la firme, et celle des comptables, qui se focalisent sur les mouvements financiers advenus de la firme. Puis on étudiera comment les caractéristiques de la technologie de production de la firme influencent les coûts à court terme.
La séquence suivante, n°12, permettra d’examiner cette question en raisonnant à long terme, quand la firme peut ajuster tous ses facteurs de production.
2. Coût économique versus coût comptable
Parmi les coûts qu’une firme doit payer, on trouve les salaires des travailleurs et les loyers des bureaux qu’elle occupe ou des terrains qu’elle utilise pour implanter son usine. Qu’en est-il si la firme est propriétaire des bâtiments et n’a pas de loyers à payer ? Comment traiter l’argent investi il y a 2 ou 3 ans (mais non récupérable) pour acheter un équipement, faire du lobbying ou de la recherche et développement (R&D) ?
Coût économique versus coût comptable
Il faut distinguer une approche comptable des coûts, plutôt tournée vers le passé, et une approche économique des coûts, plutôt tournée vers le futur.
Les coûts comptables représentent
l’ensemble des dépenses effectivement engagées plus les dépenses liées à la
dépréciation des bâtiments ou l’équipement (machines). Ainsi les coûts
comptables incluent la baisse estimée de la valeur du stock de capital (à
partir d’un taux fixé par les services fiscaux), autrement dit l'amortissement du capital immobilisé qui perd de la valeur du fait de l'usure liée à son utilisation ou de l'obsolescence.
Les coûts économiques tiennent compte du coût d’utilisation des ressources (capital, travail, matières premières etc.) pour la production. Il s’agit à la fois de coûts que la firme peut gérer et de coûts qu’elle ne peut pas contrôler. Le concept de coût d’opportunité joue un rôle essentiel ici.
3. Coût d'opportunité
Un coût d’opportunité est un coût potentiel (non avéré du point de vue comptable) associé aux opportunités manquées ou laissées de côté en n’allouant pas les ressources de la firme à leur meilleur usage alternatif.
Considérons une firme propriétaire d’un bâtiment et qui n’a dès lors pas de loyer à payer pour les bureaux. Cela signifie-t-il que le coût de l’espace de bureau est nul ? Un comptable pourra répondre oui mais pas un économiste. Ce dernier observera que la firme aurait pu gagner un loyer en louant son espace de bureau à une autre compagnie. Mettre en location l’espace de bureau reviendrait à affecter cette ressource à un usage alternatif, un usage qui aurait fourni à la firme un revenu locatif. Ce loyer potentiel est le coût d’opportunité d’utilisation de l’espace de bureau. Et puisque l’espace de bureau est une ressource que la firme utilise, ce coût d’opportunité est aussi un coût économique lié aux activités des entreprises.
Qu’en est-il des traitements et salaires versés par une firme à ses travailleurs ? Il s’agit clairement d’un coût économique lié à l’activité mais c’est aussi un coût d’opportunité. La raison en est que l’argent utilisé pour payer les travailleurs aurait pu être affecté à d’autres usages. Par exemple, la firme aurait pu employer une partie de cet argent pour acheter des machines économes en travail ou même produire un produit complètement différent. Dès lors qu’on rend compte et que l’on mesure correctement toutes les ressources d’une firme, le coût économique inclut l’ensemble des coûts d’opportunité qui mesurent la valeur des opportunités auxquelles on a renoncé.
4. Illustration
Illustrons avec un exemple d’exploitation agricole qui produit du blé. Le tableau 4 fait apparaître l’ensemble des coûts sur une année. Un exemple de coût d’opportunité est le salaire (30 000 €/an) que l’exploitant aurait pu obtenir s’il avait consacré son temps à un autre travail (ingénieur, enseignant) et auquel il a renoncé pour travailler sur son exploitation à temps plein. De la même manière l’exploitant a renoncé à placer une partie de ses capitaux propres sur les marchés financiers alors que ça aurait pu lui rapporter une somme de 12 000€/an. Le rendement non perçu de cet investissement représente un autre coût d’opportunité.
On voit bien que les coûts économiques de la production de blé s’élèvent à 90 000 €/an quand on rajoute aux coûts comptables les coûts d’opportunité.
L’approche comptable des coûts va ainsi retracer les mouvements monétaires mais n’a pas vocation à fournir des règles de décision face à des alternatives, dont certaines n’ont pas de prix établis. Pour prendre des décisions raisonnables et pour prédire comment des individus raisonnables prennent leurs décisions, il faut faire plus que retracer les mouvements monétaires. Pour l’économiste, savoir s’il y a ou pas une opportunité peut affecter le choix d’allouer ou pas des ressources car cela change les options disponibles. C’est pourquoi les économistes tiennent compte des coûts d’opportunité en plus des seuls coûts comptables.
5. Coût irrécouvrable
Bien que les coûts d’opportunité
soient souvent cachés, ils devraient être pris en compte dans les décisions
économiques. Au contraire, les dépenses engagées dans le passé qui se sont avérées après coup peu pertinentes car plus coûteuses qu'une autre option qui s'est révélée plus intéressante ne devraient pas intervenir dans la décision future car il s'agit de coûts
irrécouvrables. Un coût
irrécouvrable est une dépense qui a déjà été engagée et qui ne peut plus être
récupérée. Ce coût n'a pas à intervenir dans des décisions concernant ce qu'il conviendrait de faire à l'avenir.
Par exemple, considérons l’achat d’un équipement spécialisé pour une usine. Un tel équipement est conçu pour un seul usage et ne peut pas être converti pour une utilisation alternative. Une telle dépense représente un coût irrécouvrable. Parce qu’il n’y a pas d’utilisation alternative, son coût d’opportunité est nul. Donc il ne devrait pas être inclus dans les composantes du coût économique de la firme. Peu importe si la décision d’achat s’est avérée bonne ou mauvaise, elle ne doit pas influencer les décisions actuelles ou futures.
Qu’en est-il si, au contraire, l’équipement pouvait être utilisé pour d’autres usages ou pouvait être vendu ou loué à une autre firme ? Dans ce cas, son utilisation impliquerait un coût économique puisqu’elle génère un coût d’opportunité d’avoir renoncé à la vente ou à la location à une autre firme.
6. Coûts fixes et coûts variables
Certains coûts varient avec le niveau d’output tandis que d’autres doivent être assumés que la firme produise ou pas. On décompose le coût total (CT), soit le coût économique total de production, en 2 composantes : coût fixe et coût variable.
- Un coût fixe (CF) est un coût qui ne varie pas avec le niveau de production et peut être éliminé seulement avec l’arrêt de l’activité (exemple : fermeture complète de l’usine). Les coûts fixes peuvent inclure les coûts de maintenance, les dépenses en assurance, l’électricité et le chauffage voire un nombre minimal d’employés.
- Un coût variable (CV) est un coût qui varie avec la quantité produite. Les coûts variables incluent les dépenses en traitements et salaires ainsi que les matières premières utilisées pour la production.
Pour savoir si l’on a affaire à un coût fixe ou un coût variable, il faut regarder l’horizon temporel à partir duquel la firme raisonne pour décider de son niveau de production (cf. séquence n°9, distinction court terme/long terme). Sur une courte période (quelques mois), une firme est généralement tenue par l’achat de fournitures, des contrats de livraison de matériaux et ne peut pas facilement licencier les travailleurs, peu importe combien elle produit ou si elle produit beaucoup ou peu. Sur une période temporelle plus longue (plusieurs années), la plupart des coûts deviennent variables. Ainsi, si la firme souhaite réduire sa production, elle peut réduire sa force de travail, acheter moins de matières premières et peut-être même se défaire d’une partie de ses machines. A très long terme, la firme peut décider de quitter la branche de production et l’industrie dans laquelle elle opère.
La distinction CF/CV sera importante au moment d’étudier le choix de production qui maximise le profit de la firme à court terme (séquence n°14) ou à long terme (séquence n°15).
A noter que coût fixe et coût irrécouvrable ne doivent pas être confondus. Comme on l’a dit, les coûts fixes sont payés par la firme en activité quel que soit le niveau de production réalisé. Les coûts fixes peuvent être évités si la firme ferme son usine ou quitte le secteur. Les coûts irrécouvrables quant à eux sont des coûts qui ont été engagés et ne peuvent pas être récupérés (dépenses de R&D d’une entreprise pharmaceutique ; achat d’un actif très spécifique). Ceci dit, en pratique, la distinction n’est pas toujours faite dans la mesure où les firmes amortissent les coûts irrécouvrables et les traitent comme des coûts fixes en étalant les dépenses sur plusieurs années. Une telle pratique demeure compatible avec la nécessité d’évaluer la profitabilité de la firme à long terme.
7. Coût marginal et coût moyen
L’étude des courbes représentatives des coûts de production nécessite de définir 2 fonctions de coût qui sont déduites de la fonction de coût total (CT), celle-ci exprimant la relation entre coût et output : le coût marginal et le coût moyen. Présentons ces coûts à l’aide d’un exemple numérique de fonction de coût « type » (cf. tableau 5).
Le coût marginal (Cm), parfois appelé coût incrémental, est le supplément de coût qui résulte de la production d’une unité supplémentaire. Dans la mesure où les coûts fixes ne varient pas quand le niveau d’output change, le coût marginal est aussi bien égal à l’accroissement du coût variable qu’à l’accroissement du coût total qui résulte de la production d’une unité supplémentaire.
Le coût marginal indique combien cela coûtera d’accroître la production d’une unité. Dans le tableau 5, le coût marginal est calculé soit à partir du coût variable soit à partir du coût total. Par exemple, le coût marginal lié à l’augmentation de l’output de 2 à 3 unités est de 20€ car le coût variable de la firme augmente de 78€ à 98€ (le coût total de production augmente de 128€ à 148€). La différence entre coût total et coût variable donne le coût fixe qui, par définition, ne varie pas avec le niveau de production.
Le coût moyen (CM) représente le coût total de la firme divisé par son niveau d’output :
Par exemple, le coût moyen associé à une production de 5 unités par an est de 36€ (180€/5), autrement dit le coût unitaire de production à ce niveau d’output est de 36€ l’unité.
Le coût total moyen a lui-même 2 composantes : le coût fixe moyen (CFM) et le coût variable moyen (CVM).
Le coût fixe moyen décroît avec le niveau de production puisque le coût fixe est une constante. Le coût variable moyen en revanche varie avec le niveau d’output.
8. Coût privé et coût social
Finalement, une dernière distinction peut être faite entre coût privé et coût social qui permet de tenir compte de l’existence d’effets externes (externalités) liés aux activités de production. Typiquement la pollution est un exemple d’externalité négative qui représente un coût pour la société. Il s’agit d’un coût externe que la firme impose aux autres sans compensation. Or ce coût additionnel n’est généralement pas pris en compte dans la comptabilité de la firme qui ne tient compte que de ses coûts privés (les coûts comptables voire les coûts économiques). En réalité, le vrai coût social de l’activité de production est donné par la somme des coûts économiques privés et des coûts externes liés à la pollution.
Idéalement, il faudrait s’assurer que les coûts de l’externalité soient internalisés : dans l’exemple de l’exploitation agricole du tableau 4, si on met en place une taxe d’exploitation de 5000€/an pour compenser la société du dommage de pollution, alors la taxe apparaîtrait comme un coût comptable et donc entrerait directement dans la décision de production de l’exploitant…