Section 2 : L’entreprise en situation d’oligopole : les interdépendances stratégiques
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Cours: | Microéconomie 2 : L'équilibre sur les marchés parfaits et imparfaits |
Livre: | Section 2 : L’entreprise en situation d’oligopole : les interdépendances stratégiques |
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Date: | dimanche 24 novembre 2024, 14:10 |
1. L’interdépendance des stratégies des entreprises
L’oligopole institue une situation inédite par rapport aux chapitres 2 et 3 : chaque firme dispose d’un pouvoir de marché (comme en monopole) mais la présence simultanée de plusieurs producteurs en capacité d’influencer le marché instaure une interdépendance des stratégies des firmes.
Cette interdépendance stratégique n’existe ni en concurrence, ni en monopole :
♦ En concurrence pure et parfaite, chaque firme choisit son niveau de production en s’adaptant au prix du marché, sans tenir compte des choix des autres firmes ni des conséquences de son propre choix sur la situation des autres
♦ En monopole, l’entreprise maximise son profit en tenant compte uniquement de ses coûts de production et de la demande sur le marché
En oligopole, l’impact du choix de production d’une firme sur son niveau de profit dépend nécessairement de la réaction de ses concurrents. Une même décision de production peut alors avoir des impacts variables, et chaque firme va devoir anticiper la réaction de ses concurrents pour tenter de prévoir l’effet de ses propres choix.
Prenons un exemple simple intuitif en considérant un duopole: si une des deux firmes décide d’augmenter fortement sa production, l’impact de cette décision dépend de la réaction de son concurrent :
♦ Si le concurrent maintient une production faible, l’offre globale ne va progresser que modérément et l’effet quantité peut dominer l’effet prix : le profit de la firme va augmenter
♦ Si le concurrent réagit en augmentant également fortement sa production, l’offre globale va fortement progresser et le prix sur le marché risque de chuter brutalement : dans ce cas, l’effet prix peut dominer l’effet quantité et entrainer une diminution du profit.
La situation d’interdépendance stratégique au sein d’un oligopole a deux conséquences :
♦ Tout d’abord, il n’est pas possible d’énoncer des résultats analytiques de portée générale comme nous l’avons fait en concurrence ou en monopole : la dynamique d’un oligopole dépend des caractéristiques précises du marché, du nombre et de la taille des firmes ainsi que du type d’interactions entre les firmes (degré de coopération, type de concurrence…).
♦ De plus, Le degré d’affrontement concurrentiel observé au sein des oligopoles est très variable, d’un secteur à un autre voire au sein d’un même secteur. Il évolue entre deux extrémités qui sont d’une part l’affrontement généralisé sous la forme d’une « guerre des prix » et d’autre part l’entente, formelle ou tacite, entre concurrents pour maintenir des prix élevés et stables sur le marché.
2. Entre l’affrontement et l’entente : le dilemme du prisonnier
Pour décrire cette situation d’interactions stratégiques, les économistes utilisent un outil d’analyse spécifique appelé théorie des jeux.
L’application de la théorie des jeux aux problèmes économiques a été initiée par la publication d’un ouvrage fondateur, The Theory of Games and Economic Behavior, par John von Neumann et Oskar Morgenstern en 1944.
La théorie des jeux consiste à analyser les choix de différents « joueurs » en fonction des gains qu’ils peuvent obtenir, et qui dépendent eux-mêmes des décisions des autres joueurs. Pour cette raison les gains des différents joueurs dépendent de chaque combinaison possible de décisions, et sont habituellement présentés sous la forme d’une matrice de gains.
Nous allons étudier à partir du tableau ci-dessous une situation très connue sous le nom de dilemme du prisonnier.
Supposons deux firmes aéronautiques en duopole que nous nommerons A et B, ayant chacune le choix entre deux niveau de production, faible et fort. Le tableau des gains des deux avionneurs ci-dessous indique les profits annuels, en milliards de dollars.
Lorsque les deux avionneurs limitent leur production sur le marché mondial, le niveau des prix reste très élevé et génère des profits de 2Mds$.
Inversement, si les deux avionneurs décident d’un niveau de production très élevé, l’offre globale abondante fait chuter le prix mondial et ramène les profits annuels à 1Mds$.
Lorsque l’un deux avionneurs limite sa
production pendant que l’autre produit beaucoup, le niveau de prix
intermédiaire entraine des profits de 2,5 Mds$ pour celui qui produit fortement
(un volume de vente élevé combiné à des prix soutenus) et de 0,5 Mds$ pour
l’autre.
Figure 1. Le dilemme du prisonnier : matrice des gains
Le marché peut donc aboutir à 4 configurations différentes, qui correspondent aux 4 cases du tableau de la figure 1. Mais la situation du marché aéronautique va dépendre du type d’interactions entre les deux duopoleurs. Deux cas vont retenir notre attention : les stratégies non coopératives et les stratégies d’entente.
Cas n°1 : Stratégies non coopératives
Définition : Les firmes d’un oligopole adoptent des stratégies non coopératives lorsqu’elles choisissent leur niveau de production dans le but de maximiser leur profit et sans tenir compte des effets de leurs actions sur leurs profits mutuels.
Supposons, dans le cas du marché aéronautique décrit par la matrice de gains de la figure 1, que chaque firme doit fixer son niveau de production sans pouvoir observer le choix fait par l’autre firme simultanément. Peut-on prévoir le résultat de cette situation non coopérative ? Oui, car il est aisé ici de montrer que chacune des deux firmes possède une stratégie dominante.
Définition : Une décision constitue une stratégie dominante lorsqu’elle maximise le gain du joueur quelle que soit la décision des autres joueurs.
Examinons la situation de la firme A :
♦ Si B adopte une production faible, la stratégie « production forte » lui assure le profit le plus élevé : ΠA =2,5> ΠA =2
♦ Si B adopte une production forte, la stratégie « production forte » lui assure également le profit le plus élevé : ΠA =1> ΠA =0,5
La production forte constitue donc la stratégie dominante de la firme A. Les gains étant parfaitement symétriques, la production forte constitue également la stratégie dominante de la firme B.
Lorsque tous les joueurs ont une stratégie dominante, la combinaison des stratégies dominantes constitue l’unique équilibre non coopératif d’un jeu.
Cet équilibre possède une autre propriété remarquable : il constitue un équilibre de Nash (du nom du mathématicien américain John Forbes Nash) c’est-à-dire une situation dans laquelle aucun joueur ne regrette a posteriori son choix, au vu du choix des autres. L’absence partagée de tout regret garantit la stabilité de cet équilibre, aucun joueur ne souhaitant a posteriori réviser son choix.
Notons qu’un équilibre en stratégies dominantes constitue nécessairement un équilibre de Nash, puisque chaque joueur joue la meilleure stratégie possible quel que soit le choix des autres. En revanche un équilibre en de Nash n’est pas nécessairement un équilibre en stratégies dominantes.
Cas n°2 : Stratégies coopératives
En l’absence de coopération, les deux firmes
décideront donc de mettre sur le marché une production élevée, conduisant à des
profits de 1Mds$ pour chaque firme. Cette situation constitue-t-elle pour autant le meilleur choix
collectif des duopoleurs ? La réponse est clairement non, puisque l’adoption
concertée d’une production faible conduirait à des profits deux fois plus
élevés de 2Mds$ pour chaque firme !
Ce paradoxe est le principal résultat du dilemme du prisonnier : alors que leur intérêt collectif serait de limiter conjointement leur production, l’absence de coopération les conduit à la pire des situations collectives, les profits agrégés étant les plus faibles en cas d’équilibre non coopératif.
Il existe donc, en oligopole, un fort gain associé à l’adoption de stratégies coopératives dans le cadre d’une entente.
Définition :
Les firmes d’un oligopole forment une entente lorsqu’elles décident conjointement
du montant de la production globale de façon à maximiser leur profits joints (ou profits
agrégés).
Cette entente peut résulter d' accords formels ou informels entre les firmes, que nous étudierons plus en détail à la section 4.
La coopération entre les firmes
peut également être encouragée par la répétition de la situation d'interaction
présentée à la figure 1. Nous avons supposé, pour analyser la situation de
dilemme du prisonnier, que les firmes ne « jouaient" qu'une fois. La
théorie des jeux montre pourtant qu'en cas de répétition fréquente du jeu (on
parle de jeux répétés) les firmes sont incitées à adopter des comportements
beaucoup plus coopératifs, pouvant conduire à une situation d’entente ou de collusion tacite.
Vidéo - le dilemme du prisonnier