Section 4 : Le monopole sous influence : les autres politiques de prix
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Cours: | Microéconomie 2 : L'équilibre sur les marchés parfaits et imparfaits |
Livre: | Section 4 : Le monopole sous influence : les autres politiques de prix |
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Date: | jeudi 21 novembre 2024, 20:35 |
1. Introduction : la régulation du comportement des monopoles
Nous avons étudié jusque-là la stratégie économique d'un monopole libre de maximiser son profit. Mais les monopoles sont très souvent conduits à adopter d'autres stratégies en raison de contraintes qui pèsent sur leur situation. Il s'agit donc de comprendre pourquoi, dans beaucoup de cas, les monopoles ne maximisent pas leur profit !
Deux types d'influence sont susceptibles d’affecter les choix d'un monopole et de modifier son comportement : la régulation de l’activité par une autorité publique et la menace d'entrée de nouveaux concurrents
La régulation publique peut prendre deux formes principales : la propriété publique et la régulation des monopoles privés
La propriété publique consiste à confier le monopole d’une activité à une entreprise publique, dont l’Etat ou une autre entité publique possède la majorité du capital ou des droits de vote. Ce faisant l’autorité publique peut imposer directement au monopole des objectifs de production et de prix en accord avec les objectifs de cette autorité.
C’est un mode de gestion des
monopoles naturels particulièrement répandu en Europe à partir des années 1930, avec
la création de grands monopoles publics tels que, en France, Air France (1933, transport aérien), la SNCF (1938, transport ferroviaire) ou EDF (1946, électricité).
La régulation des monopoles privés consiste pour une autorité publique à réglementer l’activité d’une entreprise privée en situation de monopole. Cette régulation peut se faire notamment par une réglementation des prix ou du taux de rendement, dans le cadre par exemple de contrats de concession (exemple des concessions autoroutières) ou de délégation de services publics (gestion de l’alimentation en eau potable des collectivités territoriales).
Trois stratégies de régulation publique seront présentées ici : la tarification au coût marginal (§3), la tarification au coût moyen (§4) ou la réglementation du taux de marge (§5).
La menace d’entrée va conduire un monopole à adopter des stratégies dite de prévention de l’entrée, visant à décourager l’entrée de nouveaux concurrents.
La menace d’entrée dépend des caractéristiques économiques intrinsèques du marché (barrières à l’entrée technologiques, économies d’échelle, degré de différenciation des produits…) mais aussi de l’action des pouvoirs publics cherchant à favoriser un haut niveau de concurrence potentielle (via la menace d’entrée) pour contraindre le monopole à une forme « d’autodiscipline ».
Ce point de vue a reçu une attention considérable au début des années 80 à travers la théorie des marchés contestables proposée par W. Baumol, J.C. Panzar et R. Willig dans leur ouvrage de 1982, « Contestable Markets and the Theory of Industry Structure ». Selon cette approche, sur un marché parfaitement contestable, c’est-à-dire sur lequel de nouveaux concurrents sont parfaitement libres d’entrer et de sortir rapidement et sans coûts irrécupérables, un monopole sera contraint de pratiquer un prix nettement inférieur à celui maximisant son profit, pour décourager les entrants potentiels.
Cette nouvelle approche du monopole a largement contribué à redéfinir les modes de gestion des monopoles et des industries de réseaux à partir des années 90, en favorisant l’ouverture à la concurrence et la déréglementation de ces secteurs comme alternative à la régulation publique (voir aller plus loin : politique de la concurrence ; industries de réseau).
Trois stratégies de prévention de l’entrée
seront présentées ici : la maximisation du chiffre d’affaires (§2), la maximisation de la production sans pertes
(§4) ou la limitation du taux de marge
(§5).
Vidéo - la régulation des monopoles
2. La maximisation du chiffre d'affaires
En maximisant son profit un monopole s’assure, nous l’avons vu, une position de marché très profitable. Paradoxalement, le niveau très important de la rente de monopole est susceptible d’attirer la convoitise de nouveaux entrants, notamment lorsqu’il n’existe pas de barrière formelle à l’entrée. C’est typiquement la situation à laquelle fait face un innovateur ne disposant pas de protections juridiques de son innovation, sous la forme de brevets ou de droits de propriété intellectuelle.
Dans une telle situation (voir aller plus loin), un monopole va rechercher le moyen d’assurer la pérennité de sa position dominante, quitte à renoncer à une partie de ses profits de court terme, en décourageant l’entrée de nouveaux concurrents.
Une stratégie de prévention de l’entrée consiste à « occuper » au maximum le marché, pour éviter de laisser un espace aux concurrents potentiels. Le monopole va dans ce cas chercher à maximiser non pas son profit, mais le chiffre d’affaires réalisé, c’est-à-dire le montant en valeur de ses ventes sur le marché.
La maximisation de la recette totale du monopole s’effectue pour une quantité annulant sa recette marginale :
La quantité QCA assurant cet objectif est définie par l’intersection de la courbe de recette marginale avec l’axe des abscisses, au point E de la figure 6.
Comme l’indique la figure 6, cette stratégie implique nécessairement une production plus élevée, un prix plus faible et un profit plus faible que la maximisation du profit. On constate toutefois que le monopole réalise dans cette configuration des profits positifs tout en réduisant la probabilité d’une entrée durable d’un concurrent.
Cette stratégie a donc deux avantages : elle
peut procurer des surprofits durables tout en garantissant une occupation plus
large du marché et un surplus plus élevé
aux consommateurs. Sa principale limite est toutefois que l’obtention de
profits positifs n’est pas garantie : dans certaines situations de coûts,
notamment en présence d’économies d’échelle (cas des monopoles naturels) cette
stratégie peut engendrer des pertes.
Figure 6. Le monopole maximisant son chiffre d’affaires
3. La tarification au coût marginal
La tarification au coût marginal consiste, pour une autorité publique, à imposer à un monopole de fixer son prix de vente au niveau de son coût marginal de production. Cette règle est justifiée par la volonté du régulateur public de restaurer un optimum social dans la production, obtenu dans des conditions concurrentielles par la vente de chaque bien à son cout marginal.
La tarification au coût marginal conduira le monopole à rechercher le niveau de production le plus élevé satisfaisant la condition suivante :
Elle conduit sur la figure 7 à une situation strictement identique à celle étudiée à la figure 4 : La condition de tarification au coût marginal est respectée au point D, à l’intersection de la courbe de coût marginal et de la fonction de recette moyenne du monopole.
Cette règle de tarification présente des propriétés étonnantes : elle permet en théorie à un régulateur public de restaurer les conditions d’un optimum social qui prévaudraient en concurrence sans pour autant avoir à organiser une concurrence effective sur le marché !
Elle souffre toutefois d’une limite très importante dans sa capacité de mise en œuvre : le régulateur doit en effet pouvoir observer le coût marginal du monopole afin de vérifier sa bonne application. Or il existe dans une telle situation une forte asymétrie informationnelle en faveur du monopole, bien mieux informé de l’état de ses coûts de production que les pouvoirs publics. Dans cette situation, le monopole ne sera pas incité à révéler son véritable coût marginal mais à le surestimer pour pratiquer des prix plus élevés que ceux qui prévaudraient en concurrence.
Figure 7. La tarification au coût marginal
4. La tarification au coût moyen
Les deux stratégies précédentes se heurtent à une difficulté majeure dans le cas d’un monopole naturel. Dans ce cas, nous l’avons vu, le coût moyen est décroissante et le coût marginal de production systématiquement inférieur au coût moyen (figure 8). Dans ce cas la tarification au coût marginal conduit fatalement le monopole à pratiquer un prix inférieur à son coût de fabrication unitaire et à supporter des pertes importantes, représentées en vert sur la figure 8.
Un monopole naturel pratiquant la tarification au coût marginal subit nécessairement des pertes permanentes.
La maximisation du chiffre d’affaires peut
également conduire un monopole naturel à supporter des pertes, même si,
contrairement à la tarification au coût marginal, ce n’est pas une conséquence inéluctable
du monopole naturel. Ce cas de figure est représenté à la figure 8 en rouge :
la quantité QCA correspondant à l’annulation de la recette marginale
conduit à un prix PCA inférieur au cout moyen, entrainant des pertes
représentées en rouge.
Figure 8. Le cas du monopole naturel
Dans le cas du monopole naturel, la tarification au coût moyen, appelée aussi tarification à l’équilibre budgétaire, constitue une bonne alternative aux autres politiques de prix.
Elle consiste pour le régulateur public à imposer au monopole de fixer son prix au niveau de son coût moyen de production, ce qui contraint de facto le monopole à un niveau de profit nul. Le monopole choisira dans ce cas la quantité maximale satisfaisant la condition :
Notons que cette stratégie n’est pas nécessairement le fruit d’une régulation imposée, mais peut également résulter de la volonté d’un monopole non régulé de maximiser sa production sans faire de pertes, pour « inonder » le marché et prévenir l’entrée de concurrents.
Dans les deux cas de figure, la quantité qui sera produite est la quantité maximale qui peut être produite sans perte par le monopole.
Cette condition est réalisée au point G de la figure 8, à l’intersection de la courbe de coût moyen et de la recette moyenne. Cette solution est certes moins satisfaisante que la tarification au coût marginal (qui seule assure la restauration de l’optimum social en maximisant le surplus collectif). Mais elle conduit tout de même le monopole à produire une quantité plus élevée qu’en cas de maximisation du profit (QEB) en pratiquant un prix PEB nettement moins élevé que le prix maximisant le profit du monopole naturel. Pour cette raison, cette solution constitue ce que les économistes nomment un optimum de second rang, ou second best : la meilleure des alternatives lorsque l’optimum social est inaccessible.
La tarification à l’équilibre budgétaire présente
deux intérêts majeurs : elle constitue une règle simple à formuler ( « produisez
au maximum sans faire de pertes » ) et à contrôler : contrairement au coût
marginal, l’équilibre budgétaire est facilement observable pour le régulateur,
à la publication des comptes de l’entreprise (il s'agit toutefois du bénéfice comptable, non du profit microéconomique).
Toutefois, ce dispositif a le défaut de ne pas inciter un monopole régulé à l’efficacité productive : toute augmentation des coûts de production est répercutée dans le prix de vente. A long terme, les consommateurs risquent donc de ne pas bénéficier du prix le plus bas possible pour l’accès au bien/service produit.
5. La tarification en fonction du taux de marge attendu
La tarification à l’équilibre budgétaire a pour inconvénient de contrainte le monopole à l’annulation de ses profits, ce qui le rapproche de la situation des firmes en concurrence à longue période. Une politique de prix moins contraignante consiste à fixer un taux de marge attendu de l’activité.
Cette politique de prix peut être mise en œuvre par un monopole privé cherchant à protéger durablement sa position dominante en limitant la rentabilité d’une tentative d’entrée d’un concurrent.
La règlementation du taux de marge (ou taux de rendement) est aussi couramment utilisée comme instrument de réglementation de l’activité d’un monopole privé par une autorité publique, sous le nom de cost plus : le régulateur plafonne le tarif du monopole sur la base de son coût unitaire auquel il ajoute un taux de rendement fixe.
Le taux de marge s’exprime comme la marge unitaire divisée par le coût unitaire, soit :Par exemple, un objectif de taux de marge à 10% consiste pour le monopole à choisir un niveau de production maximal respectant la contrainte suivante :
Cette tarification à l’avantage de permettre au monopole de pratiquer des prix plus faibles que ceux résultant de l’exploitation intégrale de son pouvoir de marché tout en assurant une profitabilité minimale et constante de son activité et de ses investissements.
Elle possède par contre un inconvénient
majeur à long terme : en limitant seulement le taux de marge, une autorité
publique n’incite pas le monopole à l’efficacité
productive, puisque toute augmentation du cout moyen de production peut être répercutée
intégralement en augmentation de prix pour les consommateurs.
De plus, AVERCH et JOHNSON [1962] ont montré qu’un monopole dont les tarifs sont soumis à un cost plus est incité à surinvestir. En effet, l’investissement gonfle la valeur de l’actif de l’entreprise à laquelle est appliqué le taux de rendement fixé par le régulateur. Le monopole risque donc de réaliser certains investissements économiquement injustifiés afin d’accroître son actif et ainsi de bénéficier de prix réglementés plus élevés.
6. Illustration : étude du cas E-TOUC (4)-les autres politiques de prix
Examinons les tarifications alternatives à la maximisation du profit de E-TOUC. a) Si E-TOUC souhaite accroitre son offre de desserte horaire pour décourager toute mise en concurrence de son activité, la maximisation du montant de ses ventes conduira à l’annulation de sa recette marginale : Comme l’indique le tableau de synthèse ci-dessous, son profit s’établit à 157,8 euros/heure, le surplus des consommateurs à 189,1 euros et le surplus social à 346,9 euros, soit un niveau très proche du surplus collectif optimal (350). Comme on le constate, cette alternative peut donc se révéler très efficace pour prévenir le risque de mise en concurrence : le prix est à peine supérieur au prix concurrentiel (25 euros) mais procure des surprofits durables à E-TOUC. b) Si la ville décide d’imposer une tarification à l’équilibre budgétaire, E-TOUC doit produire la quantité Q la plus élevée satisfaisant :
La tarification à l’équilibre budgétaire conduirait E-TOUC à augmenter fortement sa desserte horaire de 10 à plus de 18 navettes/heure, pour un prix beaucoup faible, inférieur à 19€ contre 35€ initialement. On constate à quel point la tarification à l’équilibre budgétaire peut correspondre aux objectifs de régulation d’une autorité publique cherchant à favoriser l’intérêt des usagers du service. On notera toutefois que le surplus social associé à cette solution reste inférieur 329.8) à l’optimum social (350). En effet le prix de vente de 18.7€ est inférieur au coût marginal de production de l’entreprise, et sous-estime la valeur économique (dans des usages alternatifs) des ressources utilisées pour mettre à disposition ce service de navettes. c) Suite aux protestations de E-TOUC, l’entreprise et la municipalité parviennent à un accord : E-TOUC peut déroger à la règle de la tarification au cout de revient, mais à condition de ne pas dépasser 10% de marge unitaire. E-TOUC produira la quantité maximale respectant : Cette solution apparait très favorable à la municipalité, avec un prix du service de 20€ et une desserte de 17.5 trajets/heure. Le taux de marge ne garantit finalement que des profits modestes à E-TOUC de 31,25€/heure, en comparaison des 200€/heure initiaux. Tableau de synthèse : analyse comparée des différentes tarifications du monopole
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