Section 4. Les situations de collusion sur les marchés oligopolistiques
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Cours: | Microéconomie 2 : L'équilibre sur les marchés parfaits et imparfaits |
Livre: | Section 4. Les situations de collusion sur les marchés oligopolistiques |
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Date: | jeudi 21 novembre 2024, 21:08 |
1. Introduction
Nous avons vu à la section 2 qu’il existait en oligopole une tentation permanente à la formation d’une entente visant à augmenter les profits agrégés des firmes. Cette coordination des plans de production des firmes d’un oligopole peut résulter de deux types de comportement.
L’entente formelle consiste pour les firmes à coopérer dans le cadre d’un accord formel conduisant à la formation d’un cartel (§2).
La limitation conjointe de la production peut toutefois en certaines circonstances s’effectuer sans négociation ni accord formel entre entreprises. On parle dans ce cas d’entente ou de collusion tacite (§3).
Vidéo - les ententes ou cartels
2. L’entente formelle : la formation d’un cartel
2.1. Le comportement stratégique d’un cartel
Les firmes d’un oligopole formant un cartel s’entendent pour limiter conjointement le niveau de production globale de façon à maximiser leur profit collectif, en se répartissant la production sous la forme de quotas individuels.
En contrôlant collectivement l’ensemble de la production sur le marché, un oligopole constitué en cartel dispose d’un pouvoir de marché équivalent à celui d’un monopole : il peut choisir le niveau de production maximisant le profit joint des firmes, en raréfiant la production pour « remonter » la courbe de demande globale.
Considérons de nouveau le cas de
deux firmes ayant les fonctions de coût c1(q1)=cq1 et c2(q2)=cq2
et faisant face à une demande globale linéaire P=a-(q1+ q2) (cas examiné dans la section 3)
Le profit joint des deux firmes s’écrit :
La stratégie de maximisation du profit joint conduit à :
La quantité globale (a-c)/2 maximisant le profit joint est strictement égale à la quantité de monopole calculée à la section 3 : un cartel se comporte exactement comme un monopole sur un marché.
La répartition de la production sous forme de quotas entre les firmes d’un cartel s’effectue d’ailleurs suivant la règle d’égalisation pour chaque firme de sa recette marginale à son coût marginal de production. Le quota de production octroyé à chaque firme i au sein d’un cartel est tel que :
Dans l’exemple précédent, les fonctions de coût étant identiques, la production sera répartie à parts égales entre membres du cartel.
2.2. Les cartels en pratique : force et faiblesses
La théorie du cartel confirme sans ambiguïté la tentation de l’entente qui existe au sein de n’importe quel oligopole : la constitution d’une entente formelle permet aux firmes de se comporter collectivement comme un monopole à plusieurs établissements, et d’exploiter ainsi totalement leur pouvoir de marché au détriment des consommateurs et de l’optimum social.
L’observation de la réalité économique confirme d’ailleurs que de telles ententes sont régulièrement pratiquées sur des marchés.
L’exemple de l’OPEP
Le meilleur exemple est indiscutablement l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) fondée en 1960 et composée de 13 pays membres (2020): l'Algérie, l'Angola, l'Arabie saoudite, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, l'Iran, l'Irak, le Koweït, la Libye, le Nigéria, les Émirats arabes unis et le Venezuela.
Il s’agit d’une organisation intergouvernementale visant à limiter la production d’hydrocarbures de ses membres et d’assurer ainsi un niveau de prix sur le marché mondial suffisamment rémunérateur. L’OPEP se réunit très régulièrement pour analyser le marché mondial et fixer les quotas d’ exportation de ses membres.
L’OPEP contrôlait en 2017 42.6% de la production mondiale, mais plus des ¾ des réserves mondiales prouvées. Sa part de marché a décliné depuis 50 ans puisqu’elle contrôlait 55% de la production en 1970.
Les condamnations pour entente illicite
Chaque année, l’autorité de la concurrence prononce en France une dizaine de sanctions visant des ententes illicites.
En 2019, L'Autorité a par exemple sanctionné deux cartels d’envergure :
♦ Le cartel des titres-restaurants : les quatre émetteurs historiques de titres restaurants ont été sanctionnées à hauteur de 415 millions d'euros
Si les ententes sont courantes, elles présentent aussi des fragilités en raison de 3 conditions difficiles à réunir pour maintenir durablement une entente :
a) contrôler une fraction suffisante de la production, ce qui implique d’associer le plus grand nombre possible de producteurs
b) limiter les coûts de négociation, qui augmentent considérablement avec le nombre de participants
c) s’assurer du respect des engagements mutuels. Cette condition est particulièrement difficile à réaliser pour deux raisons :
o Si la tentation de l’entente est réelle dans un oligopole, la tentation est également forte pour chaque membre, une fois l'entente constituée, de ne pas tenir ses engagements de production, en espérant que les autres les tiendront
o les ententes entre entreprises sont illégales et sanctionnées par les autorités en charge de la concurrence. Les participants à une entente ne disposent donc d’aucun recours légal pour contraindre les autres membres au respect de leurs engagements
3. L’entente tacite : la conjecture de la demande coudée
Nous avons suggéré dans la section 2 que les situations de jeux répétés en oligopole pouvaient susciter des comportements coopératifs entrainant une entente tacite. Une entente tacite se produit en effet lorsque toutes les firmes d’un oligopole décident de maintenir durablement une production faible et un prix élevé sur le marché, sans négociation préalable.
La conjecture de la demande coudée fournit une explication complémentaire de l’existence durable de tels comportements sur les marchés oligopolistiques.
Supposons que chaque firme anticipe une réaction négative de ses concurrents en cas d’augmentation de sa production. Elle anticipe que, en augmentant sa production, elle enverra un signal non coopératif à ses concurrents, ces derniers réagissant alors en adoptant eux-mêmes un comportement non coopératif, c’est-à-dire en augmentant à leur tour leur production.
Dans une
telle situation, représentée à la figure 4, la courbe de recette moyenne de
chaque firme est « coudée » au point C. En ce point, la firme
maximise son profit en produisant la quantité Q* égalisant son coût marginal Cm1
à sa recette marginale.
Figure 4. La conjecture de la demande coudée
Elle anticipe néanmoins une forte asymétrie de la
réaction de la demande en cas de baisse
ou de hausse de sa production par rapport à Q*:
♦ si elle réduit sa production en deçà de Q*, aucun concurrent ne modifiera sa production. La baisse de sa production n’aura donc qu’un impact limité sur le prix du marché : la courbe de demande adressée à l’entreprise est donc relativement plate à gauche de C.
♦ si elle augmente sa production au delà de Q*, ce signal déclenchera les représailles de ses concurrents qui produiront également davantage. La courbe de demande à l’entreprise est donc beaucoup plus pentue à droite de C : toute augmentation de sa production se traduira par une forte baisse du prix de vente.
Le coude au point C entraine donc une rupture dans la courbe de recette marginale, cette dernière étant verticale entre E et E’. Comme l’indique la figure 4, toute baisse des coûts de production induisant un déplacement du coût marginal entre Cm1 et Cm3 n’entrainera aucune modification de la quantité maximisant le profit Q*. La firme ne cherchera pas à répercuter les baisses de coûts en baisse de prix pour les consommateurs, par crainte de déclencher une « guerre de prix » ruineuse avec ses concurrents. Seule une forte baisse de coût (jusqu'à Cm4) conduirait l’oligopoleur à rompre l’entente tacite, en augmentant sa production.
La conjecture de la demande coudée permet donc de comprendre la forte stabilité des prix et des parts de marché constatée sur certains marchés oligopolistiques, en dépit de changements technologiques importants induisant une baisse des coûts de production.