Section 6. La discrimination par les prix

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Cours: Microéconomie 2
Livre: Section 6. La discrimination par les prix
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Date: vendredi 3 mai 2024, 17:24

1. Présentation générale et définition

Vidéo - le monopole discriminant


La discrimination par les prix est une pratique commerciale très courante qui consiste à appliquer  des prix différents sur la vente d'un même produit.

Citons quelques exemples :  

  • les billets d'avion d'une même compagnie pour un même vol vendus à des prix différents ;
  • les tarifs heures pleines/heures creuses de l'électricité;
  • le prix de vente d'un journal à l'unité ou dans le cadre d'un abonnement;
  • le tarif « étudiant » pratiqué par un salon de coiffure ou un cinéma
  • les tarifs dégressifs en cas d'achat en grande quantité...

La discrimination par les prix se développe notamment depuis les années 80 dans le domaine des services de transport, via de nouvelles formes de "tarification en temps réel" que l'on qualifie de "yield management". Cette technique cherche à combiner l’optimisation  des capacités de production et la discrimination tarifaire pour définir à chaque instant le prix maximisant le profit de la firme.

Dans tous ces cas de figure, des produits strictement identiques seront vendus à des prix  différents, selon deux critères possibles :

  • en fonction des caractéristiques des acheteurs : étudiants/non étudiants ; tarif senior…
  • en fonction des circonstances de la vente : l'heure, le jour,  la saison (tarif haute/basse saison)…

Définition: La discrimination consiste à vendre un même bien ou service à des prix différents suivant la nature des acheteurs et/ou les circonstances de la vente.

2. Les conditions nécessaires à la discrimination

Cette situation banale, dans la vie quotidienne, est pourtant incompatible  avec les structures de marchés examinées dans les chapitres 2, 3 et 4. Dans tous les cas de figure, en concurrence comme en monopole pur ou en oligopole pur, le prix de vente d'un même bien est apparu unique. 

La pratique d’une forme de discrimination tarifaire suppose en effet de réunir trois conditions fondamentales :

1) L’existence d’un pouvoir de marché des firmes

En l’absence de pouvoir de marché, (cas du régime de concurrence pure) la firme est preneuse de prix et ne peut donc pratiquer une quelconque discrimination tarifaire

2) L’absence de possibilités d’arbitrage (ou impossibilité de transactions secondaires)

L’arbitrage, consiste pour un consommateur à pourvoir racheter à d’autres consommateurs un bien à un prix moins élevé que le prix proposé par le vendeur.  Lorsqu’une telle possibilité existe, la discrimination tarifaire est impossible puisqu’elle suscitera  la mise en place d’un marché de « seconde main » permettant aux consommateurs exposés à des prix plus élevés que les autres de se procurer le bien auprès d’autres acheteurs bénéficiant d’un tarif plus faible. Ils refuseront de donc payer un prix plus élevé que le prix le plus bas proposé. L’absence de possibilité d’arbitrage se manifeste dans deux types de contexte :

L’absence de transférabilité du bien entre consommateurs : pour certains biens ou prestations de service, la prestation ne peut physiquement être transférée à un autre consommateur, soit pour des raisons matérielles (électricité), soit en raison de la concomitance entre achat et consommation (par exemple un salon de coiffure)  

L’absence de transparence sur le marché : lorsque les consommateurs n’ont pas connaissance des prix pratiqués sur les autres transactions, ils ne peuvent mettre en place de transactions de seconde main.

3) L’existence de préférences différenciées

La discrimination tarifaire n’a d’intérêt pour une firme que dans la mesure où les consommateurs (ou différents groupes de consommateurs) ont des dispositions à payer différentes pour se procurer un même bien ou service. Dans ce cas, les firmes chercheront à imposer aux consommateurs ayant une disposition à payer plus élevée que les autres un tarif plus élevé.

3. Les formes de la discrimination

Selon la typologie classique de Arthur Pigou (1920)  Il existe trois grandes formes de discrimination par les prix.

La discrimination au premier degré, ou discrimination parfaite consiste à faire payer à chaque consommateur le prix maximal qu’il est prêt à payer pour acquérir chaque unité de bien.  Plus les firmes sont capables de proposer des niveaux de prix différenciés aux différents consommateurs, plus elles sont en capacité de s’approprier une part importante du surplus des consommateurs.

Prenons l’exemple d’un monopole, disposant du pouvoir de marché nécessaire à la mise en place d’une discrimination parfaite. Dans le cas où il est en capacité de proposer un prix différent pour chaque unité de bien, il est facile de vérifier qu’il capera la totalité du surplus des consommateurs.

Trois situations sont comparées à la figure 7. Dans le cas a, le monopole pratique un prix unique et possède donc une recette marginale distincte de la demande au marché. Il maximise son profit en produisant la quantité QM au prix PM. Si le monopole propose trois niveaux de prix différents (cas b), son profit progresse nécessairement au détriment du surplus des consommateurs.

Dans le cas d’une discrimination parfaite (cas c) le monopole s’approprie la totalité du surplus des consommateurs sous la forme de profit. Notons toutefois que dans cette situation le monopole maximise le surplus social (tout en le captant intégralement à son profit !), puisque la quantité totale produite correspond  à celle qui serait produit en concurrence, à l’intersection de la demande et du coût marginal.

Figure  7. Le monopole en situation de discrimination au premier degré

La discrimination au deuxième degré consiste à proposer les mêmes pratiques tarifaires à tous les consommateurs, mais en proposant des formules de tarification différentes suivant la quantité achetée.

Il peut s’agir :

-          De ristournes ou de formules de prix dégressif suivant la quantité achetée

-          De formules d’abonnement

-          De tarifs combinant une partie fixe et une partie variable fonction de la quantité achetée

L’intérêt de ces pratiques, très répandues, est de permettre aux firmes de capter une partie du surplus des consommateurs sans besoin d’identifier au préalable les préférences des différents consommateurs. La discrimination au premier degré suppose en effet de savoir à quels consommateurs imposer le bon niveau de prix, c’est-à-dire de collecter un ensemble d’informations très coûteuses sur les préférences individuelles.

L’utilisation de formules de tarification au second degré conduit au contraire les consommateurs à s’auto-sélectionner en choisissant la formule de tarification qui correspond à leurs préférences.

La discrimination du troisième degré consiste à segmenter la clientèle en sous-marchés, en pratiquant des prix différenciés en fonction de ces sous-marchés. Cette segmentation suppose donc que la condition de non arbitrage est vérifiée entre les différents segments, mais pas au sein de chaque segment. Le prix pourra donc être différent pour chaque groupe de clients sans risque de transactions secondaires intergroupes, mais doit rester unique au sein de chaque groupe.

La segmentation ne présente un intérêt pour les firmes que dans la mesure où chaque segment présente une élasticité-prix de la demande différenciée par rapport aux autres segments. Lorsque cette condition est remplie, la règle de tarification différenciée  permettant de maximiser le profit des vendeurs est simple : elle consiste à augmenter le prix de vente sur les segments inélastiques et à  baisser le prix sur les segments élastiques. En effet, à volume de production et donc à coût total identiques, l’augmentation du prix sur un segment inélastique entraine un effet prix positif (chaque unité est vendue plus cher)  dominant l’effet quantité négatif (la quantité vendue sur ce segment diminue).  

Nous examinons dans le paragraphe suivant le cas d’un monopole pratiquant une discrimination au troisième degré.

4. Les conséquences de la discrimination du troisième degré : l’exemple du monopole discriminant

Dans le cas d’un monopole pratiquant une discrimination au troisième degré, la règle de maximisation du profit consiste à  fixer le prix sur chaque segment de façon à égaliser la recette marginale obtenue sur les différents segments de marché. Supposons un monopole faisant face à deux segments de clientèle 1 et 2 (cette démonstration reste toutefois valable pour n’importe quel nombre de segments !). 

Formellement sont profit total s’écrit :

La stratégie de maximisation du profit conduit à :



La quantité globale Q* maximisant le profit est donc déterminée par l’intersection de la recette marginale agrégée et du coût marginal sur la figure 8. Cette quantité doit être répartie entre les deux groupes de clients de manière à assurer l’égalisation des recettes marginales sur les deux segments, ce qui conduit à la fixation d’un prix P1* plus élevé sur le segment 1 et un prix P2* moins élevé sur le segment 2.

Figure 8. Le monopole discriminant

Quelle relation existe-t-il entre ces choix de tarification et les disparités d’élasticité-prix de la demande entre les deux segments ?

Sachant que l’indice de Lerner du monopole (voir chapitre 3) sur chaque segment est égal à l’inverse de l’élasticité-prix de la demande :

 

L’égalisation des recettes marginales au coût marginal implique donc l’égalité :

 


Ce résultat confirme  qu’en l’absence de différences de comportement entre les deux groupes de clients , le monopole pratiquera un prix unique sur les deux segments et se retrouvera dans une situation classique de maximisation du profit.

En revanche, si, par exemple, le segment 1 est moins élastique que le segment 2 (),  le prix sur ce segment sera plus élevé .

 La discrimination a donc un double impact sur le marché :

    Elle permet au monopole d’augmenter son profit par rapport à une politique de prix uniforme, en captant une partie du surplus des consommateurs 

  ♦  Elle a également des effets redistributifs importants entre les différents segments par rapport à un prix uniforme :

           - Elle augmente le prix et donc diminue le surplus des groupes à demande inélastique

           - Elle baisse le prix et donc augmente le surplus pour les groupes à demande élastique


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