Cours de phonétique

2.8. Phonétique combinatoire

La phonétique combinatoire est l'étude des relations entre les sons. La description phonétique telle que nous l'avons présentée jusqu'à maintenant consistait à décrire les sons séparément les uns des autres sans tenir compte de leur entourage. Hors la réalisation phonétique d'un son n'est pas complètement indépendante des autres sons qui le précèdent et qui le suivent. Parmi les différents phénomènes qui relèvent de la phonétique combinatoire nous n’en retiendrons que deux, pertinents pour le français : l'assimilation et l’assibilation. L'assimilation est le phénomène le plus courant dans la langue parlée. La tendance naturelle est de réduire les différences entre les sons contigus, dès lors que le débit de la parole ne permet pas ces différences. L’assibilation est un cas particulier d’assimilation.

2.8.1. L’assimilation

Il y a assimilation lorsque la réalisation phonétique d'un son est influencée par un autre son contigu. La description des phénomènes d'assimilation met en jeu l'orientation du phénomène, l'effet produit, et une ou plusieurs propriété(s) phonétique(s).

1) Les assimilations se différencient par leur orientation; on distingue les assimilations progressives et les assimilation régressives. Avec les premières c'est le premier son qui affecte la réalisation du second, tandis que dans l'assimilation régressive c'est le second qui affecte le premier:

[α] → [β] assimilation progressive

[α] ← [β] assimilation régressive

Une assimilation progressive correspond à un retard d'abandon d'une articulation, si bien que la consonne qui suit est réalisée avec une propriété articulatoire de la consonne qui précède. Lorsque c'est le voisement qui est impliqué dans l’assimilation, la consonne qui suit est réalisée sourde ou sonore selon le voisement de celle qui précède.

Une assimilation régressive correspond à une anticipation ; la consonne qui précède est réalisé avec une propriété articulatoire de la consonne qui suit. Si c’est le voisement qui est concerné, la consonne qui précède est réalisée sourde ou sonore selon le voisement de celle qui suit.

2) Une assimilation met en jeu une ou plusieurs propriétés descriptives. S'agissant de consonnes, l'assimilation peut porter sur le point d'articulation, sur le mode d'articulation ou sur le voisement. La plupart des assimilations du français sont des assimilations de voisement. On trouve cependant quelques cas d'assimilation du point d'articulation et du mode d'articulation:

  • assimilation régressive du voisement :

absent [ab-sɑ̃] → [apsɑ̃]
[b] → [p]
  • assimilation régressive du mode d'articulation :

quinze jours [kɛ̃z-ʒuʁ] → [kɛ̃ʒʒuʁ]
[z] → [ʒ]
maintenant [mɛ̃t-nɑ̃] → [mɛ̃nnɑ̃]
[t] → [n]
  • assimilation régressive du point d'articulation :

in-moral [in] → [im] (moral)
[n] → [m]

Le préfixe négatif "in-" comme dans inavouable se réalise "im-" devant un adjectif qui commence par une bilabiale, comme dans immoral. Cette assimilation régressive est visible dans la forme écrite du mot ; de même pour in+réel = [iʁʁeɛʁ], in+lisible = [illisibl]. Dans cas particulier qui met en jeu la relation entre un préfixe et un radical, l’assimilation a pour résultat une gémination (deux consonnes identiques).

On parle d'assimilation totale lorsqu’il y a identité des deux consonnes impliquées dans l’assimilation, autrement on parle d'assimilation partielle : il y a assimilation totale dans l'exemple de quinze jours, maintenant et immoral, et également dans l’exemple suivant :

dimanche soir [di-mɑ̃ʃ-swar] → [dimɑ̃ʃʃwar]

L'assimilation ayant pour condition nécessaire la contiguïté des deux sons, elle peut apparaître en français dans les contexte suivants :

  • dans les groupes consonantiques,

  • à la jonction de deux syllabes,

  • entre deux mots.

Elle est plus évidente lorsque la contiguïté est elle-même le résultat de la chute d'un "e" muet.

2.8.1.1.Dans un groupe consonantique

Dans les groupes consonantiques dont le second membre est une consonne qui connaît la distinction de voisement.

Étant donné que le groupe consonantique est dans une position qui ne permet pas de disjoindre les deux consonnes – comme c’est le cas lorsque la prononciation syllabe par syllabe permet d’avoir une réalisation séparée des deux consonnes – il n’est pas possible ici de se prononcer sur l’orientation du processus ; laquelle des deux consonnes subit l’influence de l’autre ?

sbire [zbiʁ]
spirale [spiʁal]
tsar [tsaʁ] ou [dzaʁ]

Une description en termes d’assimilation ne va pas de soi, si l’on considère qu’une assimilation implique la possibilité de deux réalisations différentes : une prononciation sans assimilation et une prononciation avec assimilation. Dans les exemples précédents, les deux consonnes sont soit sourdes soit sonores. Il est impossible de dissocier le voisement des deux consonnes. Plutôt que d’assimilation, on parlera alors de corrélation de voisement. Même dans ce cas, ces exemples sont utiles pour comprendre le phénomène de l’assimilation.

2.8.1.2.À la jonction de deux syllabes

À la jonction de deux syllabes dont la première des deux est une syllabe fermée et la seconde une syllabe commençant par une consonne (... VC | C ...), on opposera ainsi une prononciation marquant la coupure syllabique par une légère pause (sans assimilation) et la prononciation courante avec assimilation :

absent [ab-sɑ̃] → [apsɑ̃]
obtenir b-tœ-nir] → [ɔptœnir]
anecdote [a-nɛk-dɔt] → [anɛgdɔt]
subtil [syb-til] → [syptil]

Dans les mots qui suivent, l'assimilation n'est possible que si le "e" muet (voir plus loin le statut de cette voyelle en français) n’a pas de réalisation phonétique. Ici, il suffit de comparer la prononciation avec "e" muet prononcé (souligné) et sans assimilation et la prononciation sans "e" muet mais avec assimilation :

médecin [mɛdœsɛ̃] → [mɛtsɛ̃]
jeter b-tœ-nir] → [ɔptœnir]
second [sœgɔ̃] → [zgɔ̃]
clavecin [klavœsɛ̃] → [klafsɛ̃]

2.8.1.3. À la jonction de deux mots

La jonction de deux mots est un cas particulier de jonction de syllabes et l’assimilation opère de façon identique :

un vague sentiment [œ̃-vag-sɑ̃timɑ̃] → [œ̃vaksɑ̃timɑ̃]
avec zèle [avɛk-zɛl] → [avɛgzɛl]
le globe terrestre [lœ-glɔb-terɛstr] → [lœglɔpterɛstr]
lave-toi [lav-twa] → [laftwa]

Dans tous ces exemples, il s'agit d'une assimilation régressive du voisement.

Comme pour l’assimilation interne au mot avec "e" muet, une assimilation est possible dès lors que le "e" en fin de mot n’a pas de réalisation phonétique :

je parle [ʒœparl] → [ʃparl]
c'est ce gamin [sɛsœgamɛ̃] → [sɛzgamɛ̃]
pas de chance [padœʃɑ̃s] → [paɑ̃s]
un peu de pain [œ̃pødœpɛ̃] → [œ̃ pøtpɛ̃]

Consulter le document « Les assimilations ».

Faire l’exercice 18.

2.8.2. L’assibilation

L’assibilation est un cas particulier d’assimilation qui met en jeu la consonne [t] devant la voyelle [i].

Comparons les mots suivants :

inerte [inɛʁt] et inertie [inɛʁsi]
inepte [inɛpt] et ineptie [inɛpsi]
démocrate [demokʁat] et démocratie [demokʁasi]

La consonne [t] de fin de mot est remplacée par la consonne [s] devant la voyelle [i]. La consonne [t] est une occlusive (fermeture du passage de l’air) et [i] est une voyelle fermée. Le remplacement de [t] par [s] s’explique par une anticipation articulatoire sur le passage de l’air ; [s] est la consonne qui correspond au même point d’articulation que [t] (les deux sont sourdes) mais comme il s’agit d’une fricative, il y a néanmoins un flux d’air qui passe et qui permet la réalisation de la voyelle [i] qui requiert en tant que voyelle un flux d’air voisé. Cette assimilation ne concerne que la voyelle [i], car étant la plus fermée des voyelles, elle est la plus proche du mode articulatoire des consonnes et la consonne [s] (dentale ou alvéolaire) est une consonne qui est proche aussi du point d’articulation de la voyelle d’avant [i].

Le même phénomène s’observe dans d’autres langues. En finnois, le radical du mot eau est vet- et ce mot prend la forme vesi au nominatif (forme du mot dans le dictionnaire et lorsqu’il est sujet dans la phrase simple).