Section 3 : L’impact d’un monopole : les effets de l’absence de concurrence sur le marché

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Cours: Microéconomie 2 : L'équilibre sur les marchés parfaits et imparfaits
Livre: Section 3 : L’impact d’un monopole : les effets de l’absence de concurrence sur le marché
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Date: dimanche 24 novembre 2024, 00:22

Description



1. Introduction

Pour mesurer l’effet de l’absence de concurrence sur le marché, il faut comparer l’impact sur les grandes variables d’intérêt (prix, quantités, surplus) du passage d’un monopole à une situation concurrentielle, sans aucun changement des structures et coûts de production (nombre d’unités de production, prix des facteurs…) ( § 1). Cette comparaison permet dans un second temps d’en déduire une mesure du pouvoir de marché d’un monopole par l’indice de Lerner ( § 2).

Vidéo - l'impact d'un monopole sur un marché

2. La comparaison du monopole et de la concurrence pure et parfaite

Considérons un monopole constitué d’un nombre n d’unités de production strictement identiques (par exemple des usines).

La quantité globale produite par le monopole est donc égale à n fois la production de chaque usine u, :

Si chacune de ces usines est confiée à un opérateur indépendant, le secteur se retrouve dans une situation de concurrence pure et parfaite avec n firmes disposant d’une technologie et de coûts de production identiques.

Comme étudié dans le chapitre 2, la courbe d’offre agrégée d’un secteur concurrentiel est formée par l’agrégation pour chaque niveau de prix  de la partie croissante du coût marginal de chaque firme située au-dessus du seuil de fermeture (à court terme). Par construction, la partie croissante de la courbe de coût marginal du monopole située au-dessus du minimum du coût variable moyen est identique à la courbe d’offre agrégée des n firmes en situation concurrentielle :

Par ailleurs, le coût de production unitaire de chaque firme est identique au coût unitaire de production du monopole :

Dans une situation concurrentielle, chacune des n firmes cherchant à maximiser son profit de courte période produira de façon à égaliser son coût marginal de production au prix du marché, et le point d’équilibre concurrentiel du marché se situe au point d’intersection D de de l’offre et de la demande agrégées sur la figure 4.

L’analyse comparée des deux situations sur la figure 4 permet de dégager trois conclusions généralisables quelle que soit la structure des coûts de production d’une industrie :

a)      La quantité agrégée de concurrence QC est nettement plus importante que la quantité de monopole QM. Un monopole maximise son profit en organisant systématiquement la rareté sur le marché, c’est-à-dire en produisant une quantité faible au regard de ses capacités de production, pour un coût marginal inférieur au prix de vente.

b)      Le prix en situation de concurrence PC apparait nettement plus faible que le prix de monopole PM. Un monopole impose aux consommateurs un prix de vente plus élevé que celui qui prévaudrait en situation de concurrence.

c)       Les profits de courte période du secteur concurrentiel (rectangle vert de la figure 4) sont plus faibles que les profits de monopole. De plus, le profit du secteur concurrentiel n’est que temporaire et condamné à disparaitre à long terme sous l’effet de l’entrée de nouveaux concurrents. Un monopole dispose d’un pouvoir de marché lui permettant de maintenir, même en longue période, des surprofits par rapport à une situation concurrentielle.

                   Figure 4. Comparaison du monopole et de la concurrence à CT

Le monopole enregistre donc des surprofits au détriment des consommateurs, ces derniers subissant un prix plus élevé et un niveau de consommation plus faible.  Il y a à l’évidence un transfert de surplus au détriment des consommateurs et au profit du producteur. Mais le monopole a-t-il un impact net sur le bien-être de la société, c’est-à-dire sur le surplus collectif ?

La figure 5 permet de mettre en évidence le phénomène de perte sèche liée à un monopole.

Pour simplifier la présentation, nous considérons à la figure 5 un secteur sans coûts fixes, donc le coût total de production est proportionnel à la quantité produite : le coût marginal est fixe et égal au coût moyen.

Le graphique a) représente la situation concurrentielle. Le prix s’établit au coût marginal constant de l’industrie, égal au coût moyen. Les profits concurrentiels sont donc nuls, de même que le surplus des producteurs (ce qui correspond à la situation concurrentielle de longue période). Le surplus collectif est donc égal au surplus des consommateurs. La quantité Qc correspond bien à un optimum social, aucune autre quantité pouvant être produite sans perte par le secteur ne pouvant procurer un surplus collectif aussi important.

Le graphique b) montre l’impact d’un fonctionnement monopolistique de cette industrie. La quantité de monopole correspond à l’égalisation de la recette marginale et du coût marginal, le prix d’équilibre étant alors PM ; Le surplus des consommateurs est fortement réduit à l’aire du triangle [PMAX PM EM]. Une partie du surplus social est transféré au monopole : son surplus correspond exactement au montant de son profit (en l’absence de couts fixes), soit l’aire [PC  PM EM A].

Le triangle [A EC EM] correspond donc à la partie du surplus social concurrentiel qui disparait du fait de la stratégie du monopole : il s’agit bien de la perte sèche (ou charge morte) occasionnée par l’existence d’un monopole maximisant son profit.

On remarque que l’aire de ce triangle dépend de deux paramètres : la réduction du volume de production et l’écart du prix de monopole au coût marginal de production, deux conséquences de la stratégie d’un monopole et de son pouvoir de marché, empêchant la réalisation de transactions mutuellement bénéfiques pour un montant égale à Qc- QM.

L'existence d'un monopole libre de maximiser son profit est donc à l'origine d'une inefficacité (perte nette de bien-être) éloignant le secteur concerné de l'optimum social.

Figure 5. Le monopole maximisant son profit :  source d’inefficacité



Illustration : étude du cas E-TOUC (2)

Imaginons que chacun des 15 touc-toucs exploités initialement par E-TOUC est  maintenant confié à 15 exploitants indépendants en situation concurrentielle.  

La quantité concurrentielle maximisant le profit de chaque exploitant correspond à l’égalisation du prix au coût marginal de production (point C) :

Soit :  

Chaque exploitant assurera donc un trajet par heure au prix de 25 €. Le profit agrégé des 15 exploitants est donc égal au profit unitaire multiplié par le nombre d’exploitants :

Le surplus des consommateurs en situation concurrentielle s’établit à :

Le surplus des consommateurs en situation de monopole  s’établit à :


Figure 4-2. La situation concurrentielle du marché des toucs-toucs

 

 Le tableau suivant permet de comparer point par point les deux situations de marché :

Variables

Monopole

[Rm=Cm]

Concurrence

[P=Cm]

Q

10

15

P

35

25

Πn

200

125

Sc

100

225

Surplus collectif

300

350

 








n : le profit est ici utilisé comme approximation du surplus du producteur.
On montre en effet que le surplus du producteur est égal à la somme du profit et des coûts fixes. Par définition, les couts fixes ne variant pas d’une situation à l’autre, les variations de surplus sont entièrement captées par les variation du profit.

L’ouverture à la concurrence se traduit bien par :

-          Un accroissement des quantités

-          Une baisse du prix

-          Un accroissement du surplus des consommateurs

-          Une réduction des profits de court terme

-          Un surplus collectif plus important

 




3. La mesure du pouvoir de marché d’un monopole : l’indice de Lerner

Le pouvoir de marché d’un monopole se manifeste par sa capacité à fixer un prix de vente supérieur à celui qui prévaudrait en concurrence. Ce dernier étant par définition toujours égal au coût marginal de production, l’indice proposé par l'économiste américain Abba Lerner (https://fr.wikipedia.org/wiki/Abba_Lerner) mesure le pouvoir de marché d’un monopole par l’écart au coût marginal, exprimé en pourcentage du prix de vente du monopole, soit :

On démontre par ailleurs que l’indice de Lerner est toujours égal à l’inverse de la valeur absolue de l’élasticité-prix de la demande :

Cette égalité indique que le pouvoir de marché d’un monopole est inversement proportionnel à l’élasticité-prix de la demande: plus l’élasticité-prix de la demande est élevée, moins le monopole sera en capacité d’imposer aux consommateurs un prix élevé, en raison d’une réduction trop forte de la demande exprimée par les consommateurs.

Cette égalité nous renseigne aussi précisément sur la stratégie d’un monopole face à une demande linéaire : Il remontera toujours la courbe de demande jusqu’à se situer « en haut » de la fonction de demande, c’est-à-dire dans la zone de demande élastique (). En effet : 


Pour aller plus loin : comment caractériser les abus de position dominante ?

La mesure du pouvoir de marché d’un monopole est une manière plus robuste de qualifier le pouvoir de nuisance d’un monopole sur un marché. Ainsi, la politique européenne de la concurrence (Article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne) ne condamne pas per se les positions dominantes (mesurées par la part de marché)  mais les abus de position dominante, qui se matérialisent par la capacité à fixer des prix beaucoup plus élevés que le coût marginal de production (cf. aller plus loin : la politique de la concurrence).


Illustration : étude du cas E-TOUC (3)

Evaluons le pouvoir de marché de E-TOUC en situation de monopole. E-TOUC pratique un prix de 35€  pour 10 navettes par heure, et supporte donc coût marginal de Cm(10)= 15€.

L’indice de Lerner est égal à :

La marge  par rapport au coût marginal de production représente donc  57% du prix de vente !

La demande sur le marché est : 

On vérifie donc que l’élasticité-prix de la demande est égale à :

Le monopole se situe bien sur le segment de demande élastique, en haute de la fonction de demande.