Section 3 : Analyse des stratégies non coopératives en duopole
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Cours: | Microéconomie 2 : L'équilibre sur les marchés parfaits et imparfaits |
Livre: | Section 3 : Analyse des stratégies non coopératives en duopole |
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Date: | samedi 23 novembre 2024, 23:25 |
1. Introduction
Le dilemme du prisonnier ne constitue qu’un cas particulier de stratégies non coopératives au sein d’un oligopole. L’analyse proposée par Antoine Auguste Cournot au début du XIXe siècle permet de dégager des résultats plus généraux quant à l’impact de stratégies non coopératives sur le fonctionnement d’un marché en oligopole, permettant de comparer cette situation aux régimes de concurrence et de monopole (§2). Les résultats du duopole de Cournot reposent toutefois sur une approche spécifique de la concurrence en quantités au sein d’un duopole. Le paradoxe de Bertrand montre qu’une concurrence en prix produit une situation très différente (§3).
2. Le duopole de Cournot
Le mathématicien et économiste français Antoine Auguste Cournot a proposé en 1838 («recherches sur les principes mathématiques de la théorie de la richesse») un modèle de duopole fondé sur deux hypothèses principales :♦ Concurrence par les quantités : les deux firmes se concurrencent en choisissant leurs niveaux de production simultanément
♦ Conjecture de Cournot : chaque firme fixe son niveau de production en supposant inchangée la quantité de l’autre firme
La conjecture de Cournot implique que chaque firme ne cherche pas à anticiper la réaction de son concurrent à son propre niveau de production.
Le modèle de Cournot suppose par ailleurs que les deux firmes ont des fonctions de coût identiques et produisent un bien parfaitement homogène :
♦ La firme 1 produit q1 et la firme 2 produit q2. La quantité totale offerte sur le marché est Q = q1 + q2
♦ Le prix de marché est donné par la fonction de demande inverse linéaire: P=a-(q1+ q2)
♦ Les fonctions de coût des deux firmes sont respectivement : c1(q1)=cq1 ; c2(q2)=cq2
Le profit de chaque firme i s’écrit :
La maximisation du profit de chaque firme conduit donc à :
soit :
Ce résultat souligne de nouveau la prégnance de la situation d’interactions stratégiques : La quantité maximisant le profit de chaque firme dépend de la quantité choisie en même temps par l’autre firme, et inversement ! Chaque firme va donc réagir au niveau de production de son concurrent, et inversement.
Pour cette raison, l’expression de la quantité qi maximisant le profit de la firme i en fonction de la quantité produite par l’autre firme j est appelée fonction de réaction de la firme i, et notée .
Les deux fonctions de réactions sont linéaires et représentées sur la figure 2. L’équilibre de Cournot-Nash se situe à l’intersection des courbes de réaction:
Dans cette situation chaque firme choisit un niveau de production maximisant son profit compte tenu du niveau de production de l’autre firme. Tout autre niveau de production que entrainera une suite de réactions en chaine conduisant à l’équilibre de Cournot-Nash.
Quel l’impact la limitation de la concurrence à deux firmes a-t-elle sur la situation du marché ? Il nous faut pour cela déterminer la situation qui prévaudrait sur le même marché si les firmes se comportaient en situation de concurrence, ou bien si l‘une d’entre elles se retrouvait en monopole.
♦ En concurrence, chaque firme produirait de manière à égaliser son coût marginal au prix du marché, soit :
La quantité produite en duopole, 2(a-c)/3, est donc inférieure d’un tiers à la quantité en concurrence, a-c, et le prix pratiqué supérieur au cout marginal c. Même en l’absence de coopération, l’oligopole confère aux firmes un pouvoir de marché (l’indice de Lerner est supérieur à 0) leur permettant de limiter la production et de fixer un prix supérieur au coût marginal. Les firmes en oligopole réalisent également des surprofits durables impossibles en régime concurrentiel (cf. figure 3).
♦ En monopole, l’une des deux firmes choisirait la quantité égalisant sa recette marginale au coût marginal :
La figure 3 permet de comparer les trois structures de marché : le duopole confère aux firmes un pouvoir de marché conduisant à un prix plus élevé que le régime de concurrence, mais moins élevé que le prix de monopole.
La limitation de la concurrence sur le marché, même en l’absence de coopération, conduit à une situation de prix, de production et de niveau de profit intermédiaire, moins favorable aux consommateurs que la concurrence mais plus favorable que le monopole.
Figure 3. Comparaison de l’équilibre de Cournot avec les situations de monopole et de CPP
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Pour aller plus loin
Le modèle de Cournot se généralise aisément au cas de n firmes. On démontre alors que la quantité de Cournot-Nash de chaque firme est égale à :
L’indice de Lerner s’écrit:
Le pouvoir de marché diminue avec le nombre de firmes ; lorsque le nombre de firmes devient très élevé, l’indice de Lerner tend vers 0 et le prix du marché s’identifie au coût marginal. Le marché tend vers une situation parfaitement concurrentielle.
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3. Le paradoxe de Bertrand
Le modèle de Cournot suppose que la concurrence entre les firmes s’exerce par les quantités, le prix restant déterminé par la confrontation de l’offre globale à la demande. Ce modèle est bien adapté aux secteurs dans lesquels les firmes subissent des limites de capacité. Les firmes sont alors incitées à limiter leur production sur le marché. Lorsque de telles contraintes n’existent pas, il est moins probable que les firmes se livrent à une compétition exclusivement via les quantités.
Le modèle de Bertrand (autre économiste français du XIXe siècle) permet de reconsidérer la situation précédente, en supposant que la concurrence s’exerce par les prix : les firmes fixent leur prix de vente simultanément. Le coût marginal de production de chaque firme est supposé constant, de sorte que chaque firme peut satisfaire n’importe quel niveau de demande à coût constant :
Le bien vendu étant parfaitement homogène et les capacités de production non limitées, la demande sera satisfaite à 100% par la firme proposant le prix le plus bas. En cas de prix égal, la demande sera satisfaite à parts égales par les deux producteurs. La demande satisfaite par la firme i est donc :
Dans ces conditions, l’équilibre de Bertrand- Nash n’est atteint que lorsque les deux firmes pratiquent un prix égal au coût marginal et se partagent la demande du marché :
Chaque firme est en effet incitée à proposer un prix moins élevé que sa concurrente pour capter l’ensemble de la demande. Cette guerre des prix se termine inévitablement par la fixation simultanée d’un niveau de prix au minimum du coût de production, annulant le profit de chaque firme.
La concurrence à la Bertrand reproduit donc les résultats du régime concurrentiel, même en l’absence d’atomicité sur le marché.