Seconde partie du cours : typologie implicationnelle

7.5. Le finnois comme contre-exemple apparent

La version modifiée de Dryer des universaux n°3 et 4, établit une relation d’implication entre, d’une part, la place respective du verbe et de son complément, et d’autre part, la nature de l’adposition : préposition ou postposition.
Universal n°3 modifié :
Les langues VO ont des prépositions.
(VO ⇒ PREP)
Universal n°4 modifié :
Les langues OV ont des postpositions
(OV ⇒ POST)

Contrairement aux universaux de Greenberg qui engageaient également le sujet (VSO et SOV), les universaux de Dryer ne concernent – comme on vient de le voir – que la relation VO et OV. Ce qui a pour effet de faire une prédiction pour les langues SVO : les langues SVO (langues VO) ont des prépositions. Ce qui se vérifie dans de nombreuses langues. Mais, comme l’avait déjà noté Greenberg (voir l’appendice III), un nombre non négligeable de langues SVO ont des postpositions. Le finnois fait partie de ces exceptions.

Une fois de plus, il convient de regarder les données de plus près, afin de savoir s’il s’agit véritablement d’un contre-exemple où si l’explication de cette exception est ailleurs.

En finnois, il y a aussi bien des prépositions que des postpositions, mais avec une première différence importante : les prépositions sont très peu nombreuses (5 % des adpositions) alors que les postpositions sont très nombreuses (85 %).

Exemple de préposition :

finnois
Ilman rahaa
sans argent
sans argent

Exemple de postposition :

finnois
talon edessä
maison devant
devant la maison

Du fait de l’effectif important des postpositions, le finnois est considéré comme une langue avec postpositions.

Les prépositions sont en accord avec l’universal n°3 modifié. Les prépositions partagent avec les verbes deux propriétés significatives : 1) le complément est au cas partitif (suffixe -(t)A) et, 2) possibilité d’avoir une subordonnée complétive :

1)
Lapset katsovat televisiota
enfants regardent télévision
Les enfants regardent la télévision
venuilman syy
sans raison
sans raison
Lapset katsovat televisiota
enfants regardent télévision
Les enfants regardent la télévision
2)
lapset sanovat, [SUB että kaikki on hyvin]
enfants disent           que tout est bien
Les enfants disent que tout va bien
ilman [SUB että mitään tapahtuu]
sans que rien se passer
sans que rien ne se passe

Par contre les postpositions présentent plusieurs propriétés que n’ont pas les prépositions :

  1. Le complément est au génitif (suffixe -n) :
finnois
talon edessä
maison devant
devant la maison
  1. Les postpositions ont un suffixe casuel :
finnois
Hän on talon edessä
il/elle est maison devant+INESSIF
il/elle est devant la maison
Hän menee talon eteen[1]
il/elle va maison devant+ILLATIF
il/elle va devant la maison
  1. Les postpositions “se conjuguent” ; lorsque le complément est un pronom personnel, la postposition présente une marque d’accord en personne :
finnois
meidän edessämme
nous devant+1PL
devant nous
teidän edessänne
vous devant+2PL
devant vous
  1. Certaines postpositions ont un suffixe de pluriel qui est le même suffixe que celui des noms avec suffixe casuel = -i :
finnois
taloissa
maison+PL+INESSIF
dans les maisons
kello kuuden tienoilla
heure cinq vers+PL+ALLATIF
vers cinq heures (dans les environs de cinq heures)

Toutes ces propriétés que n’ont pas les prépositions sont des propriétés partagées avec les noms. Le rapprochement est évident si l’on compare un des précédents syntagmes postpositionnels avec un syntagme nominal avec complément de nom :

finnois
meidän edessämme
nous devant+INESSIF+1PL
devant nous
meidän talossamme
nous maison+INESSIF+1PL
dans notre maison

Dans le cadre de la description des catégories au moyen de traits syntaxiques, les précédentes propriétés qui caractérisent les postpositions et qui sont partagées par les noms sont prises en compte par le trait [‒V], commun aux noms ([+N ‒V]) et aux adpositions ([‒N ‒V]).

Ce qui conduit à distinguer deux types d’adposition : des adpositions qui ont un comportement verbal [–N] et les adpositions qui ont un comportement nominal [‒V].

Le finnois n’est donc pas un contre-exemple à l’universal n°3 modifié car la différence entre prépositions et postpositions visée par les universaux n°3 et 4 est une différence qui porte uniquement sur l’agencement linéaire. Étant donné le rapprochement fait avec la relation verbe-objet par Dryer, il ne peut s’agir que des adpositions proches des verbes, c’est-à-dire celles qui sont caractérisées par le trait [‒N]. Malgré la présence massive des postpositions en finnois, cette langue doit être classée dans le type “langue avec prépositions” dès lors qu’il est question de l’intégrer dans le corpus couvert par l’étude des adpositions de type [‒N].

Du fait qu’une relation d’accord en personne est possible pour les postpositions, il est possible d’établir un rapprochement entre la place du complément de la postposition, la place du complément génitif dans le syntagme nominal et la place du sujet dans la phrase : autrement dit l’existence de postpositions en finnois est à mettre en rapport avec la séquence SV et non avec la séquence OV. Dans le cadre de la théorie X-barre, ces trois constituants sont dans la position de spécifieur et tous les trois précédent la tête. Ce qui suggère de manière générale que les adpositions de type [‒V] sont à mettre en rapport avec la relation SV et non – comme on vient de le voir pour d’autres raisons – avec l’ordre OV.

Une fois de plus, cette discussion montre la nécessité de regarder de plus près les données lorsqu’un contre-exemple se présente. Elle permet également d’introduire une nouvelle distinction : la distinction entre adposition de type [‒N] et adposition de type [‒V].


  1. ede- et ete- sont deux formes de la même proposition.